Les astronautes sur l'ISS mis en sécurité après un test d'arme anti-satellite russe

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
15 novembre 2021 à 23h00
30
© ESA
© ESA

Dans la nuit du 14 au 15 novembre, la Russie a testé une arme anti-satellite, détruisant Cosmos 1408, en orbite autour de la Terre depuis 1982. Les réactions se multiplient autour du monde, les États-Unis ayant d'ores et déjà détecté plus de 1 500 débris, tandis que les astronautes de l'ISS ont dû stopper leurs activités pour se protéger dans la journée.

L'essai, au-dessus de 400 km d'altitude, va augmenter les tensions et les potentielles collisions.

Un lundi pas comme les autres

Non, ce n'est pas Gravity, et non, la Station spatiale internationale n'est pas en perdition. Mais ce 15 novembre au matin, les astronautes ont dû cesser leurs activités pour fermer les écoutilles des différents modules et rejoindre leurs capsules spatiales… À plusieurs reprises. Il arrive que des débris détectés tard passent à proximité de l'ISS et forcent ainsi les astronautes à prendre refuge, mais un tel événement forçant les occupants de la station à changer leur planning pour toute la journée est rarissime.

Il se trouve qu'il ne s'agit pas que d'un débris, mais d'un « nuage », une zone complexe au sein de laquelle de nombreux débris (certains avec plus d'énergie que d'autres) sont encore non identifiés et ont une trajectoire incertaine. L'ISS ne passe pas directement dans cette zone, mais à proximité, aussi les différentes agences ont-elles pris un maximum de précautions.

La station spatiale internationale peut manoeuvrer, mais n'a pas les moyens de détecter par elle-même des débris potentiellement dangereux. Crédits : NASA
La station spatiale internationale peut manoeuvrer, mais n'a pas les moyens de détecter par elle-même des débris potentiellement dangereux. Crédits : NASA

Et un mardi tendu aussi ?

En attendant ce mardi 16 novembre, une possible manœuvre de la station, plusieurs modules vont rester fermés durant la nuit (en particulier ceux qui sont « à l'avant » et n'offrent pas de protection spécifique) comme le module japonais Kibo et l'européen Columbus. Les astronautes vont dormir « dans l'axe » de la station. En cas d'urgence, les membres de la mission Crew-3 rejoindront Crew Dragon, tandis que Mark Vande Hei, Anton Shkaplerov et Piotr Dubrov gagneront leur Soyouz.

Au risque d'insister sur ce point, face à différentes rumeurs, les sept astronautes de l'ISS vont bien, la station n'a rapporté aucun impact de débris dans la journée, il s'agit de mesures de sécurité. L'Allemand Matthias Maurer a plaisanté en affirmant qu'il allait exprès dormir en compagnie d'un scaphandre EMU (ceux qui sont utilisés pour les sorties spatiales).

On se serait passés d'ASAT

Cette journée très ennuyeuse pour les astronautes n'est cependant pas due au hasard. Car si ces dernières années les risques de collisions entre satellites ont augmenté (en parallèle avec les moyens de détection), il ne s'agit pas ici d'un accident.

En début de soirée, le département d'État américain a confirmé les rumeurs qui couraient depuis la fin de la matinée : le nuage de débris suivi en orbite basse est bel et bien dû à un test ASAT russe, réalisé dans la nuit du 14 au 15 novembre et très probablement mené depuis la base russe de Plesetsk. La situation, qui a généré un important mouvement diplomatique ce soir, est suivie de près car elle est problématique : ce sont au moins 1 500 débris qui sont suivis par les antennes américaines, sur une zone qui s'étale déjà sur plus de 40 kilomètres d'altitude.

Les capacités de détection n'étant pas infaillibles, les États-Unis s'attendent à plusieurs milliers de débris supplémentaires plus petits. Une majorité d'entre eux resteront en orbite durant plusieurs années, et il faudra du temps pour cataloguer l'ensemble des pièces les plus importantes… Qui viennent s'ajouter à une grande population de satellites en orbite, en pleine expansion.

