CubeSat : les microsatellites qui ont tout changé

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
12 février 2021 à 15h44
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Trois petits CubeSats 1U, quelques secondes après leur éjection depuis l'ISS. Crédits NASA
Trois petits CubeSats 1U, quelques secondes après leur éjection depuis l'ISS. Crédits NASA

C'est un nom devenu presque générique pour toute une génération de satellites, et pour leurs concepteurs. L'architecture CubeSat, en un peu plus d'une décennie, s'est imposée pour sa facilité d'utilisation, ses standards et ses innovations. Mais c'est quoi, un CubeSat ?

Un succès qui se compte en U…

Petit mais costaud

La véritable histoire du CubeSat démarre à la fin des années 90. Avec l'essor de la microélectronique, et en même temps que l'avènement du PC dans les foyers comme dans les universités, plusieurs chercheurs travaillent sur des plateformes de petits satellites. L'objectif est multiple : réaliser des projets ambitieux avec les étudiants, tout en mettant au point une plateforme qui soit peu chère et fiable. Il y a déjà quelques mini-formats à l'époque, comme les TUBSAT ou les PICOSAT, qui ont des résultats prometteurs.

Mais la partie va se jouer en Californie, à l'université CalPoly et à Stanford, où Bob Twiggs cherche à définir une « taille minimum pour avoir un satellite pratique à utiliser », avec un système d'éjection simple et standard. Il se serait inspiré du design des emballages de petits jouets en peluche « Beanie Babies » pour son format cubique de 10 x 10 x 10cm de volume utile. Avec Jordi Puig-Suari, ils mettent en place un document de spécification pour la communauté académique. Ils ne le savent pas, et le terme n'émergera qu'un peu plus tard, mais le CubeSat est né.

Trois CubeSats 1U au premier plan, et leur déployeur qui les éjectera une fois en orbite. Crédits NASA/Cal Poly
Trois CubeSats 1U au premier plan, et leur déployeur qui les éjectera une fois en orbite. Crédits NASA/Cal Poly

D'ailleurs, à ses débuts, il n'intéresse pas la NASA, qui ne juge pas sa valeur pour l'éducation suffisante pour avoir le label (et les subventions) de l'agence. En 2014, B. Twiggs déclarera « Je suis content que l'agence ne nous ait pas aidés, sinon on n'y serait sans doute jamais arrivés ». Les critiques ne manquent pas pourtant, lorsqu'ils présentent leur idée en 1998 et 1999 lors de plusieurs consortiums et meetings académiques. Un industriel leur explique même que « c'est l'idée la plus bête qui m'ait été donné de voir, personne n'utilisera votre jouet ». Mais chez les universitaires, l'idée fait son chemin. Plusieurs groupes d'étudiants ont déjà commencé à travailler avec les spécifications. Les premiers CubeSats volent le 30 mars 2003 : 6 satellites américains, canadiens, danois et japonais, tous issus de la recherche et des universités.

Ils décollent sur un lanceur russe. Lorsqu'ils sont allés voir les géants des lanceurs américains, B. Twiggs et J. Puig-Suari n'ont pas réussi à convaincre ces derniers que leur système pouvait prendre la place des ballasts utilisés lors des lancements les plus légers…

Deux CubeSats étendent leurs panneaux juste après éjection. Crédits NASA
Deux CubeSats étendent leurs panneaux juste après éjection. Crédits NASA

Petit format, grand standard

Un CubeSat peut avoir plusieurs tailles, qui sont décrites par des Unités (U). Une Unité, c'est le format le plus petit, d'une masse de 1,33 kg maximum et d'une taille de 10 x 10 x 10 cm (l'un des côtés fait en réalité 11,35 cm, pour avoir un litre, ou 1 000 cm3 de volume intérieur). De nombreux CubeSats ont volé au format 1U, mais il y a souvent besoin de plus de place sur le satellite. On retrouve donc des déclinaisons 2U (deux « cubes » attachés), les très nombreux et très réussis formats 3U (10 x 10 x 30 cm) et les satellites 6U que l'on a coutume de décrire comme des « boites à chaussures » dans la presse par rapport à leur taille (10 x 20 x 30 cm). Il y a encore plus gros, mais les formats de taille supérieure sont moins utilisés et donc moins standards : 8U (20 x 20 x 20 cm), 12U (20 x 20 x 30 cm) et même 24U, dans lequel la philosophie de départ s'est un peu perdue…

Le grand avantage de ce format standardisé, ce sont évidemment les composants qui vont avec. En plus de 20 ans de création, des étudiants, des startups et même des entreprises bien établies aujourd'hui ont développé des centaines de pièces adaptées au format CubeSat, si bien qu'il est possible de presque tout acheter aujourd'hui, et même en ligne, pour un prix « raisonnable » (comptez quand même généralement quelques centaines de milliers d'euros selon ce que vous comptez commander). On considère aujourd'hui que l'indispensable, quelle que soit la taille de votre CubeSat, c'est un ensemble de petits panneaux solaires (avec les cartes de gestion et la petite batterie), une carte mère, des cartes de traitement et un module de communication avec une antenne UHF ou bande S.

