L'un des quelques posters de la mission Mars 2020 et de son rover Perseverance. Crédit NASA/JPL-Caltech
L'un des quelques posters de la mission Mars 2020 et de son rover Perseverance. Crédit NASA/JPL-Caltech

Huit ans après Curiosity, la NASA envoie un nouveau rover vers la planète Mars. Plus impressionnante, toujours aussi audacieuse, la mission de Perseverance devrait orienter l'exploration de la planète rouge pour la décennie à venir.

Un départ sous haute surveillance

Installé sous sa coiffe, le rover Perseverance est confortablement attaché à la fusée Atlas V qui le propulsera vers l'orbite et vers Mars. Le 22 juillet, la dernière opération a eu lieu sur le véhicule, les équipes se sont faufilées une dernière fois à travers les différentes couches de protection pour lui ajouter son générateur électrique RTG au plutonium. Ce système ingénieux permettra au grand robot de progresser sur le sol martien pendant plus d'une dizaine d'années… mais ne doit pas être mis trop tôt sur le rover, car sans ventilateur sous la coque de protection de Perseverance, il risquerait de faire surchauffer d'autres systèmes. Entre le 26 et le 28 juillet, Atlas V sera poussée sur quelques centaines de mètres pour rejoindre le pas de tir LC-41 de Cape Canaveral. Et, si le compte à rebours se déroule sans anicroche, la nouvelle mission martienne de la NASA devrait décoller le 30 juillet. Un départ en fanfare, devant un public relativement limité à cause de l'épidémie qui touche de plein fouet la Floride.

La mission Mars 2020 sous sa coiffe. On remarquera au fond, le pas de tir d'Atlas V. Crédits NASA/K. Shiflett
La mission Mars 2020 sous sa coiffe. On remarquera au fond, le pas de tir d'Atlas V. Crédits NASA/K. Shiflett

Les équipes de la mission vont devoir garder leur souffle : il faudra pratiquement une heure (57 minutes) avant que l'étage supérieur d'Atlas V éjecte la mission Mars 2020 sur la bonne trajectoire. Tout doit se dérouler exactement comme prévu, du décollage avec l'allumage du moteur central RD-180 et des quatre boosters auxiliaires, jusqu'à la dernière manœuvre de Centaur pour ajuster la transition vers Mars, en passant par une dizaine d'étapes intermédiaires. Si on peut comprendre qu'il est difficile d'assister, impuissants, au décollage d'une mission de plusieurs milliards de dollars, la NASA a tout de même choisi le lanceur le plus fiable à sa disposition, avec 74 décollages réussis d'affilée !

Pour ses 7 mois de trajet, Perseverance se repose sur un « étage de croisière », véritable petite sonde indépendante qui transporte le grand rover à bon port. Elle se charge de la communication avec la Terre, de la régulation thermique du véhicule, des quelques ajustements de trajectoire nécessaires pour viser très précisément le point de l'atmosphère martienne auquel les équipes espèrent faire entrer Perseverance pour son atterrissage. Un rôle capital, qui s'arrêtera seulement quelques poignées de minutes avant d'arriver à bon port, en éjectant le rover, et en allumant une dernière fois ses moteurs pour s'éloigner.

Le 18 février, dans le cratère Jezero…

La séquence d'atterrissage de Perseverance est entièrement automatisée. Il n'y a en effet pas le temps d'échanger des commandes alors qu'il faut plus de 15 minutes aux données pour faire le trajet Mars-Terre… Et autant pour le retour. Comme pour ses prédécesseurs, c'est donc un ordinateur qui va s'occuper de faire atterrir la mission. Après l'éjection de l'étage de croisière, il y a une petite phase d'orientation avant le freinage atmosphérique. Bouclier en avant, Perseverance va se frotter aux fines couches de la haute atmosphère de la planète rouge, en arrivant à 19 500 km/h. A cette vitesse, la « soucoupe volante » va chauffer : la surface externe du bouclier atteint 1 300°C. Quatre minutes après le début du freinage, l'ensemble a atteint les couches basses de l'atmosphère, et ne vole plus qu'à 1500 km/h. Il est entré dans le cratère Jezero (45 km de diamètre), et ouvre son parachute supersonique. La résistance est intense, c'est un moment critique, le rover est ballotté de droite et de gauche. Après 20 secondes, son bouclier est éjecté, et le bloc logiciel qui s'occupe de l'atterrissage entre en jeu.

