Raymond Vaillancourt : Théorie du Chaos et Sciences de la complexité

24 mars 2000 à 00h00
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Raymond VAILLANCOURT s'intéresse principalement à l'utilisation de la théorie du chaos et à la notion de complexité dans la mise en oeuvre d'un nouveau type de gestion adapté à la semi-autonomie.

PN - MonsieurRaymond Vaillancourt, bonjour ! La théorie du chaos, le conceptde complexité sont des notions sur lesquelles vous vous appuyezpour établir de nouveaux modes de gestion. Pouvez-vous nousexpliquer en termes simples en quoi relève la pertinence decette approche originale de la gestion ?

RV -Cetteapproche a surtout le mérite de nous déstabiliser en regard desprincipes traditionnels de gestion. Il est devenu de plus en plusévident que l'approche séquentielle de planification,direction, organisation et contrôle ne suffit plus à prendre encompte les bouleversements et surtout la rapidité de cesbouleversements dans l'environnement des entreprises. Plus onessaie de contrôler plus ce contrôle semble nous échapper ! Enutilisant le concept de complexité, cela aide à saisir quel'entreprise, faite de personnes, ne peut plus se réduire à unesérie de mécanismes qu'il suffit d'appréhender correctementpour reconstruire un ensemble compréhensible. Cet ensemble ainsireconstruit ne représente en rien la complexité del'organisation.

PN - Laprospective est une discipline assez mal connue et donc peupratiquée des responsables et chefs d'entreprise. De quois'agit-il exactement et en quoi la prospective sedistingue-t-elle de notions comme la planification, la stratégieou encore ce que l'on nomme la futurologie ?

RV - Laprospective permet une appréhension du futur en lien direct avecune vision. Sans vision, la prospective n'est pas possible. Cettevision agit comme un code qui nous permet de transformer ensignes ce qui n'est pour les autres que bruit. Elle se distinguede la planification en ce sens qu'elle n'est plus une projectiondans le temps de la vision actuelle mais une application auprésent de la vision futur de l'entreprise. Elle permet, àpartir d'une analyse serrée de l'environnement interne etexterne, de se tracer une image du futur désiré et de poser,dès maintenant les gestes pour y parvenir. J'aime bien à cetégard l'image d'un casse-tête ou d'un puzzle que l'on réalisepetit à petit mais à la condition expresse d'avoir constammentl'image sous les yeux. Autrement, la tâche est carrémentirréalisable. C'est avec cette image en tête que l'on peutalors élaborer une stratégie dont l'objectif est laréalisation de cette vision. Dans cette perspective, on n'essaiepas de prévoir le futur, on tente vraiment de le réaliser ànotre façon.

PN - Lasemi-autonomie est un concept que vous érigez comme méthoded'organisation du travail. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?

RV - Onparle beaucoup d'équipes semi autonomes mais très peu de lasemi autonomie. Si l'on commence à bien comprendre lesmécanismes en cause dans l'organisation d'équipes de travailresponsabilisées, il y a encore peu de gens qui s'intéressentà ce que ce mode d'organisation du travail implique pour lesgestionnaires (en particulier les chefs d'équipes). Or c'esttout un changement d'image de soi que l'on demande auxgestionnaires d'accomplir lorsque graduellement le pouvoir esttransféré aux équipes qui sont en contact direct avec laclientèle. Il y a là, bien sûr, une question de gradation quidoit découler du rythme d'apprentissage des gestionnaires àdevenir davantage des phares dans la tempête qui s'intéressentessentiellement aux personnes plutôt que des contrôleurs quis'intéressent à la tâche à accomplir. Pendant cettetransition, le gestionnaire a tendance à se sentir inutile,habitué qu'il est de s'évaluer en fonction de ce qu'il fait(rendez-vous, téléphones, rencontres, réunions, etc) plutôtqu'en fonction de ce qu'il est (incarnation quotidienne desvaleurs et objectifs de l'entreprise ou de l'organisation).