Le CubeSat 3U "Neutron 1" pour la NASA. Quand tout est terminé, il ne reste plus beaucoup de place... Crédits NASA
Le CubeSat 3U "Neutron 1" pour la NASA. Quand tout est terminé, il ne reste plus beaucoup de place... Crédits NASA

Au-delà bien sûr, il est possible de trouver des charges utiles embarquées comme des caméras, des panneaux déployables, des antennes déployables, des propulseurs (à gaz froid, à ions, à iode…), des récepteurs GPS, des composants blindés aux radiations, des voiles solaires, et tout un inventaire à la Prévert puisqu'avec plus de 1 300 CubeSats envoyés en orbite basse, un grand nombre d'idées se sont concrétisées et se retrouvent en vente aujourd'hui.

Et cela ne se limite pas au satellite lui-même. Il y a aujourd'hui plus d'une dizaine de solutions (et à peu près autant d'entreprises) pour éjecter des CubeSats en orbite, toutes mises en place à partir du même standard. Ejecteur unique, par groupe de 8, éjecteur adapté au bras robotisé de l'ISS, ou même satellite autonome qui largue le CubeSat à la demande du client… Il y en a pour tout le monde.

Du CubeSat interplanétaire au CubeSat étudiant

Les CubeSats ont conquis le monde en moins de 20 ans. En février 2017, plus d'une centaine d'entre eux ont été éjectés lors d'un seul vol orbital de la fusée indienne PSLV. Les agences spatiales en raffolent, que ce soit pour tester de nouvelles technologies en orbite à moindre coût, pour stimuler un secteur commercial en particulier ou pour la miniaturisation de technologies existantes. La NASA, qui à présent supporte fortement le format CubeSat, dispose de son puissant programme de subvention ELaNa. Mais elle n'est pas la seule.

En France par exemple, le CNES subventionne le projet JANUS, qui a pour objectif d'aider les étudiants, les universités réunies en « Centres Spatiaux Universitaires » et les jeunes entreprises françaises à assembler des CubeSats innovants. L'Institut Von Karman, qui a lancé en 2012 le projet « QB50 » pour aider les étudiants européens à créer une cinquantaine de CubeSats pour étudier la haute atmosphère et les rentrées atmosphériques, a aussi généré bien des vocations…

Le CubeSat 3U EyeSat issu du projet Janus. Crédits CNES
Le CubeSat 3U EyeSat issu du projet Janus. Crédits CNES

Gare toutefois à ne pas faire n'importe quoi. A l'altitude de l'ISS, un CubeSat 1U mettra en moyenne environ 18 mois à rentrer dans l'atmosphère (parfois jusqu'à 3 ans). Au-delà de 500 km d'altitude, ces tout petits satellites qui une majorité du temps n'ont pas de propulsion peuvent constituer des débris pour longtemps, bien plus longtemps que le quart de siècle que la « Loi sur les objets spatiaux » française demande à nos entreprises. Attention donc à ne pas générer plus de débris que nous ne pouvons en suivre ou en gérer, sans quoi il faudra rapidement trouver un modèle pour des CubeSats de nettoyage (et curieusement, ces derniers n'existent pas encore aujourd'hui).

Par leur bas coûts, ces satellites sont aussi connus pour être parfois capricieux, certains matériels étant sujets à des pannes mécaniques (pour ceux qui ont des éléments mobiles) ou électroniques… De quoi apprendre pour faire mieux la prochaine fois !

Mars, vu par l'un des deux CubeSat MarCO, après avoir relayé l'atterrissage d'InSight. Crédits NASA
Mars, vu par l'un des deux CubeSat MarCO, après avoir relayé l'atterrissage d'InSight. Crédits NASA

Aujourd'hui, des armées qui y testent leurs derniers capteurs jusqu'aux agences qui s'en servent pour des missions interplanétaires (on se souvient des deux MarCO, qui ont relayé les signaux d'InSight lors de son atterrissage sur Mars) en passant par les entreprises qui les déploient par dizaines pour observer la Terre (Planet ou Spire par exemple), les CubeSats sont devenus des modèles très courants.

Les coûts ont dramatiquement baissé et continuent de se démocratiser. Ce qui, pour l'objectif initial de développer un outil d'apprentissage académique, est une large victoire !

