Du déballage au décollage, la préparation finale d'un satellite

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
29 octobre 2021 à 15h52
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Le satellite Quantum d'Eutelsat, qui est arrivé en orbite sans problème. Crédits Airbus DS 2021
Le satellite Quantum d'Eutelsat, qui est arrivé en orbite sans problème. Crédits Airbus DS 2021

Ca y est, votre grand satellite est enfin arrivé au centre de lancement ! Finalement, il ne reste plus que quelques détails, et tout sera réglé… Non ? Eh bien, pas toujours. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles les satellites restent en général un bon mois à proximité du pas de tir !

Et pour certaines sondes, c'est parfois beaucoup plus

C'est à vous, cette boite ?

Bon, déjà : bravo. Vous avez vaincu l'adversité en réussissant à terminer votre satellite comme son cahier des charges l'exigeait. Vous avez évidemment testé ses capacités avec ses équipements (dans la limite de ce qu'il est possible de faire sur Terre dans une chambre à vide, une chambre acoustique, un environnement électromagnétique contrôlé). Puis vous avez envoyé votre dossier, qui est revenu avec le bon tampon des autorités françaises - car oui, si vous êtes une entreprise française ou que vous utilisez un lanceur français, il faudra que votre satellite soit conforme à la LOS, la « Loi sur les Opérations Spatiales ». Vous avez contracté une assurance, qui vous a coûté fort cher (en général entre 3 et 5,5% de la valeur de votre énorme bijou).

Et puis vous avez vu l'énorme caisson contenant votre satellite quitter vos locaux pour aller prendre un avion (généralement un Antonov An-124) et décoller pour la Guyane. Certains dans l'équipe ne reverront jamais l'objet, mais d'autres vont faire le trajet avec lui. Car c'est immuable : il va falloir l'accompagner jusqu'à ce qu'il soit sous la coiffe du lanceur, et même après. Pas question de le laisser à d'autres !

Le déballage du satellite SES-17 au Centre Spatial Guyanais. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/JM Guillon
Le déballage du satellite SES-17 au Centre Spatial Guyanais. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/JM Guillon

Au royaume des checklist

A son arrivée, après le déchargement et le trajet en camion jusqu'au Centre Spatial Guyanais, c'est l'heure du déballage. Mais attention : uniquement dans des conditions maîtrisées (salle blanche). Une première inspection a lieu pour vérifier que le caisson n'a pas pris de choc, ou n'a pas subi de dépressurisation dans l'avion. C'est déjà arrivé, avec pour résultat très simple un retour à l'envoyeur… Pour de très rares exceptions, les satellites peuvent aussi prendre le bateau (à cause de leur taille, comme le James Webb Space Telescope, ou d'une fragilité particulière).

Une fois entièrement sorti et inspecté, le satellite est installé sur une première station de travail. Et là encore, inspection générale ! Le satellite est passé de la positon « debout » à l'horizontale, puis à nouveau debout. Or, ces machines sont sensibles à la gravité : ce n'est pas le moment de détacher un panneau solaire ! A ce moment de la préparation, l'industriel peut encore avoir plusieurs choix de tests prévus à l'avance, car les installations sur place le permettent. Pour des essais de vibration, par exemple, qui simulent le lancement, ou bien pour le déploiement des panneaux solaires, le test des cellules… Et bien entendu, des tests de connexion électrique. A la fin de cette séquence (qui peut être très courte si l'industriel a mené ces essais en amont), les différentes connectivités mécaniques et électriques avec le dispositif déployeur sont testés.

Inspection du JWST après son déballage du caisson de transport et sa mise à la verticale. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/P.Piron
Inspection du JWST après son déballage du caisson de transport et sa mise à la verticale. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/P.Piron

Les ergoliers prennent les commandes

Le satellite passe ensuite dans les mains des ergoliers. Ces derniers, qui opèrent dans des scaphandres étanches, une atmosphère rigoureusement contrôlée et des procédures de sécurité qui ne s'improvisent pas, vont remplir les réservoirs du satellite. L'opération prend du temps, car il faut vérifier qu'ils sont déjà étanches à la pressurisation avant de pouvoir injecter le précieux mais si dangereux ergol : l'hydrazine. De son nom officiel Diazane (N2H4), ce dernier est d'une efficacité impressionnante et peut être stocké très longtemps dans le réservoir d'un satellite.

Ce n'est que lorsqu'il passe sur une lame métallique que ce liquide réagit et se transforme en un gaz très chaud, ce qui permet en dosant l'apport de disposer d'une propulsion contrôlable à très bon rendement. Seul problème : il est hautement toxique pour l'humain et très corrosif, ce qui nécessite des équipes extrêmement bien formées pour remplir les réservoirs d'un satellite. Et vous l'avez deviné, une fois que c'est rempli, il faut laisser reposer : là encore, pas question que ça goutte en sortant de la pièce.