PN - Stan Davis& Christopher Meyer définissent la nouvelle économie àtravers ce qu'ils appellent le "paradigme du flou " (blursight). Selon ceconcept, les facteurs fondamentaux à l'origine des mutations del'économie de demain seraient la Vitesse, la Connectivité etl'Immatérialité. Que vous inspire cette réflexion ?

RV - Jesuis tout à fait d'accord avec ce paradigme. C'est pour cela queles gestionnaires et les chefs d'entreprise se doivent de prendreun recul par rapport à leur façon habituelle de gérer sinonils seront pris dans cette tourmente et n'auront pas le"temps" nécessaire pour diriger (au sens de direction)leur entreprise ou leur organisation. Au fond, l'image de l'avionqui approche du sol me semble bien illustrer ce concept. Plusnous sommes près des activités quotidiennes moins nous avons letemps de voir venir et d'embrasser l'ensemble de la perspective.Plus nous savons clairement où nous allons, plus il est facilede relativiser les accidents de parcours. Autrement, nous sommestoujours en réaction et le "flou" risque de nousengloutir un peu comme les Langoliers de Stephen King ! 

PN - Il estd'usage de considérer les pratiques de veille et d'intelligenceéconomique comme des façons de réduire l'incertitude et doncle risque. Cependant, ne pensez-vous pas au contraire que lerôle de telles démarches ne serait pas plutôt d'accroîtrel'éventail des possibles (ce qui suppose l'acceptation durisque) c'est-à-dire envisager le "changement derègle" plutôt que le "changement dans la règle"?

RV - Vousavez entièrement raison. Le changement auquel nous sommesconviés n'est plus un changement dans la continuité mais une"révolution", ce que j'appelle un changement de typedeux. On ne doit pas viser essentiellement à réduirel'incertitude mais à la prendre en compte un peu comme leconducteur d'une automobile en tient compte lorsqu'après avoiranalysé la vitesse du conducteur qui le précède, celle de ceuxqui le suivent et les conditions générales de la route, décidede dépasser. S'il attend une certitude, il ne bougera pas ! Pourpouvoir contrôler le risque, il faut accepter d'y plonger. C'estlà un paradoxe auquel la formation au management ne nous aguère préparés ! L'intérêt de la veille, c'est de nousmettre constamment en situation d'éveil à l'égard del'environnement et à développer une méthode de tamisage del'information pour ne retenir, sous le flot qui nous inonde,celle susceptible de pouvoir nous aider à réaliser notrevision. On revient donc à la prospective !

PN - Selon Jean-Claude Tarondeau, dans un environnementturbulent et fluctuant "la firme trouve, comme le funambule,son équilibre dans le mouvement"(Le management des savoirs. PUF, 1998). L'auteur entend par làopposer les stratégies (statiques) dites de positionnement auxstratégies (dynamiques) de changement permanent. En tant quespécialiste du domaine, pouvez nous nous éclairer sur la façonde conduire avec succès le changement dans une organisation ?

RV - Lechangement dans une organisation passe nécessairement par lechangement des individus et principalement des gestionnaires. Lechangement n'est pas un processus que l'on suit à la lettre maisun cheminement qui emprunte autant de chemins qu'il y ad'individus. C'est pour cela que lorsque l'on intervient dans uneorganisation désireuse de changer, il faut sonder avec legestionnaire principal et éventuellement son équipe de gestionjusqu'à quel point l'ouverture au changement se manifeste. On asouvent dit que l'outil principal du gestionnaire est sapersonnalité. Alors comment peut-il enclencher un véritablechangement sans que lui-même n'accepte d'être ébranlé dans savision de la gestion (donc l'image qu'il a de lui-même commegestionnaire). C'est en faisant l'apprentissage pour lui-même dutype de changement (de niveau deux) nécessaire aujourd'hui qu'ilsera le plus en mesure de comprendre et de manifester unecertaine empathie à l'égard de ceux à qui il demandera dechanger tantôt leur méthode de travail, tantôt leur relationavec la clientèle. 

