« Holdings ISF : ne tirons pas sur (tous) les lampistes ! », une tribune de Frédéric Ventre

Frédéric Ventre
Publié le 24 novembre 2008 à 16h01
Ancien banquier, conseil financier indépendant auprès de PME (www.fintesis.com), maire adjoint aux Finances de Sainte-Eulalie (Gironde, 4500 habitants), fondateur en mai 2008 de la holding d'investissement aquisfere-expansion (www.aquisfere.com), Frédéric Ventre propose cette tribune libre sur les holdings ISF.

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Frédéric Ventre
Les « holdings ISF », qui permettent aux redevables de l'ISF de bénéficier d'une réduction d'impôt au plus égale à 75 % du montant des versements effectués1, dans la limite annuelle de 50 000 euros par an, défraient la chronique.

Ainsi, dans une lettre ouverte datée du 30 mai 2008 puis dans une question écrite à Madame le Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi2, le Sénateur Adnot a-t-il fustigé des « montages qui consistent, non pas à utiliser la holding pour investir dans des PME existantes ou en création, mais à y recourir comme moyen de collecter des fonds en agglomérant un nombre important de souscripteurs qui ne se connaissent même pas, voire qui ont été démarchés, pour ensuite créer, à la demande, des kyrielles de SARL ad hoc, dans lesquelles 100% des fonds levés sont investis, et dont l'objet social est de louer des biens corporels ou incorporels à des PME (ces SARL versent, bien sûr des commissions de gestion à la holding). Il est bien précisé aux investisseurs qu'au terme du délai fiscal de conservation les actifs seront cédés par les SARL qui seront absorbées par la holding qui sera ensuite dissoute ». Mais aussi « d'autres montages où le capital des sociétés créées par la holding est uniquement investi pour acquérir des biens immobiliers à caractère patrimonial en vue d'un pur investissement de rendement ».

Pour Madame Lagarde, la cause est entendue3 : ces « opérations ont été structurées à la seule fin de permettre aux souscripteurs de bénéficier de l'avantage fiscal prévu par l'article 885-0 V bis précité du code général des impôts, en leur faisant notamment prendre un risque limité économiquement à celui d'un prêteur de deniers et non pas un réel risque de participation au capital, qui est inhérent à la souscription au capital de PME non cotées [...] Ces montages sont susceptibles d'être critiqués sur le terrain de l'abus de droit par fraude à la loi, conduisant in fine à une remise en cause de l'avantage fiscal consenti aux bénéficiaires. »
Le recensement opéré par Monsieur Adnot est loin d'être exhaustif et les exemples de dévoiement ne manquent pas.

Ainsi une autre holding, et non des moindres, a systématiquement eu recours à des actions de préférence, rachetables après 6 ans à leur prix d'émission majoré d'un dividende prioritaire et cumulatif inhabituellement bas (3 % par an). Grâce à ce mécanisme, l'investisseur en fonds propres se retrouve, de facto, en position de prêteur à moyen terme à taux fixe bonifié : au terme du délai d'indisponibilité fiscale, sauf insolvabilité de la cible d'investissement, il sera remboursé de l'intégralité de sa mise de fonds augmentée de 3 % par an, et bien qu'il ne puisse prétendre à aucune autre plus-value, le levier fiscal procuré par la réduction d'ISF à l'entrée (71,43%), lui permet d'espérer un impressionnant TRI (taux de rendement interne) de plus de 26 % annualisé... A la rigueur, en ces temps de crise où l'accès au crédit bancaire est devenu plus difficile, l'objectif du législateur serait atteint si ces financements allaient à des PME isolées, innovantes, en phase de création, d'amorçage ou de développement, Mais ce n'est pas le cas : il est bien précisé aux investisseurs redevables de l'ISF que leurs fonds serviront pour l'essentiel à des « entreprises dont le business model est fiable et éprouvé», « dont la pérennité est assurée pour les 6 prochaines années », « organisées en ou appartenant à un réseau (franchise, enseigne, commerce associé, entreprises organisées en filiales)... », et « appartenant à des secteurs d'activité tels que l'hôtellerie, l'exploitation de maisons de retraite, l'exploitation de crèche, la restauration, l'exploitation de laboratoires pharmaceutiques ».

