SpaceX veut-il vraiment imposer sa propre loi sur Mars ?

04 janvier 2021 à 17h28
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SpaceX - Starship on Mars

La nouvelle a agité le milieu spatial tout le week-end : d’après les conditions d’utilisation du réseau internet Starlink, la société SpaceX aurait l’intention d’élaborer ses propres lois en cas de colonisation de la planète Mars. Et ce en contradiction directe avec le traité de l’Espace, qui fait loi pour toutes les activités humaines au-delà de l’atmosphère terrestre.

Dès vendredi, Julien Lausson de Numerama a fourni une excellente analyse du débat, que nous espérons pouvoir compléter avec nos propres réflexions.

SpaceX veut faire sa loi sur Mars

Une phrase choc a été intégrée dans les conditions générales d’utilisation de Starlink, le nouveau réseau internet satellitaire que SpaceX vient de passer en bêta publique. Dans un paragraphe consacré à Mars, la documentation précise que « pour les services fournis sur Mars ou en transit vers Mars par le biais de Starship ou d’autres vaisseaux de colonisation, les parties reconnaissent Mars comme une planète libre et qu’aucun gouvernement basé sur Terre n’a d’autorité ou de souveraineté sur les activités martiennes ».

Une telle déclaration dans les CGV d’un opérateur internet a de quoi surprendre. Il faut dire qu’avec Starlink, SpaceX voit loin. Outre les milliers de satellites mis en orbite autour de la Terre pour fournir un Internet haut-débit partout sur la planète, la société américaine envisage de développer des réseaux Starlink autour de la Lune et de Mars, afin d’offrir des systèmes de communication locaux.

En parlant déjà de Mars dans ses conditions d’utilisation, on peut donc dire que Starlink anticipe énormément ses activités futures ! Aucune colonisation de Mars n’est prévue avant quelques décennies au moins. Mais si la nature de la déclaration surprend, son contenu n’a pas manqué de choquer tous les juristes et experts du domaine spatial. En effet, en l’état actuel des choses, ce qui est décrit dans ce paragraphe est simplement illégal.

Que dit le droit international ?

D’après le traité de l’Espace, ratifié par la totalité des grandes puissances spatiales, « les activités des Etats parties au Traité relatives à l’exploration et à l’utilisation de l’espace […] doivent s’effectuer conformément au droit international » (Art. III). Si l’on pourrait rétorquer que cet article ne concerne que les Etats, et non pas les sociétés privées comme SpaceX, le Traité poursuit en rappelant que « les activités des entités non gouvernementales […] doivent faire l’objet d’autorisation et d’une surveillance continue de la part de l’Etat approprié » (Art. VI).

Ce sont donc les Etats qui doivent veiller à la légalité des activités menées par des entreprises privées dans l’Espace. Donc, sur Mars, une entreprise américaine comme SpaceX devra respecter le droit international et, le cas échéant, la loi américaine. Et il en va de même pour les vaisseaux en transit.

Comme un navire en pleine mer

À bien des égards, la colonisation du système solaire, si elle a lieu, se rapprochera des Grandes Découvertes navales du XVe et XVIe siècle, le droit maritime contemporain en sus. Concrètement, les villes et autres installations nationales seront régies par les lois de leur pays d’origine. Sur le trajet, les vaisseaux spatiaux se comporteront comme des navires en mer, en appliquant à bord les lois du pays dont ils battent pavillon. En l’occurrence, les vaisseaux Starship devraient être sous le couvert de la législation américaine.

Très concrètement, si un vaisseau décolle du sol Américain, où s’appliquent les lois et règlementations américaines, alors ses lois et règlementations suivront le vaisseau et son équipage dans l’espace, même sur Mars.

SEArch+ habitation Mars

Faut-il créer de nouvelles lois sur Mars ?

À priori, l’extrait du document de Starlink pourrait donc être vu comme illégal. Il est également possible qu’il ait été placé là volontairement, peut-être même pour faire le buzz. Cela pourrait découler d’une volonté de créer un débat dans la communauté spatiale et de bouger les lignes figées depuis l’adoption du Traité de l’Espace en 1967.

En effet, le document de Starlink se positionne très loin dans le futur. Il n’y est pas question d’exploration martienne, mais bel et bien de colonisation, à très long terme. Et s’il est plus que souhaitable que le droit terrestre s’applique aux missions d’exploration actuelles, devra-t-on continuer dans cette voie lorsqu’il sera question de colonisation durable ?

Dans les années 1960, quand le Traité de l’Espace a été rédigé, seuls les Etats disposaient des ressources pour s’établir sur la Lune et envisager des missions sur Mars. Aujourd’hui, ce sont les sociétés privées qui se font le porte-étendard de la colonisation martienne et de l’exploitation des ressources spatiales.

Si un jour des colonies durables s’établissent sur Mars, elles auront probablement besoin de leurs propres lois et de leurs propres règlementations, adaptées aux conditions de vie et de travail propres à cette planète. Sur Terre, de nombreux pays disposant de territoires outre-mer (dont la France) appliquent déjà des législations locales distinctes, adaptées au mode de vie parfois bien différent de la métropole. Le même principe pourra alors s’appliquer aux colons martiens.

Est-ce que SpaceX pourra créer ses propres lois ?

Reste cependant à savoir qui devra rédiger ces nouvelles lois :

  • Pourquoi est-ce que Elon Musk et SpaceX auraient le droit de modifier unilatéralement le Traité de l’Espace ?
  • En quoi est-ce que les sociétés privées auraient plus de légitimité que les Etats pour régir la vie des futurs habitants de Mars ?
  • Et si les Etats délèguent leurs fonctions législatives et/ou régaliennes à des entreprises privées, comment s’assurer de la primauté du droit international sur Mars ?

