Marque & nom de domaine : Un actif immatériel stratégique pour l'entreprise

Jérôme Bouteiller
Publié le 14 mai 2000 à 00h00
A l'heure où des marques comme "Yahoo" ou "Coca-Cola" pèsent près de la moitié de la valeur boursière des sociétés qu'elles désignent, il est devenu essentiel de s'interroger sur la protection de ces actifs désormais stratégiques pour les entreprises,

La Marque : un actif stratégique

L'Internet est la plus grande place de marché de la planète. D'un simple clic de souris, n'importe quel internaute peut se rendre d'un site à l'autre. Or il est désormais reconnu que ce dernier retiendra seulement 2 ou 3 acteurs par marché, et cela principallement par la publicité. Cela explique l'attention toute particulière que les managers de start-up accordent au développement d'une "marque". Cet actif est bien réel puisqu'il permet à leur entreprise de se démarquer de la masse de plusieurs dizaines voire centaines de sites concurrents. Or la "matérialisation" de leur marque passe par le nom de domaine. Autant la loi protège depuis longtemps le dépôt d'une marque, autant la gestion des noms de domaines est nettement plus complexe.

Marque et nom de domaine : des régimes disparates

La protection d'une marque est reconnue dans la plupart des états au titre de création intellectuelle. En France, c'est l'INPI, l'institut national de la propriété intellectuelle, qui se charge de leur enregistrement pour une durée de 10 ans. Il existe un organisme mondial, l'OMPI, l'organisation mondiale de la protection intelectuelle, mais un dépôt mondial nécessite un dossier dépot par pays. Un déposant bénéficie uniquement d'un droit d'antérioté de 6 mois. (La seule marque) Le seul actif immatériel stratégique mondial apparaît dès lors comme étant le nom de domaine, le fameux "mot.com"( ou net,org) attribué par l'Internic. Historiquement, le .com désigne les sites commerciaux américains. La règle est celle du premier arrivé, premier servi, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes, d'autant que la question est à l'échelle mondiale. Les conflits de cybersquatting peuvent maintenant être résolu par une procédure amiable et/ou arbitrale devant l'OMPI. Chaque pays dispose de son propre domaine. En france, la règle est plus stricte. Le .fr est reservé aux entreprises françaises produisant un Kbis mais il existe d'autres extensions plus souples et rien n'empêche un français de réserver un .com ou un .net.

Une jurisprudence plus protectrice.

La jungle de l'attribution des .com a conduit à beaucoup d'excès. Parmi les affaires les plus connues, on peut citer celle de SFR, la compagnie français de radiocommunication qui s'était faite subtilisé www.sfr.com par un internaute américain qui réclamait une forte somme d'argent en échange de sa restitution à l'opérateur français. On peut aussi citer certains petites malins comme iBazar qui ont crée une société dénommée Ebay.fr, uniquement dans le but de bloquer l'implantation française du numéro un mondial des enchères : ebay.com.

Les tribunaux ont désormais tendance à reconnaître trois principes

1 / Le nom de domaine xx.com doit revenir au propriétaire légitime de la marque.
Le principe du piratage de nom de domaine est en passe d'être réglé partout sur la planète. A l'image de SFR qui a récupéré SFR.com sans rien payer, les tribunaux ont tendance à ne plus reconnaître le principe du premier servi et à restituer les noms de domaines piratés.

2/ la règle du premier arrivé, premier servi prévaut quand deux sociétés ont le même nom commercial et/ou la même marque
Reste bien évidemment le problème de sociétés légitimes exploitant des noms identiques, particulièrement dans un contexte mondial. Budweiser est une bière américaine mais aussi le nom d'une bière tchèque, en raison d'ancêtres communs aux deux brasseries. Aucune de ces deux entreprises n'a pratiqué de piratage et le nom est revenu au plus rapide, l'entreprise américaine. De même un conflit a opposé deux sociétés françaises ayant toutes les deux comme marque Alice, pour l'attribution du nom de domaine alice.fr. La cour d'appel a reconnu que le la première société ayant déposé le nom de domaine alice.fr avait une légitimité par rapport à la deuxième société.( Cour d'appel de Paris 4 décembre 1999 - SA Alice / La SNC Alice)

