Copie privée sur les produits reconditionnés, un amendement anti-écologique ?

Alexandre Boero
Par Alexandre Boero, Journaliste-reporter, responsable de l'actu.
Publié le 02 février 2021 à 15h42
© blickpixel / Pixabay
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La rémunération ou redevance copie privée s'applique aujourd'hui à l'achat de produits neufs. Demain, elle pourrait être étendue aux produits reconditionnés.

Dans le cadre de la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, le ministère de la Culture souhaite l'instauration de nouvelles taxes, dont l'une viendrait notamment frapper les produits reconditionnés déjà soumis à la redevance copie privée, et en ajouter d'autres. Si un amendement a été adopté par le Sénat, le gouvernement veut l'écarter d'un revers de la main, à la demande du Premier ministre Jean Castex, comme l'indique notre confrère de Next INpact, Marc Rees. Offrons-nous d'abord une piqûre de rappel de ce qu'est la redevance copie privée, avant de voir ce que son application à certains produits reconditionnés pourrait changer.

La redevance copie privée appliquée à l'achat de nombreux appareils électroniques

Instaurée en Allemagne en 1965, la rémunération pour copie privée est arrivée en France plus tard, en 1985. Encadrée par la loi, cette redevance consiste à autoriser n'importe quel citoyen français à faire des copies de contenus dits « culturels » pour son propre usage personnel. Cela concerne aussi bien les films, les séries et autres vidéos que les musiques, les arts visuels ou les photos, qui doivent avoir été acquis en toute légalité.

En échange de cette autorisation qui fait figure d'exception au droit d'auteur, chaque consommateur qui achète une tablette, un smartphone, une clé USB ou un disque sur externe, en bref tout support avec une capacité de stockage, verse indirectement une part minime du prix de son achat aux auteurs, artistes, compositeurs, producteurs et éditeurs des œuvres copiées, notamment par l'intermédiaire de la SACEM, à 75 %, et à hauteur de 25 % à destination du spectacle vivant.

Cette rémunération, qui porte sur un faible pourcentage du prix (c'était 1,43 % du prix de vente de l'iPhone 11 de 256 Go par exemple), est généralement imputée par les fabricants des appareils concernés au prix final payé par les consommateurs.

Cette redevance copie privée, le gouvernement souhaite l'appliquer aux appareils reconditionnés et l'étendre à de nouveaux appareils, comme les disques durs internes et ordinateurs, qui étaient jusque-là épargnés. Autant dire que la démarche, pas très écologique, pourrait freiner l'essor de la pratique visant à s'équiper de biens reconditionnés, et finalement favoriser l'achat d'appareils neufs, allant à l'encontre donc de l'esprit initial de la proposition de loi.

Les temps sont durs pour la « copie privée »

Si vous êtes de fidèles lecteurs de Clubic, vous avez peut-être lu nos différents papiers autour de la proposition de loi destinée à lutter en faveur de la sobriété numérique, ou « loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France ». Vous n'êtes donc pas sans savoir que tout un pan de ce texte, qui transite entre les deux chambres du Parlement depuis plusieurs semaines, concerne le reconditionnement des appareils, dont les smartphones. Le législateur souhaite notamment que le reconditionnement jouisse d'un véritable traçage pour que l'utilisateur final soit informé du pays de provenance, de la suppression des données ou de la sécurité de l'appareil.

Sauf que les recettes tirées de la redevance copie privée ne cessent de diminuer : 300 millions d'euros en 2018, 271 millions d'euros en 2019. Et la baisse progressive des copies privées sur les différents supports visés n'aide pas, les plateformes de streaming audio ou vidéo et les bibliothèques interactives comme Kindle ne font que renforcer le phénomène.

Et tout cela a poussé le gouvernement à militer en faveur de l'application d'une taxe sur la vente de produits reconditionnés. La copie privée est donc entrée en scène. « Le gouvernement prévoit de taxer les téléphones reconditionnés en leur appliquant une redevance copie privée qui ferait augmenter le prix de vente des téléphones reconditionnés de plus de 10 % et entraînerait la disparition de plusieurs entreprises actives sur ce secteur" redoute le Syndicat interprofessionnel du Reconditionnement et de la Régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms, le SIRRMIET.

La copie privée sur le reconditionné, comme un pied-de-nez à l'écologie ?