On peut aussi dénoncer la multiplication de structures holdings créées à l'initiative d'un même promoteur pour contourner les règles d'appel public à l'épargne fixant à 99 associés au plus la limite au-delà de laquelle il est obligatoire de déposer un dossier et d'obtenir un agrément de l'Autorité des Marchés Financiers. Ou encore ces tentatives de contourner à la fois le calendrier de réinvestissement et la règle de pondération du quantum de réduction d'impôt, en donnant à certaines holdings un caractère prétendument animateur de groupe4.

Pour combattre ces dévoiements coupables, le Sénateur Adnot, qui avait milité pour que l'investissement puisse être intermédié par les Fonds Communs de Placement dans l'Innovation (FCPI) et Fonds d'Investissement de Proximité (FIP) alors que le projet de loi ne le prévoyait pas initialement, a annoncé dans sa lettre ouverte du 30 mai qu'il allait proposer, « pour l'année prochaine, une modification de la loi afin d'unifier les avantages fiscaux, quelle que soit la formule utilisée : même pourcentage de réduction (75%), même plafond (50 000€) ». Alors que pour l'instant la réduction octroyée par les fonds est plus faible, au plus égale à 50 % du montant des versements effectués, dans la limite annuelle de 20 000 euros par an.
Etant donné que les fonds ISF ont déjà réussi à lever, au titre de la première campagne de collecte de fonds et d'investissement qui s'est achevée mi-juin 2008 environ 467 M€ (dont FIP 353 M€ et FCPI 114 M€), contre 110 M€ seulement pour les holdings ISF5, et ce en dépit d'avantages fiscaux bien moindres, la mesure prônée par Monsieur Adnot, si elle était votée, signerait la marginalisation voire la disparition pure et simple des holdings ISF.

Outre qu'elle ne suffirait pas en soi à garantir le bon usage des capitaux investis dans le cadre de l'article 16 de la loi TEPA, cette mesure m'apparaît potentiellement contre-productive.
Contre-productive car les holdings ISF ont un rôle à jouer dans le financement de nos PME. De par leur capacité à investir des tickets moindres que les FIP et les FCPI, dont les équipes de gestion se fixent des seuils d'intervention relativement élevés, les holdings ISF sont une des réponses possibles à l'« equity gap » qu'on observe sur le marché français du capital-investissement (difficile de trouver des « tickets » de 100 à 300 k€). De par leur absence de contraintes géographiques, les holdings sont mieux à même d'irriguer l'ensemble du territoire français que les FIP, qui ne peuvent investir que dans quatre régions administratives limitrophes6. De par enfin leur absence de contraintes liées à la labellisation ANVAR, les holdings peuvent financer l'innovation au sens large : positionnement astucieux dans la chaîne de valeur, capacité à mieux gérer les files d'attente, gestion optimisée de la relation client,... alors que les FCPI doivent se cantonner à l'innovation à caractère technologique, ce qui limite leur champ d'intervention à une frange étroite de nos PME. Pour toutes ces raisons, les holdings ISF peuvent, mieux que la plupart des FIP, conduire une véritable politique d'investissement de proximité et adopter un positionnement alternatif en finançant des projets ne présentant pas tous les standards habituellement recherchés par les investisseurs en capital : seuils d'intervention modestes, amorçage d'activités non technologiques, financement de projets à connotation socialement responsable, écologique, ou encore culturelle pas forcément hyper-rentables.

Si l'on veut éviter les dérives, plutôt que dans l'unification des avantages fiscaux des fonds et des holdings, je crois bien davantage dans la nécessité de mieux et davantage encadrer les investissements éligibles à la réduction d'impôt, que ceux-ci soient faits en direct ou par l'intermédiaire de fonds ou de holdings :
Pour éviter le financement de « coquilles vides » de toutes sortes, exiger que les sociétés cibles des investissements justifient d'au moins un emploi salarié (3 si leur activité est libérale) lors de la clôture de leur premier exercice, puis au cours de chaque exercice suivant, jusqu'à la fin de la période d'engagement de conservation des titres (règle inspirée des dispositifs d'exonération d'impôt dans les ZUS).

