Pourquoi le commerce en ligne et de proximité vont "fusionner"

20 mars 2015 à 15h06
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Que le commerce en ligne soit dans l'air du temps et jouisse d'une croissance solide ne signifie pas qu'il est rentable. Fui par les investisseurs et les distributeurs, il va (déjà) devoir se réinventer.

Pour le moment, les e-commerçants (en général) ont confiance en leur avenir. Selon le baromètre mesurant le moral du secteur établi par la Fevad, 82% des acteurs se déclarent autant ou plus optimistes en 2015 que l'année précédente. Lorsqu'on leur demande si leur boutique en ligne sera en croissance dans les douze prochains mois, 78% le pensent. Mieux : alors que le commerce en ligne est réputé pour être peu, voire pas rentable, 61% escompteraient une amélioration de leur marge nette, apprend l'enquête de la Fevad.


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Les ventes en ligne sont dopées par les tablettes mais cela ne résout pas l'équation - Crédit : Fotolia.


La fédération représentant la vente à distance a présenté ces chiffres face à un parterre réunissant les 1 000 plus grands dirigeants du secteur, à l'occasion du salon E-commerce One to One de Monaco. Si cette industrie jouit toujours d'un bon dynamisme avec une croissance de 11% en 2014 - et qui devrait se poursuivre cette année -, l'étude n'indique pas si ces entreprises gagnent de l'argent. Il semblerait que ce soit compliqué.

Le modèle du e-commerce est « coincé dans les bas prix »

Olivier Mathiot, co-fondateur et directeur général de PriceMinister, observe que le marché atteint désormais une phase de maturité, synonyme de tassement de la croissance depuis quelques années. L'an dernier, 20 000 sites sont apparus sur la place. Dans la mesure où ils partent de zéro, leur croissance a logiquement été forte, et a tiré le résultat global. Mais si l'on regarde les 40 plus gros acteurs du marché, leur hausse est passée de 4 à 3% en un an. Le tourisme - dont l'activité Web a dépassé les agences en 2014 - a même reculé de 2%

« Ce qui préoccupe PriceMinister aujourd'hui est le coût d'acquisition qui s'envole », explique son patron. Comprenez : les dépenses publicitaires que doit dépenser le site pour acquérir de nouveaux clients. Selon lui, « beaucoup de sites ont une croissance nulle et ne gagnent rien ». À première vue, il paraît étonnant qu'un e-marchand, avec moins de coûts fonciers qu'une enseigne, ne soit pas rentable. L'une des raisons est que dès le début, le secteur a taillé dans les marges afin d'afficher les prix les plus bas. Cela a créé un précédent.

Pour Olivier Mathiot, le e-commerce est « coincé avec des bas prix ». Et le salut ne viendra a priori pas du mobile - contrairement à la distribution physique, où il a un rôle-clé à jouer. PriceMinister enregistre une croissance de 0% sur son site Web, d'après son directeur et de 100% sur le mobile. Ce canal sera une priorité en matière d'investissement en 2015 pour la moitié des e-marchands. Mais en rien, il n'améliore les marges.

Vendre en ligne serait intenable même pour Carrefour

Rendre les sites Web rentables ne passerait que par une hausse des prix. Olivier Mathiot imagine que les grandes enseignes de la distribution ont une carte à jouer en développant le « Web-to-store », soit la capacité d'attirer un internaute en point de vente. « Cela pourrait changer la façon de vendre en ligne » - une expérience que tente son propriétaire Rakuten depuis le début 2015, que nous expliquons plus bas.

Alors que seulement un commerçant sur deux a un site marchand transactionnel, selon les chiffres de Nick Leeder, le directeur de Google France, Carrefour n'a pas pour autant l'ambition de se lancer dans l'aventure, en raison de la livraison, jugée trop compliquée par David Schwarz, le directeur e-commerce du groupe.

D'abord, parce que certains e-commerçants ont habitué les consommateurs à la livraison gratuite, et que l'enseigne française ne serait pas prête à supporter ce coût. Ensuite, parce que la logistique demandée lui coûterait très cher. Et puis attirer des clients en magasin permet de ne pas cannibaliser les ventes du point de vente, dont la rentabilité serait mise à mal. Et générer des ventes supplémentaires. Selon Capgemini Consulting, le chiffre d'affaires issu d'un parcours d'achat « Web-to-store » est 7% supérieur au classique.

Ce qu'il faut comprendre aussi, c'est que Carrefour n'a pas l'ambition de mettre les deux pieds dans le e-commerce, avec tout ce que cela comprend en termes de logistique et de guerre des prix. Comme levier pour soutenir l'activité de ses centres commerciaux, le Web lui sera utile en revanche. Le groupe va également ouvrir 600 points de retrait et pense pouvoir atteindre le millier à terme. Avec cette taille critique, il jouera dans la cour des opérateurs de livraison et tentera de généraliser le parcours d'achat du « Web-to-store ».