Un minuscule impact avait été détecté il y a quelques mois sur le bras robotisé Canadarm2. Débris ou micro-météorite, il ne faisait pas plus de quelques millimètres de diamètre. Crédits : NASA
Un minuscule impact avait été détecté il y a quelques mois sur le bras robotisé Canadarm2. Débris ou micro-météorite, il ne faisait pas plus de quelques millimètres de diamètre. Crédits : NASA

Dans la joie et la bonne humeur

Un test ASAT (pour arme Anti SATellite) consiste le plus souvent à faire décoller un missile depuis le sol, qui va approcher le satellite grâce à un suivi de ses systèmes internes soutenus par des radars au sol. Il se fragmente juste avant d'atteindre son but, afin de s'assurer que le satellite visé sera dans son « cône de destruction ».

Ce sont des armes universellement considérées comme problématiques, car lorsque le projectile ASAT frappe le satellite, les débris générés s'éparpillent sur une quantité impressionnante d'orbites différentes, et dérivent au cours du temps. Pourtant, malgré les protestations de l'ensemble des grandes agences, des organismes internationaux et des départements d'État sur la question, les USA et la Chine ont déjà réalisé ce genre d'action, ainsi que l'Inde en 2019, et maintenant la Russie. Les débris des tests américains et indiens n'encombrent cependant plus l'orbite, le « modèle à ne pas suivre » était unanimement considéré comme la destruction du satellite Fengyun-1 à 865 km d'altitude : des milliers de débris sont encore là 14 ans plus tard.

Vue d'artiste d'un satellite Tselina-R, probablement identique à celui qui a été détruit la nuit dernière. Crédits : Yuzhnoye via Gunter's Space Page
Vue d'artiste d'un satellite Tselina-R, probablement identique à celui qui a été détruit la nuit dernière. Crédits : Yuzhnoye via Gunter's Space Page

À l'épreuve de la diplomatie

Le test ASAT russe de ce mois de novembre a détruit le satellite Cosmos-1408, une grosse unité de 2 tonnes envoyée en orbite en 1982 et désactivée depuis des décennies. Il faisait partie de la famille de satellites Tselina, dédiée à l'écoute de signaux électroniques et radio (ELINT), et son orbite était estimée entre 465 et 490 km d'altitude pour une inclinaison de 85°.

L'impact à moyen terme de cette opération sur les activités de l'ISS n'a pas été estimé, mais les États-Unis ont précisé que « ce test augmentera significativement les risques pour les astronautes et cosmonautes de la station spatiale internationale, ainsi que les autres activités habitées ». L'influence sur la station spatiale chinoise, sur une orbite à plus basse altitude, n'a pas encore été précisée non plus. Le Royaume-Uni a également fait savoir son mécontentement en début de soirée. Les échanges risquent de se refroidir.

Source : Space News

Eric Bottlaender

Spécialiste espace

Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

Lire d'autres articles

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

Lire d'autres articles
Vous êtes un utilisateur de Google Actualités ou de WhatsApp ? Suivez-nous pour ne rien rater de l'actu tech !
google-news

A découvrir en vidéo

Rejoignez la communauté Clubic S'inscrire

Rejoignez la communauté des passionnés de nouvelles technologies. Venez partager votre passion et débattre de l’actualité avec nos membres qui s’entraident et partagent leur expertise quotidiennement.

