Ils vous promettent la Lune (mais pas avant 2022) : petit tour d'horizon des missions à venir

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
11 décembre 2021 à 15h03
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Les américains ont roulé dessus quelques années, mais ça, c'était avant. Crédits NASA
Les américains ont roulé dessus quelques années, mais ça, c'était avant. Crédits NASA

Vous avez remarqué ? Aucune nouvelle mission n'est partie vers la Lune en 2021. Pourtant, plusieurs d'entre elles étaient programmées par des agences et nations bien différentes. Voilà qui en fera plus à partir en 2022… Mais lesquelles ? Voici quelques petits rappels sur les prochaines tentatives vers notre satellite naturel.

« Et si on la rate, on finira vers les étoiles… non ? »

La Chine, toujours sur la Lune…

Autant commencer par une nation qui n'avait pas promis de mission lunaire en 2021, pour la simple et bonne raison qu'elle en a déjà deux qui fonctionnent sur la surface sélène. En effet, Chang'E 3 (sur la face visible, 2013) renvoie toujours périodiquement des données vers la Terre, tandis que Chang'E 4 et son petit rover Yutu-2 visitent la face cachée depuis janvier 2019. Ce dernier a déjà parcouru plus de 800 m avec de très nombreux arrêts pour différentes prises de mesures scientifiques. Surtout, la mission chinoise vers la Lune la plus ambitieuse a eu lieu en 2020, il y a moins d'un an : les multiples modules de Chang'E 5 ont réussi à se poser, puis à collecter 1,7 kg d'échantillons lunaires avant de les ramener sur Terre. Ces derniers sont étudiés dans de multiples laboratoires autour du monde (mais pas aux Etats-Unis, faute d'accord de ces derniers).

L'atterrisseur de la mission Chang'E 4, quelques jours après qu'il se soit posé à la surface. Crédits CNSA/CLEP
L'atterrisseur de la mission Chang'E 4, quelques jours après qu'il se soit posé à la surface. Crédits CNSA/CLEP

La Chine est à citer dans cet article non seulement pour ses missions du passé proche (les plus remarquables autour de la Lune cette dernière décennie) mais aussi pour leur futur… qui va au-delà de 2022. La prochaine aventure vers notre satellite devrait être Chang'E 6, prévue pour 2023 ou plus probablement 2024. Il s'agira à nouveau d'une collecte d'échantillons, mais cette fois près du pôle Sud lunaire. Enfin, la Chine a invité la Russie à participer à son concept de future « station lunaire » ILRS, bien que les rôles de chacun pour cet ambitieux projet soient encore flous.

CAPSTONE est sur le chemin

Et ce chemin… il est long ! La mission CAPSTONE de la NASA (acronyme de « Expérience de navigation et d'opérations de positionnement autonome en orbite cislunaire ») a été plusieurs fois repoussée depuis 2019, et elle devrait être l'une des premières de cette liste à décoller vers la Lune au premier trimestre prochain. CAPSTONE est un satellite CubeSat « 12U » de 25 kg : il ne faut donc pas s'attendre à la mission de la décennie, mais elle n'en sera pas moins intéressante. D'abord, elle partira vers notre satellite grâce à un lanceur léger, Electron de Rocket Lab (qui mettra en œuvre une plateforme propulsive Photon, complexe, pour y arriver). Ce sera aussi la première mission lunaire à décoller de la Nouvelle-Zélande, et la première à être capable de naviguer et de se repérer en orbite lunaire grâce à une autre sonde NASA (LRO).

L'étage qui devrait propulser Capstone jusqu'autour de la Lune. Crédits Rocket Lab
L'étage qui devrait propulser Capstone jusqu'autour de la Lune. Crédits Rocket Lab

Enfin et surtout, CAPSTONE aura pour mission de se mettre en orbite dite de « HALO » autour de la Lune. C'est l'orbite que devrait utiliser la future station Gateway, projet initié par la NASA et que les Européens, Japonais et Canadiens soutiennent à différents degrés d'implication. L'orbite de Halo, aussi appelée NRHO, permettrait de faire un pont idéal entre une orbite terrestre très elliptique, et une orbite lunaire basse, avec peu d'énergie dépensée. CAPSTONE devrait maintenir cette trajectoire durant au moins six mois. Départ pour l'instant prévu le 19 mars prochain… si la mission n'est pas une fois de plus repoussée.

Astrobotic attend ULA, qui attend Blue Origin…

L'entreprise américaine, basée à Pittsburgh, espère bien devenir la première à envoyer son atterrisseur sur la Lune. En contrat public-privé avec la NASA pour envoyer sa plateforme Peregrine sur la surface (zone de Lacus Mortis), Astrobotic embarquera pratiquement 90 kg de charges utiles réparties entre des expériences de l'agence américaine, et des casiers achetés par différentes entreprises pour des initiatives marketing ou des petits rovers : six sont annoncés sur la mission, mais il reste à savoir combien seront effectivement prêts à temps pour le décollage. Pour profiter d'économies d'échelle, Astrobotic va profiter des services d'United Launch Alliance pour son départ vers la Lune, lors du décollage inaugural du lanceur Vulcan.