Pour éviter la prolifération de sociétés nouvelles n'ayant d'autre but que de contourner les plafonds d'investissement, exclure les extensions d'activités préexistantes du champ d'application de la réduction d'impôt. L'extension d'activité se caractérise par l'existence d'un contrat, quelle qu'en soit la dénomination, ayant pour objet d'organiser un partenariat, dans le cadre duquel l'entreprise nouvellement créée bénéficie de l'assistance de ce partenaire, notamment en matière d'utilisation d'une enseigne, d'un nom commercial, d'une marque ou d'un savoir-faire, de conditions d'approvisionnement, de modalités de gestion administrative, contentieuse, commerciale ou technique, dans des conditions telles que cette entreprise est placée dans une situation de dépendance. Ou par le fait qu'un associé exerce en droit ou en fait une fonction de direction ou d'encadrement dans une autre entreprise dont l'activité est similaire à celle de l'entreprise nouvellement créée ou lui est complémentaire.

Dès lors que l'investissement dans sa propre PME reste possible (cette possibilité, à l'origine expressément exclue dans le premier projet de loi, a été rajoutée aux cours des débats parlementaires), interdire les « allers-retours » opportunistes en exposant le redevable ISF qui opte pour cette option à une reprise de l'avantage fiscal en cas de réduction de capital ou de distribution de dividendes dans un délai de "n" mois ou années suivant l'investissement au capital de sa PME.

De même que la France a instauré en complément de "l'amendement Charasse" une règle évitant la sous-capitalisation des holdings dans les montages à effet de levier de type LBO, créer une règle permettant d'éviter la "surcapitalisation" opportuniste de PME qui n'en ont vraiment besoin (exemple : financement par « Monsieur » et quelques amis tous redevables de l'ISF d'un commerce de centre-ville tenu par « Madame », salariée par la structure, à hauteur de 1,5 M€ l'année de sa création).

Encadrer les taux de chargement des fonds et des holdings, pour éviter que l'Etat ne subventionne de facto les équipes de gestion (les premiers FIP et FCPI ISF affichent, pour la plupart, 5 % de droits d'entrée puis environ 4 % de frais de gestion pendant 8 ans).
Je crois aussi dans la nécessité de veiller au strict respect des lois existantes sur le démarchage bancaire et financier et sur l'appel public à l'épargne. Pour éviter de voir de nouveau proliférer, comme cette année, à l'approche de la date limite de paiement de l'ISF, la des messages illicites à caractère promotionnel émanant d'intermédiaires ou de PME en quête de fonds (en particulier sur internet).

En juillet 2007, j'avais personnellement accueilli avec beaucoup d'enthousiasme l'annonce de la création d'un dispositif permettant aux contribuables assujettis à l'ISF de réduire de façon très significative le montant de leur impôt en investissant au capital de PME. A la suppression pure et simple de l'ISF, qui aurait immanquablement suscité de très vives réactions dans le corps social et la classe politique, et qu'il n'avait du reste jamais promis durant sa campagne, Monsieur Sarkozy marquait ainsi sa préférence pour une voie plus discrète et plus sage, consistant à inciter les contribuables concernés (du moins ceux qui ne peuvent pas bénéficier du nouveau bouclier fiscal abaissé), à participer à la dynamisation de notre économie plutôt que de payer l'impôt.
Le dispositif a mis du temps à prendre sa forme définitive. Il a donné lieu, en cette première année de mise en œuvre, à de nombreux détournements qui donneront eux-mêmes lieu à de nombreuses requalifications de la part de l'Administration. Force est de constater, pourtant, qu'en dépit des incertitudes qui ont émaillé son élaboration et de la relative urgence dans laquelle il a fallu investir, les redevables de l'ISF ont été prompts et nombreux à se l'approprier.
Il serait désastreux de casser cette dynamique et il faut évidemment combattre toutes les sortes d'abus et d'infractions. Mais si la loi et les règlements doivent effectivement être modifiés, ce dont je suis convaincu, il convient de veiller à ce que l'ensemble de nos PME, dont on sait les vertus, entre autres, en matière d'emploi et d'innovation, mais aussi l'insuffisance chronique des fonds propres, puissent bénéficier de la manne et y trouver avantage.

Frédéric Ventre
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