Durant l’époque des Grandes Découvertes, on se souvient ainsi que la Compagnie des Indes Orientales n’avait pas spécialement œuvré pour le bien-être des populations locales. Ce qui devraient inciter à réfléchir à l’avenir du droit martien, et aux conditions pratiques de la future colonisation.

Et il est d’ailleurs que probable que ce fut là le but recherché par ce paragraphe des conditions générales de Starlink : provoquer le débat et pousser à envisager la colonisation de Mars comme un futur inéluctable, plutôt que comme un rêve inatteignable.

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Commentaires (14)

WillS
C’est intéressant que le débat se lance sur ce sujet, en effet quelles loi doivent s’appliquer sur la lune ou mars? Personnellement je ne serais pas fan d’avoir les lois américaines imposées.<br /> Je pense que les lois martiennes devraient être écrites par les habitants de mars, et c’est ce que disent les cgu de starlink. Par contre, le risque est que ces lois soient écrites par SpaceX et non par les colons, ce qui ne serait pas acceptable à mon avis.<br /> En gros, le débat doit être lancé au niveau de l’onu, et vu leur rapidité, c’est le bon moment pour commencer à y plancher.<br /> Accessoirement, vous coupez aussi la seconde partie du texte:<br /> «&nbsp;Accordingly, Disputes will be settled through self-governing principles, established in good faith, at the time of Martian settlement.&nbsp;»
troy06
Le seul spécialiste en la matière c’est Mark Watney, Space Pirate
Thamien
Et si les futurs habitants de Mars avaient le choix de voter pour des personnes recevant des financements de différentes entreprises tel que SpaceX pour faire campagne et qui une fois élues feraient les lois…<br /> Disruptif non?<br /> Reste à trouver un nom pour qualifier ce régime martien?
FoxLeGoupil
De toute façon, pour le moment et pendant encore de très nombreuses années la colonisation de Mars restera une utopie et ceux qui vous disent le contraire essaient de vous vendre quelque chose (ou se sont fait bernés par ceux qui essaient de leur vendre quelque chose).
cirdan
Les américains sont en train de nous refaire le coup du Far West et de la conquête de l’ouest, où l’anomie était la règle (ou plutôt l’absence de règles).<br /> Heureusement c’est pas pour demain mais ça en dit long sur l’état d’esprit désintéressé qui se cache derrière ces explorations qu’on nous décrit comme nécessaires pour l’avenir de la race humaine…<br /> Petit rappel :<br /> Futura<br /> SpaceX : Elon Musk promet un million de personnes sur Mars en 2050 !<br /> Dans une série de tweets, Elon Musk a dévoilé ses plans de colonisation de Mars et expliqué comment envoyer un million de personnes sur la Planète rouge d’ici 2050. Pour peupler Mars, Musk prévoit...<br />
buitonio
Elon Musk a dû trop regarder la série TV The Expanse
angenoir
et voila comment naissent de futurs conflits !
nicgrover
Elon président… Elon président… Elon président… sur Mars et qu’il y parte en premier…
phil995511
Ceux qui imposent leurs propres lois aux autres sont des dictateurs…
Fulmlmetal
Qu’un industriel veuille imposer ces lois est très dangereux, on sait très bien que les industriels mettent otujoours leurs intérêts et leurs profils au centre de leurs règles, lois, cgu ou cgv. On ne compte meme plus le nombre de cgu abusives qui ont été annulés par la justice en France.<br /> Pour moi, la Lune, Mars, les astéroides doivent répondre à un accord international, un traité interdisant certaines chose, comme l’appropriation ou la destruction d’un site à but indsutriel. Un peu à l’image de l’Antartique qui est un territoire protégé et réservé à l’étude scientifique. Il devrait en etre de meme pour l’espace, un lieu commun réservé à une exploitation purement scientifique.<br /> Pour ce qui est des colonies, je pense que les lois à l’intérieur de la base s’appliquera au pays d’origine mais au dela les règles doivent faire parti d’un traité international.<br /> Cela dity, les colonies de masse (je ne parle pas de bases) ou une population pourra choisir ses lois ce n’est pas pour demain, d’autant que pour cela elle devra etre indépendante, ce qui sera impossible vu qu’il y aura toujours une dépendance de la Terre.
Asakha1
En même temps… Comment les pays ayant adhéré au traité seraient vraiment placés pour être juges de ce que ferait Musk sur Mars ? Il y a aussi l’article 4 qui interdit l’armement de l’espace, et pourtant, aucun pays ayant la capacité d’envoyer un satellite ne se gêne !! Ils ont juste fait les hypocrites en signant ce traité, pensant pouvoir revendiquer un astre s’ils arrivent les premiers, et avoir le reste de la planète avec eux si jamais un autre pays arrivait avant eux pour leur refuser cette revendication !
wackyseb
Après l’achat de terrain, d’îles, on arrive à la colonisation de planète.<br /> Si on n’a pas réussi à créer un état souverain sur notre planète du fait de divergences politiques ou éthiques, il y a matière à se reposer les mêmes problématiques pour une nouvelle planète.<br /> Perso pour Mars, je suis pour un nouvel état démocratique où on essaye de faire mieux.<br /> Pas de religion, pas de différence ethnique.<br /> Un martien est un martien. Sa couleur n’influe pas.<br /> Certainement utopique mais il faut en finir avec nos croyances désuètes qui prônent la guerre au lieu de se concentrer sur la paix.<br /> Peace and Love
guiton2002
A lire ou relire ? Au moins le premier : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Trilogie_de_Mars
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