S'inscrire

Commentaires (30)

SPH
Quel malheur
bmustang
les russes font du nettoyage avant que quelqu’un récupère le satellite avec un cargo poubelle, pas con ces russes !
v1rus_2_2
Je le prédis que d’ici 20 ans, on va avoir le droit à un jolie syndrome de Kessler
komawok
Ce serait intéressant de voir si une simulation de la théorie du chaos à partir de ce seul satellite pourrait mener au syndrome de Kessler par réaction en chaine
pecore
Typique des états voyous : on fait se qu’on veut et tant pis si ça impacte le reste du monde. Et un petit coup de provoc militariste en passant, ça fait toujours plaisir. Au final ce n’est rien de bien nouveau.
Bombing_Basta
«&nbsp;Pourtant, malgré les protestations de l’ensemble des grandes agences, des organismes internationaux et des départements d’état sur la question, les USA et la Chine en ont déjà réalisé, ainsi que l’Inde en 2019 , et maintenant la Russie. Les débris des tests américains et indiens n’encombrent cependant plus l’orbite, le « modèle à ne pas suivre » était unanimement considéré comme la destruction du satellite Fengyun-1 à 865 km d’altitude : des milliers de débris sont encore là 14 ans plus tard.&nbsp;»<br /> Bref, tous aussi cons les uns que les autres, mais la Chine en tête semble-t-il.
fg03
Bientôt des constats dans l’espace… les fudées vont devoir contracter des assurances tous risques.<br /> C’était pas plus simple de faire rentrer le satellite danbs l’atmosphère ou il se serait embraser et les restes tombés dans l’océan si il en reste pour ensuite être récupéré ?
pinkfloyd
Le film gravity avait donc vu juste !
Kriz4liD
Avec autant de débris autour de la planète, le réchauffement climatique devrait baisser.
xylf
il dit qu’il voit pas le rapport
fred2bar
Merci pour cet article plein de mesure. La militarisation de l’espace semble tout de même accélérer.
Proutie66
Nous avons besoin de cette homme.<br />
Bombing_Basta
Le but c’était de tester une arme pour faire la guéguerre aussi dans l’espace, pas de désintégrer un satellite…
BossRreynolds
des satellite qui ont couté des milliards et un seul tir pour l’effacer au lieu de le reconvertir, c’est pas intelligent du tout, on nage dans la folie à ce niveau. Détruire… detruire… detruite ça me fait penser «&nbsp;au Dr Who et les Dalecks&nbsp;» du genre Exterminé… Exterminé… faut qu’ils arrete de faire l’armée, car qui, et on ,ne nous dis pas que le CHAOS viens pas ces ou ce genre de théorie destructrice, pour prouver quoi, d’avoir depensé combien de salaire dans l’histoire de quel suprématie, et cela pour l’avenir des futures technologie ; Satellite ou station spatial, et le voyage vers MARS… «&nbsp;attack&nbsp;» du coup : EXTERMINER !!! alors qui est «&nbsp;dans la lune ?&nbsp;».<br /> NB : donc si c’est ça le pouvoir ?, ou, il faut reflechir avec celui qui est bon, honnete, et qui est vraiment fiable. et qui parle pas de missile, torpille, destruction et GUERRE… maman, NON ce n’est plus du pouvoir c’est de la Tyrannie (a effet booleen et exponentiel). Donc STOP de tout casser… Hein ! Notre patrimoine phylosophique en prends un coup.<br /> doux jesus…! marié à penelope (nan je blague)
Palou
BossRreynolds:<br /> des satellite qui ont couté des milliards et un seul tir pour l’effacer au lieu de le reconvertir<br /> et nous sur Terre on nous impose de recycler quasiment tout … porca miseria
SPH
40000 km/h<br /> C’est parfois la vitesse d’un débris spacial. La réaction en chaîne est proche…
Gweegoo
Et il y a peu de temps, la Chine, l’allié russe, a testé une arme capable d’emporter une tête nucléaire à des vitesses plusieurs fois celles du son pour atteindre n’importe quelle endroit sur terre en passant par l’espace et sans possibilité d’interception. Ces démonstrations rappellent celles qui avaient lieu et les préparations avant de grands conflits armés, plus le niveau de pouvoir au maximum actuellement d’un Xiping ou d’un Poutine.<br /> Il me semble évident que ces 2 la ont sans doute prévu de tester la suprématie américaine durant leur “règne”, sans doute en commençant par Taïwan et ensuite voir l’évolution selon les résultats.