Vue d'artiste de l'atterrisseur Peregrine sur la surface lunaire. Crédits Astrobotic
Vue d'artiste de l'atterrisseur Peregrine sur la surface lunaire. Crédits Astrobotic

Mais c'est là que l'affaire se complique : que l'atterrisseur Peregrine soit prêt ou non importe peu car la fusée, elle, n'est pas prête. ULA n'a pas (encore) reçu les deux moteurs BE-4 produits par Blue Origin qui propulseront Vulcan pour son premier vol spatial. Et si les tests, d'après le patron d'ULA, se passent aussi bien qu'on puisse l'imaginer, ils prennent du temps. Assez de temps pour qu'Astrobotic perde sa place de « premier de la classe » ?

Intuitive Machines attend son tour

Comme Astrobotic, Intuitive Machines est en contrat avec la NASA dans le cadre des missions CLPS (Commercial Lunar Payload Services) avec son atterrisseur Nova-C. Ce dernier, qui pèsera environ 1,9 tonnes carburant compris, devrait atterrir entre la Mer de la Tranquillité et la Mer des Crises sur la face visible de la Lune. Et pour y arriver avec ses charges utiles, principalement dédiées à l'agence américaine, Intuitive Machines compte sur Falcon 9. Un lanceur classique, qui décolle régulièrement. Mais cette fois, c'est l'atterrisseur qui est en retard : malgré les 77 millions de dollars déboursés par la NASA, plusieurs rumeurs de difficultés financières courent sur l'entreprise, qui a reçu récemment un nouveau soutien de l'agence pour une deuxième, puis une troisième mission lunaire. Le départ pour la Lune serait prévu au premier trimestre 2022.

Le moteur fusée d'intuitive Machines qui doit permettre à l'atterrisseur Nova-C de freiner pour se poser sur la Lune. Crédits intuitive machines
Le moteur fusée d'intuitive Machines qui doit permettre à l'atterrisseur Nova-C de freiner pour se poser sur la Lune. Crédits intuitive machines

Nova-C sera accompagné par une étrange petite sonde qui sera mise en orbite autour de la Lune. Il s'agit de DOGE-1 (40 kg environ), première mission entièrement financée grâce à la cryptomonnaie du même nom (à part ça, difficile de savoir ce qu'elle y fera).

Artemis 1, la fée des retards est encore passée

Sur le papier, Artemis-1 est l'une des plus alléchantes missions lunaires de 2022. Une grande capsule, capable d'embarquer quatre astronautes, en voyage 3 semaines sur une orbite éloignée autour de la Lune… et sans passagers, pour démontrer l'ensemble de ses qualités afin de répéter l'expérience 2 ans plus tard avec des astronautes. Reste que l'enthousiasme est difficile à trouver quand la mission cumule plus de 4 ans de retard et qu'il reste encore plusieurs étapes avant de décoller. La faute notamment au lanceur super-lourd SLS (Space Launch System) qui doit réussir son premier vol avec cette mission, mais pour lequel la prudence est de mise, car les enjeux se chiffrent en dizaines de milliards de dollars.

SLS en octobre dernier. Depuis, la capsule Orion a rejoint le haut de la fusée. Crédits NASA
SLS en octobre dernier. Depuis, la capsule Orion a rejoint le haut de la fusée. Crédits NASA

Actuellement, la date de lancement d'Artemis-1 est fixée au 12 février, mais de nombreuses rumeurs pointent déjà de nouveaux délais en décembre, suite à quelques anomalies découvertes sur la section moteurs. Il faudra notamment guetter la « répétition générale » avec un voyage de la fusée géante vers son site de lancement LC-39B, et des tests de remplissage de réservoirs qui devraient avoir lieu au mois de janvier. Cela donnera un aperçu unique de ce mastodonte, mais donnera aussi une bonne idée de sa date de lancement réelle. Certains évoquent déjà avril…

Inde : plus de nouvelles de Chandrayaan-3

Après l'échec de l'atterrisseur Vikram à l'automne 2019, qui s'était écrasé sur la surface lunaire, l'Inde n'a plus beaucoup donné de nouvelles de son orbiteur Chandrayaan-2, toujours actif aujourd'hui. L'agence spatiale du pays, l'ISRO, avait cependant promis une mission de « rattrapage » avec un nouvel atterrisseur. Mais ça, c'était avant la crise liée au COVID-19. La pandémie a difficilement affecté les opérations spatiales de l'Inde, paralysée de long mois en 2020 comme au début 2021… tandis qu'une partie du secteur des lanceurs est en pleine réorganisation, et qu'un échec le 12 août dernier a plombé la saison. Résultat : l'atterrisseur lunaire et l'ensemble de la mission Chandrayaan-3 ne sont plus au premier plan, et les priorités sont plutôt orientées sur le programme habité (hautement politique). Un décollage vers la surface lunaire serait étonnant en 2022…