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L'intégration de la boutique dans le parcours d'achat Web est amenée à progresser - Crédit : Fotolia.


Carrefour ne veut peut-être pas embrasser totalement le e-commerce mais on peut se demander alors pourquoi ne rachète-t-il pas de « pure players », soit des marchands entièrement en ligne. Avec 84 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2014, le français fait mieux qu'Amazon sur la période (83,3 milliards). Mais ses bénéfices n'ont été que de 6,2 millions d'euros, près de deux fois moins qu'en 2013. Pas de quoi s'offrir les meilleurs e-marchands dont « la valorisation atteint des sommes délirantes », considère David Schwarz.

La solution : un maillage avec le commerce de proximité ?

Quand le numéro un du e-commerce japonais Rakuten avait mis la main sur PriceMinister en 2010, il avait déboursé 200 millions d'euros. Aujourd'hui, le groupe met l'accent sur le commerce de proximité en s'alliant avec la poste locale afin de multiplier les consignes. Objectif : permettre aux consommateurs en ligne de retirer leurs commandes dans des boutiques proches. Les bénéfices : abaisser le temps de livraison, l'un des incompressibles du secteur, réduire les coûts logistiques et générer des ventes dans les petits commerces...

Il est trop tôt pour mesurer les résultats de cette stratégie mais elle paraît prometteuse à plus d'un titre. Premièrement, elle introduit dans la boucle des commerces de proximité traditionnellement broyés par ces gigantesques plateformes en ligne - les libraires concurrencés par Amazon en savent quelque chose. Et deuxièmement, elle peut améliorer les marges en évitant la coûteuse gestion des stocks et de la livraison.

Inclure les petits vendeurs dans les gros, c'est ce que font déjà la plupart des leaders du secteur avec les places de marché. En France, un tiers des 160 000 sites marchands augmentent leur visibilité en listant leurs produits sur Amazon, Fnac.com, PriceMinister... Cela génère du trafic. Augmente leurs ventes. Mais la structure des coûts reste la même et les petits marchands, sauf dans certaines niches à valeur ajoutée comme le luxe, ne génèrent pas plus de marge. Le problème est qu'ils s'enferment dans un cercle vicieux.

Ceux qui ont investi dedans « se sont pris un bouillon »

Sans rentabilité avérée ni perspective, ces structures n'attirent pas les investisseurs. Le cas du vendeur de chaussures Sarenza et sa levée de fonds de 74 millions d'euros en 2014 auprès de Bpifrance ne doit pas occulter une réalité que confirme... Bpifrance elle-même. Marie-Christine Levet, administratrice au sein de la banque reconnaît que « le e-commerce fait peur aux investisseurs, car ils se sont tous pris un bouillon ! »


Pour Jérémie Berrebi du fonds Kima Ventures, « le e-commerce est en pleine bulle ».


Le principal problème vient du coût d'acquisition, selon elle. « Les dépenses partent une fois à Google puis repartent chez Criteo pour le reciblage », déplore-t-elle. « Même l'un des leaders, Cdiscount, est à peine rentable. » À défaut de pouvoir trop investir dans l'acquisition de nouveaux clients, les e-marchands se tournent alors vers la fidélisation de leurs clients existants, et dans l'augmentation du panier moyen.

Il n'y a pas que la BPI qui fuit le e-commerce. En 2013 déjà, lors de la conférence LeWeb, l'investisseur Jérémie Berrebi, du fonds Kima Ventures, affirmait que le secteur était en pleine bulle et que la situation était même très inquiétante. Pour sortir par le haut, les e-marchands imaginent de nouveaux scénarios.

Vers un changement total du rapport à la consommation

Le maillage avec les réseaux physiques est une chose, mais ils entrevoient aussi un nouveau rapport à la consommation qui pourrait faire exploser le taux de fidélisation de leurs clients. En effet, ils pourraient se lancer dans des modèles d'abonnement sur des produits récurrents, comme le font Netflix avec la vidéo, Spotify avec la musique, Microsoft avec Office... D'autres envisagent une fin programmée de la livraison.

Le fondateur de Showroomprivé, Thierry Petit, imagine un essor de l'impression 3D. Il confie avoir échangé sur ce thème avec un responsable de Nike selon lequel, d'ici 10 ans, il sera possible de télécharger sa paire de baskets et de la fabriquer chez soi. À mi-chemin entre la livraison et la fabrication à la maison, un brevet a été déposé en début d'année pour imprimer un produit dans le camion. Son dépositaire est Amazon.


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