Pck
Et ce , sans demander au préalable l’avis de leur followers sur Twitter ? Du coup, il y a tout une bande en LEO qui est en solde. Certes, inexploitable pour quelques années, mais pouvant ensuite devenir disponible pour une constellation … Russe… Ici bas, cela s’appelle (ait) … «&nbsp;politique de la terre brulée&nbsp;», non ? Désolé, je tente l’humour tellement cette action est … inqualifiable !!!
Nemor
Les missiles nucléaires intercontinentaux sont déjà des fusées en soit. Le missile français M51 passe déjà par l’espace pour atteindre ses cibles. C’est tout l’intérêt de la recherche sur les lanceurs spatiaux pour les états, acquérir des compétences balistiques réutilisables pour leurs missiles.<br />
Gweegoo
La différence, d’après l’article, serait la vitesse du missile Chinois qui rendrait le missile non-interceptable.
pecore
Bien sur mais il s’agissait d’une démonstration de force, un message envoyé à la ville et au monde comme quoi la Russie a les moyens de détruire tout satellite ou toute station spatiale qui ne lui revient pas.
JeanM64
Les Russes comme les Étasuniens ont ces moyens la différence c’est que pour les US c’est Silence Radio généralisé mais quand ce sont le Russes (ou les Chinois) c’est une provocation (par principe, dangereuse) !<br /> orbite différent et assez lointain de la station spatiale, pas très utile donc d’en faire un fromage.
clintl
Le pire des états «&nbsp;voyous&nbsp;» comme vous dites est la Chine. Donc on cesse de commercer avec eux ?
Pck
@Bottlaender<br /> Quel est l’impact pour l’immédiat et le proche futur? - l’ISS va t elle devoir être en procédure d’urgence périodiquement? - la montée de satellites (les derniers 53 Starlinks G4-1 par exemple) est elle sous risque lors de leur progression vers les bandes de 550km ? - à l’inverse le «&nbsp;retour&nbsp;» (decay) bien moins contrôlable de satellites en fin de vie (par exemple des dizaines puis des milliers de Starlinks à venir ) sera elle aussi à risque? Ça doit bosser dur à la NASA, à l’ESA chez SpaceX et autres lanceurs… L’espace est grand mais, dans ce délire, l’altitude a été bien mal «&nbsp;choisie&nbsp;» !
EricARF
Vous voulez parler de quel pays en particulier? Les USA, l’Europe, la Chine?
EricARF
Nous avons même réussi à pourrir l’espace. Quelle grande espèce que l’humanité.
ebottlaender
Dans la vie de tous les jours ça ne devrait pas changer trop grand chose, pour la station comme pour les starlink par exemple, mais ça veut surtout dire que les alertes pour les conjonctions (les passages proches) vont encore augmenter, et avec le risque de collision. La Station peut toujours manoeuvrer, mais pour certains satellites c’est plus limité, ou alors manoeuvrer leur fait perdre la continuité de mesures scientifiques. Et enfin, si il y a un satellite en panne, il peut prendre un impact à cause de ces nouveaux débris.<br /> P. Baptiste, le directeur du CNES a déclaré en conférence hier que la France estimait que le risque de collision en orbite basse est augmenté de 5% suite à cette destruction.
pecore
EricARF:<br /> Vous voulez parler de quel pays en particulier? Les USA, l’Europe, la Chine?<br /> L’Europe n’est pas encore un état. Plus tard peut être, beaucoup, beaucoup plus tard même d’après ce que je vois.<br /> Quant aux pays auxquels je pourrai penser ce n’est pas pertinent vu qu’ici il est question de la Russie. Parler d’autres pays et se mettre à comparer qui est le plus vilain ne ferait que dévier le sujet.
Pck
Merci pour cette réponse objective et mesurée.
Voir tous les messages sur le forum
Haut de page

Sur le même sujet