Le successeur de Vikram emportera lui aussi probablement un petit rover. Crédits ISRO
Le successeur de Vikram emportera lui aussi probablement un petit rover. Crédits ISRO

Luna-25 ne partira pas avant le mois de juillet

Luna-25, aussi appelée Luna-Glob, fait partie de ces missions que l'on évoque depuis presque deux décennies et qui va enfin décoller pour la Lune. Un temps annoncée en octobre 2021, il est rapidement devenu évident qu'elle ne pourrait pas tenir son calendrier. Il s'agirait essentiellement d'un problème de ressources (accaparées par les retards du projet martien ExoMars commun avec l'ESA) plutôt que de retards de développement. Dans tous les cas, la mission est attendue avec impatience, même si on peut s'attendre à ce qu'elle soit à nouveau repoussée. Luna-Glob dispose de 9 instruments scientifiques (environ 30 kg), mais il faut signaler que la mission est avant tout un diptyque entre politique démonstration technologique.

La Russie compte en effet sur Luna-25 pour rappeler qu'elle est une puissance spatiale de premier plan capable d'explorer le système solaire, ainsi que pour faire revivre les glorieux jours des missions Luna 1 à 24 qui furent, faut-il le rappeler, des piliers de la course à la Lune. D'autre part, le but est de montrer que la Russie a les moyens de se poser sans encombre sur la surface Lunaire, un exercice qui n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Si l'industriel NPO Lavotchkhine réussit ce tour de force, Roscosmos devrait accélérer dans la foulée de Luna-25 les travaux de Luna-26 et Luna-27 (aussi appelés Luna-Resurs), un orbiteur et un atterrisseur bien plus ambitieux encore, qui devraient analyser le sol près du pôle Sud de la Lune.

Une équipe travaille sur l'atterrisseur Luna-Glob (ou l'un des modèles d'ingénierie). Crédits Roscosmos
Une équipe travaille sur l'atterrisseur Luna-Glob (ou l'un des modèles d'ingénierie). Crédits Roscosmos

L'Europe n'ira pas avant les Américains

En 2019, le public européen s'enthousiasmait de l'alliance entre la petite structure allemande PTS et ArianeGroup autour des projets lunaires… En même temps que l'agence spatiale européenne faisait rêver avec quelques projets indépendants tels que le « European Large Logistics Lander » ou l'atterrisseur Herakles. Pour autant, ces belles initiatives restent pour l'instant à la phase de définition et de développement : le matériel attendra que les missions américaines soient mieux définies, que les Européens aient de façon robotisée ou habitée approché la Lune dans le cadre d'Artemis. Les budgets étant fixés longtemps à l'avance, certains s'inquiètent du retard que prend l'Europe, alors que la NASA subventionne massivement son secteur privé pour qu'il embarque ses propres expériences sur la surface lunaire. Eh oui : si les industriels européens veulent montrer leur savoir-faire, il faudra que l'ESA prenne l'initiative de porter des missions lunaires. Ou de louer les services des partenaires américains, une fois de plus.

Oui alors celui-ci, c'est pas pour 2022. Ca au moins, on s'y engage. Crédits SpaceX
Oui alors celui-ci, c'est pas pour 2022. Ca au moins, on s'y engage. Crédits SpaceX

Starship attendra un peu…

N'oublions pas que le gigantesque véhicule de SpaceX était censé emmener des touristes faire le tour de la Lune « à partir de 2022 », le milliardaire Yusaku Maezawa en tête pour son projet « Dear Moon ». Et puis c'est vrai, la NASA est aussi rentrée dans la partie en sélectionnant Starship pour emmener ses futurs astronautes sur la surface lunaire, dans le cadre des missions Artemis. Reste que le vaisseau n'est pas prêt aujourd'hui, et n'a pas encore fait ses preuves en orbite. Etant donné l'architecture proposée pour la NASA, qui inclut de multiples ravitaillements en carburant autour de la Terre avant un départ vers la Lune, il semble assez improbable que nous puissions voir une version lunaire du Starship en action l'année prochaine. Mais qui sait…

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Commentaires (3)

cid1
C’est dommage qu’ils aient choisi la solution de l’option Blue Origin, tout sur des médisances pour que la nasa les prennent alors que leur fusée est une grosse erreur qui nous mèneras droit dans le soleil, ouaiiss, quelle perte de temps…pff
spip74
Très bon article, très bien documenté.Merci
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