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Commentaires (8)

ebottlaender
Oui car<br /> Ce n’est pas un CubeSat<br /> Ce n’est pas de la pollution spatiale, ni un débris au sens où on l’entend habituellement, c’est à dire en orbite terrestre. La Tesla est aujourd’hui l’équivalent d’un astéroïde géocroiseur.<br />
ebottlaender
Pour la dernière fois (car c’est un méga hors sujet mais tout le monde a l’air de s’en ficher force 5), non la Tesla en orbite héliocentrique ne pollue pas, elle est simplement inactive. Elle ne dégage rien, ne pollue rien, ne rencontre rien, n’occupe aucune orbite à la place d’autre chose. Elle n’est pas un débris au sens usuel des débris orbitaux car elle n’est pas en orbite de la Terre. Pourquoi n’aurait-elle rien à faire là ? En quoi elle gêne ? A-t-elle généré de l’argent pour SpaceX ? Non. Elle a transformé un lancement inaugural en campagne de communication, au demeurant très efficace. Et c’est tout.<br /> Il y a aussi des étages Apollo et quelques sondes soviétiques et américaines sur ce type de trajectoire, c’est un non sujet.<br /> Moi ce qui m’attriste c’est d’écrire un article long et de me documenter pour vous faire des trucs sur les CubeSats, et de voir le débat pourri sur 15 commentaires parce que non, un type a décidé de parler de la Tesla et de faire réagir les gens.
juju251
Il serait bon ici que certains arrêtent de polluer des sujets, qui comme le dit Eric sont documentés et demandent du travail.<br /> Par respect pour l’auteur il serait bon de garder vos avis «&nbsp;anti-spatial&nbsp;» pour vous.<br /> Ce genre de commentaires, hors sujets et irrespectueux seront supprimés et si cela continue, des sanctions seront prises.<br /> Il serait bon aussi que des sujets un peu «&nbsp;cools&nbsp;» ne soient pas pollués de cette manière.<br /> Vous souhaitez avoir une conversation là dessus, ok, mais créez un sujet dans la section «&nbsp;Et à part ça&nbsp;» du forum.<br /> P.S. : Contrairement à ce que certains pensent, c’est gonflant aussi pour les modérateurs de devoir supprimer des commentaires et poster des messages d’avertissement sur ce genre de sujets, qui une fois encore se veulent cool.<br /> Mon message n’attend pas de réponse.
juju251
Très bon article. <br /> Un industriel leur explique même que « c’est l’idée la plus bête qui m’ait été donné de voir, personne n’utilisera votre jouet ».<br /> Un visionnaire, assurément. <br /> C’est effectivement un format de satellites qui est intéressant pour les projets étudiants et les entreprises qui souhaitent valider des technologies avant de voir plus gros.<br /> L’un des avantages (si je ne me trompe pas) des cubes sats est aussi de pouvoir rétrécir les lanceurs, comme Electron de Rocket Lab.<br /> D’ailleurs, en parlant de ça, je trouve les lancements d’Electron tellement stylés, entre la fusée recouverte de glace lors des minutes précédant le lancement (le lanceur est peint en noir, mais là, du coup, il est … blanc ).<br /> Et sur le dernier lancement, le son au décollage était juste fou. <br /> Vous l’aurez compris, j’adore ce petit lanceur.
mecatroid
Super article, bien détaillé et argumenté, bravo. C’est un peu comme monter son propre PC, mais en beaucoup plus cher et beaucoup plus compliqué. J’observe sur le net le prix des composants de cubesat depuis quelques années, mais le prix ne baisse plus beaucoup.<br /> Du coup, le cubesat complet tourne toujours au minimum à environ 50 000 euros pour un cubesat complet avec communication et panneaux solaires. Mais le facteur limitant c’est le coup du lancement, qui lui ne descend pas sous les 50 000 euros non plus. Ça fait toujours un budget total d’entrée de 100 000 euros, qui n’est pas anodin.
ddrmysti
Je sais déjà ce qu’on va me dire, que c’est à mettre en rapport au prix de satellites qui se chiffrent en millions d’euro, mais le passage où on parle du prix abordable des cubesat m’a quand même fait sourire. Plusieurs centaines de millier d’euro, ça fait cher le projet étudiant quand même, pas grand chose à voir avec la coupe de france de robotique ^^ (qui se déroule à genre 150m de chez moi, courage les gars on se voit à la prochaine édition !).
SlashDot2k19
Intéressant cet article, je connaissais pas ces tout petits satellites appelés CubeSat. En fait c’est un peu le même principe de satellites (bien que plus gros) qu’utilise Starlink.
ebottlaender
En fait non, les Starlink sont vraiment d’une taille supérieure et ne reprennent pas le même concept. Ce sont de jolis bébés (tout plats) mais d’une masse de plus de 200 kg quand même.
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