Un ergolier s'occupe de SES-17. Notez les pictogrammes sur les bouteilles... Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/JM Guillon
Un ergolier s'occupe de SES-17. Notez les pictogrammes sur les bouteilles... Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/JM Guillon

Empilage de luxe

Il est ensuite temps de commencer à retirer les grandes protections « Remove before flight » disposées un peu partout. Pas toutes encore, mais déjà celles qui protègent les panneaux et bloquent la majorité des interfaces mécaniques. Le satellite est hissé de son dispositif de transport et de travail à son dispositif d'éjection. Et tout ce petit monde change de bâtiment ! Eh oui, c'est déjà l'heure de la préparation à la mise sous coiffe.

Ici, il faut faire très attention. Déjà, parce qu'il faut rappeler que le satellite a ses réservoirs pleins. Ensuite, parce qu'il s'agit d'un ballet assez complexe à base d'instruments de levage qui manipulent des gens, des plateformes ou des bidules de quelques tonnes valant plusieurs (centaines de) millions d'euros. Ici, tout est question d'ordre. Le satellite sur son éjecteur est installé sur un adapteur, qui accueille la coiffe, et qui lui-même est installé sur l'étage supérieur du lanceur (l'ESC, dans le cas d'une Ariane 5 ECA)… s'il est le plus petit des deux merveilles de technologies qui vont être envoyées en orbite !

En effet, comme Ariane 5 réalise des lancements doubles, il faut ensuite installer au-dessus du plus petit satellite le dispositif Sylda, qui permet d'installer un second satellite plus gros et plus lourd sur la partie supérieure. Pour les lanceurs « classiques » comme Proton, l'éjecteur et son adaptateur sont directement fixés sur l'étage supérieur. Sur Falcon 9, il y a une pièce d'adaptation sur laquelle est fixée la coiffe.

Installation de la coiffe de Vega (qui contient les satellites du lancement Pléiades NEO de cet été) au sommet de Vega. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/P.Piron
Installation de la coiffe de Vega (qui contient les satellites du lancement Pléiades NEO de cet été) au sommet de Vega. Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/P.Piron

Sous la coiffe, antichambre de l'espace

Ca y est, les dernières protections ont été enlevées avant l'encapsulation. Cette fois, le satellite est en attente de son lancement ! Cela veut dire qu'une partie de l'équipe peut rentrer en France métropolitaine, car il reste en général une bonne semaine avant le décollage, et les satellites ne sont plus accessibles (il reste de rares exceptions, notamment aux USA pour certaines sondes qui sont mises en place sur leur lanceur encore plus tôt). Ensuite, la coiffe est mise au sommet du lanceur, et ce dernier est transféré sur le pas de tir.

Il reste bien entendu une équipe sur place pour suivre les données et s'assurer par exemple que les batteries ne commencent pas subitement à perdre de la charge, ou que le lien entre les données satellites et le lanceur est endommagé. Il faudra tenir les satellites à l'œil jusqu'au moment du lancement, et même de leur éjection (si le lien de données le permet) pour s'assurer que tout se passe comme prévu. Et en cas de doute, il vaut toujours mieux vérifier : une fois les moteurs allumés, il n'y a plus de place pour l'erreur.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (6)

norwy
Bravo et merci pour ces détails.<br /> Article très intéressant.
Koin-Koin
Prochain article : «&nbsp;votre fenêtre de lancement a été loupée ou annulée, maintenant il faut ranger en attendant la prochaine&nbsp;» ^^
nicgrover
Très intéressant car nombres de détails ignorés. Et l’humour pour ne rien gâcher.
Gweegoo
C’est intéressant. J’aurais bien aimé que la comparaison avec la concurrence soit plus développée, notamment celle privée qui vient des USA. Sait-on s’ils appliquent les mêmes process ou s’ils ont optimisé / simplifié / pris plus de risques? J’imagine que la concurrence et le prix se jouent à ce niveau.
Snooteck
bravo je rejoins, très intéressant de connaitre les étapes
Gregouille
Article de vulgarisation bien fait et bien écrit - juste quelques approximation. Par exemple, il n’y a pas d’Antonov 125, c’est un A 124 qui emmène souvent les satellites. Quantum (la 1ère photo, que j’ai vu en vrai il y a 2 ans dans l’Antonov ESA - Eutelsat Quantum satellite inside the Antonov cargo plan
ebottlaender
C’est modifié pour l’Antonov, c’est une typo (125 au lieu de 124)
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