En théorie, le consommateur n'est censé payer qu'une seule fois cette redevance pour un même produit. Faire tomber les produits reconditionnés dans le giron de la redevance copie privée reviendrait, pour le gouvernement, à se tirer une balle dans le pied. Et le comble serait que la loi sur la réduction de l'empreinte environnementale du numérique y contribue. Car il est difficile de trouver une dimension écologique à l'application de la « taxe » sur le reconditionnement.

Si les Français sont évidemment sensibles aux arguments de l'achat d'un produit reconditionné comme limitant leur impact sur la planète en s'éloignant de l'achat neuf, l'argument financier (un prix plus bas que l'achat neuf) est particulièrement important. Jouer sur celui-ci en poussant les distributeurs à augmenter les tarifs des produits reconditionnés irait contre l'esprit de la loi. Au gouvernement maintenant d'inverser la tendance et de trouver une autre solution pour donner un nouveau souffle à la copie privée. Si tant est que cela soit possible…

Source : Next INpact

Alexandre Boero
Par Alexandre Boero
Journaliste-reporter, responsable de l'actu

Journaliste, responsable de l'actualité de Clubic. En soutien direct du rédacteur en chef, je suis aussi le reporter et le vidéaste de la bande. Journaliste de formation, j'ai fait mes gammes à l'EJCAM, école reconnue par la profession, où j'ai bouclé mon Master avec une mention « Bien » et un mémoire sur les médias en poche.

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Commentaires (10)
Sans_Plot

J’avais déjà lu l’article de NextInpact à ce sujet, et comme c’est si bien expliqué dans cette article, les décisions prise ou en débat au gouvernement ne semble avoir ni queue ni tête :frowning:

LeToi

C’est possible de payer 2 fois une taxe sur un même produit ? Genre une TVA sur un produit d’occasion ? Ce serait un peu injuste tout de même pour le consommateur…

Nmut

Comme beaucoup de propositions de loi, au lieu de réfléchir et de discuter sur le problème, chaque sénateur et député essaye de pousser un changement/un amendement de la loi pour se faire remarquer, juste montrer qu’il est un opposant sur qui il faut compter et/ou faire du buzz dans les médias et au final on a une loi bancale, voire inique, qui ne correspond en rien au but initial de celle-ci qui était (en général) plutôt bon…

AlexLex14

La logique du gouvernement est effectivement difficile à suivre… :confused:

Après, je pense à une chose : ne serait-ce pas (c’est une supposition) un « cadeau » fait au monde de la culture ? (Qu’en pensez-vous ?) Même si les sommes restent minimes, ça peut être envisageable… Mais je pense que le gouv fera machine arrière là-dessus, car c’est vraiment totalement contre-productif surtout avec cette loi.

Paul_Hewson

Quand il s’agit de taxes ou d’impôt, tout est possible. C’est le seul domaine où des lois rétroactives sont appliquées, bien qu’anticonstitutionnelles.

Niverolle

Que la lumière de l’ENA vous inonde !

TheLoy

Donc on paye une taxe qui nous donne le droit de réaliser des copies privées des oeuvres numériques que l’on a achetées, d’accord…
Mais qu’elle est la proportion d’utilisateurs réellement concernée en fait ?
En dehors de cette histoire de copie privée, ça me donne un peu l’impression que c’est une taxe mise en place pour couvrir le manque à gagner causé par le piratage. Et encore une fois tout le monde se retrouve à payer quelque chose qui ne concerne qu’une petite partie de la population.

Et maintenant il faudrait repayer pour des produits reconditionnés sur lesquels la taxe a déjà été acquittée ?! Ils sont forts les parlementaires…

TheLoy

Si le gouvernement veut faire un « cadeau » au monde de la culture que ce soit présenté comme tel plutôt que de cette manière. Et si tel était le cas ce serait un bien plus gros débat de justifier pourquoi la culture pourrait bénéficier d’un tel geste et pas les autres secteurs.

AlexLex14

Je suis d’accord :+1:

rsebas3620

ce n’est pas une taxe mais une redevance DU SUPPORT lui meme de ce fait reconditionné ou pas si le support n’est pac changé cette redevance ne peut s’appliquer et ne peut etre demandé si au consommateur ni a l’entreprise qui reconditionne le produit… cette redevance ne s’applique que sur le stockage