On voit bien ici en haut l'étage de croisière, puis la protection arrière de Curiosity, le rover encapsulé dessous avec la Skycrane, et le bouclier thermique en bas. Crédits NASA/Christian Mangano

Pendant 90 secondes, les caméras du système d'atterrissage vont observer le sol sous Perseverance, et le logiciel de navigation va les comparer avec ses cartes pré-chargées. Objectif : se repérer par rapport au terrain et préparer les dernières manœuvres, afin notamment d'éviter des zones avec de trop gros blocs, ou bien tout simplement un atterrissage trop lointain de l'ellipse pointée par les équipes d'ingénierie et les scientifiques pour une mission optimale. Pourquoi 90 secondes ? Car déjà, le parachute (et avec lui la coque arrière de protection) ont détaché le rover et son dispositif d'atterrissage, la très fameuse « Skycrane ». Lorsque la chute commence, Perseverance descend encore à 306 km/h, et la surface n'est plus qu'à 2 100m. Il n'y a pas droit à la moindre erreur.

En s'aidant de données radar, des cartes de navigation pré-chargées et des images capturées lors de la descente, la « Skycrane » va se diriger avec un peu de marge vers un site d'atterrissage idéal. Tout est calculé en temps réel grâce à un nouveau jeu d'algorithmes développés spécifiquement pour cette mission et nommé « Terrain Relative Navigation ». En seulement 55 secondes, la Skycrane va freiner le véhicule pour atteindre 2 km/h à seulement 20 mètres d'altitude : elle fait alors descendre Perseverance à l'aide de cinq filins montés sur poulies pour le déposer doucement au sol. Dès le contact estimé (avec une petite marge), Perseverance se détache et la Skycrane se décale sur le côté dans une dernière figure de style avant de se crasher à quelques centaines de mètres.

De quoi trembler pour le sort de la mission ? Absolument. Car vous venez de vivre un condensé des « 7 minutes de terreur » que toute équipe qui compte poser un rover sur la planète rouge doit traverser… Et dont un certain nombre de missions ne sortent pas indemnes.

Lors d'un atterrissage, l'ambiance feutrée de la salle de contrôle disparaît et laisse place à la joie ! Crédits NASA/JPL-Caltech

Ingenuity va tenter l'aventure

Après l'atterrissage sur Mars, il y aura une phase nécessaire pour rapatrier les données et les images de l'opération, ainsi qu'une véritable inspection à distance pour déterminer si tous les instruments et les articulations sont indemnes et capables de remplir leur mission. Cela va durer plus de deux semaines (16 sols, ou jours martiens), et fait partie d'une « pré-mission » de 3 mois au terme de laquelle toutes les équipes doivent être capables d'évaluer ce que le rover peut ou ne peut pas faire à la surface.

Mais au cours de cette période, l'un des éléments les plus intéressants sera le test d'un petit hélicoptère. Car sous le ventre de Perseverance se cache Ingenuity. Un petit cube de quelques centimètres de côté seulement, équipé de deux rotors, d'un petit panneau solaire et de quatre pieds pour sa stabilité au sol. Une fois déplié sur les roches poussiéreuses du cratère Jezero, lui aussi va communiquer avec la Terre et tester ses différents systèmes. Et notamment, lorsque Perseverance se sera éloigné par sécurité… il tentera de voler.

Vue d'artiste du petit hélicoptère bi-rotor Ingenuity. Crédits NASA/JPL-Caltech

Ingenuity est une mission de démonstration technologique. Son double rotor a déjà été testé en chambre à vide, dans des conditions qui répliquent exactement celles de l'atmosphère martienne, mais cette fois il s'agit de faire voler en toute autonomie un drone hélicoptère sur une autre planète ! Si l'expérience est concluante, alors la NASA disposera d'un nouvel outil absolument fascinant, capable de prendre des vues aériennes des futurs sites du trajet et de collecte de Perseverance dans une série de petits « sauts », des vols compris entre 90 secondes et 3 minutes seulement mais qui devraient être riches en émotions. Et si ça ne fonctionne pas, l'agence américaine aura au moins le mérite d'avoir tenté l'aventure, avec en prime des milliers de nouveaux points de données pour améliorer cette solution ou comprendre où est le problème à régler.