PN - Commentdéfinissez-vous l'organisation apprenante ?

RV - C'estd'abord et avant tout une organisation dans laquelle sesprincipaux gestionnaires se sont placés en mode d'apprentissage.Ils auront ainsi tendance, puisque c'est leur responsabilité, destructurer l'organisation selon un mode facilitantl'apprentissage (donc avec des structures temporaires etflexibles). Ils verront bien sûr la formation comme étant unecondition sine qua non pour avoir constamment les moyens demettre en œuvre la vision de l'organisation. Ils verrontégalement à faire en sorte que l'apprentissage des employés etdes cadres se transmette à toute l'organisation afin de donnernaissance à une organisation "intelligente" qui, à lamanière d'une fusée à tête chercheuse, rectifie constammentsa trajectoire pour atteindre la cible elle-même en mouvement.L'organisation apprenante est donc celle qui, tirant profit de lavision de ses gestionnaires, peut en regard du "flouapparent" du futur, se donner les moyens d'anticiper où etquand elle devra mettre le focus, se réajuster en fonction desbesoins de sa clientèle, et tirer profit de la conjoncture pourincarner quotidiennement sa vision. 

PN - Leschangements structurels des grandes organisations :fonctionnement en réseau, division en business units (centresautonomes de profit), etc...conduisent à définir des modesde gestion pertinents proches de ceux appliqués aux petites etmoyennes entreprises. Voyez-vous dans cet exemple uneconfirmation de la notion d'organisation fractale et du principed'autosimilarité ?

RV - Toutà fait. Mais en même temps ce type de fonctionnement nécessiteune plus grande intégration de la part des gestionnaireshabitués à coordonner. En ce sens, la coordination faitdavantage référence à un type de contrôle extérieur quel'essaimage des unités rend de plus en plus difficile, peuimporte les moyens de communication. Le temps de réaction esttrop long. Par contre, si on met l'accent sur l'intégration, quiest une forme de contrôle intérieur, alors le temps et ladistance n'ont plus d'importance. Cette intégration consiste àfaire en sorte que les valeurs, objectifs et contraintes del'organisation soient le plus possible partagés par l'ensembledu personnel qui établit alors un mode d'auto contrôle beaucoupplus efficace. Le gestionnaire devient alors non plus un"donneur d'ordres" mais un "donneur de sens".C'est parce qu'il devient donneur de sens qu'il peut s'assurerque chacune des unités incarne, par-delà les différencesgéographiques, l'image même de l'organisation. Son rôle est detravailler sur les interfaces pour en faciliter la fluidité (essentielle à l'interne ) et la complémentarité. Ce passagen'est cependant pas facile en particulier pour les entreprises etles organisations qui ont connu du succès dans un systèmefortement centralisé (voir à cet égard l'article de Sull dansHarvard Business Review de juillet-août). 

PN - Parlons àprésent de votre cabinet de conseil en gestion stratégique etprospective : Prospect Gestion. Quels prestations et types deservices proposez-vous ?

RV - Noustravaillons essentiellement sur l'apprentissage de la gestion enpériode d'incertitude. Nous offrons un service d'accompagnementde gestionnaires (sous forme d'ateliers ou de coachingindividuel) dans la mise en œuvre de changement (de typedeux) au sein de leur organisation ou entreprise. Nous offronségalement un service de formation aux gestionnaires et cadresaxé principalement sur le développement de connaissances,d'attitudes et d'habiletés en regard de la gestion en périodede turbulence. Finalement nous offrons un service de conférenceprésentant les enjeux actuels en matière de gestion duchangement, de gestion en période d'incertitude et la mise enœuvre d'organisations apprenantes. 
PN - Monsieur Vaillancourt, je vous remercie !
Entretienréalisé par Patrice Nordey en Juillet 1999
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