3 / Un dépôt de nom de domaine vaut antériorité sur une marque.
Autre nouveauté, une entreprise ayant crée un site internet mais ayant ommis de déposer la marque pourra la récupérer si un petit malin tiers l'a déposée à sa place. Ainsi, si la marque "XXX" est déposée à l'INPI plusieurs mois après la création l'enregistrement du nom de domaine "XXX.com" par un opportuniste, le créateur du site pourra récupérer sa marque.(Tribunal de grande instance de Paris, 3ème chambre - 2ème section - 13 novembre 1998 - Société AGAPHONE c/ Madame Anne Marie COTTIN et les SARL BURODAFER et C.T.S)

Dans les trois cas, les tribunaux protègent les entreprenautes de bonne foi mais sont impuissants face à des situations de double utilisation d'un même nom.

Contrefaçons & Noms similaires

Enfin, dernier cas de figure, le problème de la contrefaçon de marque. Exemple : J'ai acheté une marque : " saint-james ", et j'ai crée un site internet dénommé : http://www.saint-james.com. Or je suis attaqué devant les tribunaux pour contrefaçon de marques par le propriétaire d'une marque " saint-john ", disposant d'un site internet : http://www.saint-john.com . Y a t il réellement contrefaçon ? Conformément à l'article L 713-3 du Code de propriété intellectuelle est interdite : " l'imitation d'une marque et l'usage imité, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement "

Sont similaires des services ou des objets qui lorsqu'ils portent la même marque, peuvent être rattachés par la clientèle à la même origine. Les tribunaux étudient plusieurs facteurs pour déterminer la contrefaçon :
- la nature des produits ou services : Seront considérés comme similaires deux services ayant une nature voisine. Ex : des planches à voiles et des bateaux, des services d'organisation de publicité ( même si les moyens utilisés sont différents ( Tribunal de Grande Instance de Paris 28/6/1996)
- les habitudes de distribution : Seront considérés comme similaires les produits vendus dans les mêmes magasins ou proposés dans les mêmes rayons. Si on applique ce raisonnement à Internet, vous proposez un produit, qui non seulement est similaire dans sa nature, mais est distribué de la même façon.
- la diversification de l'activité des entreprises : Ainsi seront considérés comme similaires les bandes magnétiques et les cassettes enregistrées
- la ressemblance entre les signes : La comparaison porte sur le signe lui-même ( indépendamment de sa calligraphie). Le contrefacteur ne saurait, pour échapper au grief d'imitation, arguer de différences dans la qualité des produits (Cour d'appel de Paris 30/10/90/) ou de leur présentation ( Cour d'appel de Paris 11 mars 1993).

Les magistrats étudient non seulement les ressemblances mais encore les différences entre les produits
- Similitudes phonétiques : Ce type de similitude est le plus fréquemment retenu. Elle résulte d'une similitude de construction entre les marques qui présentent la même structure et la même composition. Ex de contrefaçon de marque : Yaspi et Yampi, Pariscope et Pariscopie, Brig et Brio, Pull ou Face et Pile ou face, Femme et Fam, Sherman et Chairman. Quand la marque est composée de deux mots (marque complexe), la marque imitante reprend souvent l'un d'entre eux, qu'il soit distinctif ( Pages dans et Pages soleil) ou non ( Vache dans La Vache qui rit et La Vache sérieuse.)

La Marque : un actif à ne pas négliger.

Désormais, il est important de comprendre qu'une marque est un actif stratégique pour une entreprise, qu'il convient de protéger dans un contexte marqué par le développement du Net et l'internationalisation des entreprises. La valeur se concentrant désormais essentiellement dans l'immatériel, négliger un tel actif serait une faute grave qu'un entreprenaute aurait à payer au prix fort.
Dossier réalisé par Maître Murielle-Isabelle CAHEN et Jérôme BOUTEILLER
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