Une formidable machine à observer son environnement

Physiquement, Perseverance ressemble beaucoup à son prédécesseur, Curiosity. Mais la comparaison est trompeuse, il s'agit bien du plus imposant rover à tenter une mission à la surface de Mars : 126 kg de plus, pour un total de plus d'une tonne (1 025 kg) ! 3 mètres de long, 2,7 mètres de large et 2,2 mètres de haut, Perseverance fait bel et bien la taille d'une petite voiture, avec six roues et un système de suspension qui a fait ses preuves depuis 1997 et le minuscule robot Sojourner. Ses équipements scientifiques, sur lesquels nous reviendrons dans un autre article, sont perfectionnés pour sa mission d'observation, d'étude du sol martien et de collecte d'échantillons dans cet ancien cratère, qui fut un jour un delta irrigué et une région marécageuse.

Sa mission durera au moins deux années terrestres (une année martienne) complète, mais ce serait un échec si Perseverance ne pouvait pas « pousser » plus loin ses mesures au-delà des premiers objectifs. Pour y arriver, la NASA l'a doté de meilleures roues que son petit cousin, qui devraient s'user beaucoup plus lentement, et dont le revêtement externe a été doublé. Enfin, pour éviter une fin de mission prématurée à cause des tempêtes de sable qui peuvent couvrir toute la surface de Mars, et abaisser la luminosité jusqu'à rendre les panneaux solaires inopérants, Perseverance est donc équipé d'un « générateur radioactif » au plutonium (RTG).

Un test pour accoupler le RTG avec le rover Perseverance lors de la préparation au lancement. Crédits NASA/KSC

Pièce d'ingénierie unique, le RTG n'est pas un réacteur, il n'y a pas de réaction chimique au sens propre : des palets de plutonium 238 radioactif sont chargés dans un tube blindé et isolé, et leur chaleur est convertie en électricité pour alimenter les moteurs des roues et les expériences scientifiques. Cette méthode a fait ses preuves depuis des décennies. Entre autres, c'est ce qui permet aux sondes Voyager d'être encore actives, 43 ans après leur décollage… Les équipes scientifiques espèrent que Perseverance sera actif jusqu'en 2028 ou 2030, assez pour observer et étudier un maximum de sites dans le cratère Jezero et peut-être même pour se lancer dans une longue traversée vers un autre site nommé Midway, situé à une vingtaine de kilomètres de là.

Le retour d'échantillons commence ici !

C'est peut-être l'élément le plus important de la mission de Perseverance : ses 43 tubes en acier recouverts d'un revêtement spécial, stérilisés et traités pour ne présenter aucune contamination, aucune trace de leur préparation terrestre. 39 d'entre eux devront en effet servir à collecter des échantillons de matière à la surface de Mars. Prélevés par un système de perceuse à percussion au bout de son bras de 2 mètres de long, les échantillons sont ensuite stockés dans l'un de ces tubes, avant d'être scellés, et tout simplement déposés à la surface de Mars. Si tout se passe bien, la stratégie consiste à regrouper plusieurs échantillons, plusieurs tubes les uns avec les autres pour les poser ensemble, et faire en sorte qu'il soit plus facile d'en retrouver un certain nombre à un seul endroit.

Le système complexe embarqué sur le rover pour conserver, trier et examiner les échantillons de sol. Crédits NASA/JPL-Caltech

Car oui, c'est toute la spécificité de Perseverance, il est le premier élément d'une mission au long cours que l'on appelle pour l'instant Mars Sample Return. Un projet si complexe qu'il est partagé entre américains et européens. A la fin de la décennie, un autre petit rover sera envoyé vers Mars sur une plateforme imposante. Il aura pour mission unique de s'orienter et de récupérer efficacement et rapidement les tubes scellés et déposés par Perseverance, pour les ramener à sa plateforme… Laquelle servira ensuite à faire décoller une petite fusée destinée à atteindre l'orbite martienne. Un autre véhicule viendra alors, en orbite, capturer les échantillons et les placer dans un module de retour qui se dirigera vers la Terre.

Un scénario incroyablement complexe, pour lequel aucune des briques technologiques ne doit faillir… Et dont la mission initiale repose sur les épaules du grand rover Perseverance. Un défi à la hauteur des ambitions vers Mars !