C'est le grand retour d'Ariane 5 avec la mise en orbite de deux satellites, dont le très attendu Quantum

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
31 juillet 2021 à 10h46
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Ariane 5 s'envole pour la première fois de 2021. Belle soirée en Guyane ! Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/P.Piron
Ariane 5 s'envole pour la première fois de 2021. Belle soirée en Guyane ! Crédits ESA/CNES/Arianespace/CSG/P.Piron

Pratiquement un an après son dernier décollage, Ariane 5 s'est élancée depuis le Centre Spatial Guyanais. Un succès déterminant, car ce vol portait beaucoup d'enjeux, que ce soit pour la suite de 2021 ou pour l'entrée en service de Quantum, un satellite de télécommunications reprogrammable de nouvelle génération.

Il ne fallait rien de moins qu'un sans-faute !

11 mois compliqués plus tard

Dans un été compliqué par la situation sanitaire et les difficultés des fournisseurs, les équipes d'Arianespace avaient fêté le 15 août 2020 le décollage d'Ariane 5 pour la mission VA253. Trois satellites envoyés en orbite de transfert géostationnaire… et une grosse frayeur. En effet, et même si cela n'a pas été divulgué au public avant des aveux plusieurs mois plus tard, un problème de coiffe important est survenu au cours du vol. Sans impact sur le succès de la mission, l'incident a toutefois mis un coup d'arrêt au bon élan d'Ariane 5 en 2020, le Covid-19 s'occupant du reste. Il aura fallu du temps pour que RUAG, le fournisseur suisse qui fournit les coiffes (et qui identifia un problème similaire sur les exemplaires destinés à Atlas V aux États-Unis), corrige les erreurs et fasse requalifier le matériel. Résultat, pratiquement un an passé sans décollage du fleuron européen, et beaucoup de pression pour ce retour en vol…

Ariane 5 sur son site de lancement. Elle manquait dans le paysage des lanceurs mondiaux... Crédits ESA/S.Corvaja
Ariane 5 sur son site de lancement. Elle manquait dans le paysage des lanceurs mondiaux... Crédits ESA/S.Corvaja

En attendant James Webb

Les satellites sont arrivés sur place au courant du mois de juin, et la préparation du lanceur avait démarré peu de temps auparavant. Comme Ariane 5 est entrée dans une période de transition avec Ariane 6 (même si cette dernière est encore loin d'être en service), les campagnes sont un peu plus longues… Mais dans tous les cas, il valait mieux prendre le temps d'assurer la fiabilité. En effet, malgré ce décollage très important avec deux satellites de télécommunications pour un profil de vol et un largage en orbite de transfert géostationnaire, tous les regards sont déjà tournés vers l'automne et le lancement du télescope JWST. Est-ce la charge utile la plus importante d'Ariane 5 ? Non, répondront les équipes pour lesquelles tous les décollages et tous les satellites envoyés sont importants…

Même si le télescope Webb sera le plus cher et que son profil de vol (vers le point de Lagrange L2) est inédit pour la fusée européenne. Tout de même, le directeur scientifique de la NASA Thomas Zurbrucken était présent à Kourou pour le décollage de VA254, tout comme le directeur des lanceurs à l'ESA Daniel Neuenschwander… Et quelques jours auparavant avait lieu la première et discrète visite du nouveau président du CNES, Philippe Baptiste.

Mission commerciale réussie !

Mais retour au Centre Spatial Guyanais. S'il y a eu quelques jours de retard dans la préparation de Star One D2 (Embratel) et Quantum (Eutelsat), les jours précédant le décollage ont été calmes, et le compte à rebours a pu avoir lieu sans incident majeur. Arrivée sur son site de lancement le 29 juillet, Ariane 5 a allumé son moteur Vulcain 2 le 30 juillet à 23 h 00 (Paris), suivi sept secondes plus tard par les deux boosters à poudre EAP qui l'ont aidée à s'élancer dans la soirée guyanaise. L'ensemble de la mission aura duré 37 minutes pour Ariane 5, au terme desquelles les deux satellites ont été éjectés avec succès sur une orbite de transfert géostationnaire (GTO) d'environ 250 x 35726 km. Pour ce faire, les Européens ont utilisé le désormais traditionnel système SYLDA. Le plus grand des deux satellites (Star One D2) était en position haute pour avoir le plus de place sous la coiffe, tandis que Quantum était sous le dispositif, éjecté peu après le satellite d'Embratel.

Si Star One D2, avec ses 6,19 tonnes sur la balance, est un véritable monstre de connectivité et de diffusion de télécommunications, son co-passager Quantum présente quant à lui une innovation majeure, qui a mis beaucoup de temps à se concrétiser : on dit qu'il est totalement reprogrammable. En effet, les satellites géostationnaires classiques disposent d'antennes et de transpondeurs en général adaptés à une région géographique fixe, et n'en changent pas durant la quinzaine d'années de leur durée de vie. Certains peuvent rediriger leurs faisceaux, mais aucun n'a encore la flexibilité offerte par Quantum. Ce dernier (qui affiche malgré tout 3,5 tonnes sur la balance) n'utilise pas d'antennes et de réflecteurs classiques, mais une seule antenne reprogrammable sur son flanc. Puissance, zones d'émission, allocation des signaux : tout peut en théorie être contrôlé depuis le sol chez l'opérateur (ici Eutelsat) en « quelques clics ».

Star One D2 en préparation pour sa mise sous coiffe. Une étape très surveillée après les déboires de l'année dernière. Crédits ES/ACNES/ARianespace/CSG/ JM Guillon
Star One D2 en préparation pour sa mise sous coiffe. Une étape très surveillée après les déboires de l'année dernière. Crédits ES/ACNES/ARianespace/CSG/ JM Guillon

Quantum (mais pas of Solace)

S'il sera en service commercial, Quantum est aussi une démonstration technologique. Commandé en 2015 et financé en partenariat public privé par l'Agence Spatiale Européenne (ESA) à hauteur de 80 millions d'euros, il est conçu par Airbus Defence & Space ainsi que Surrey Satellites Technology (SST). Il s'agit d'un premier exemplaire doté de cette nouvelle technologie. Elle intéresse de nombreux opérateurs, et pas uniquement privés. En effet, Quantum dispose en prime d'un système de géolocalisation (ou devrait-on dire, d'orbitolocalisation), ce qui avec ses signaux « taillés sur mesure » permet de générer des communications sécurisées très résistantes aux brouillages, qu'ils soient accidentels ou… intentionnels.

Vue d'artiste du satellite Quantum. On voit sur l'avant (le carré blanc) sa nouvelle antenne active. Crédits Airbus Defence & Space
Vue d'artiste du satellite Quantum. On voit sur l'avant (le carré blanc) sa nouvelle antenne active. Crédits Airbus Defence & Space

De plus, avec une antenne entièrement reprogrammable, même si le cœur du satellite est plus complexe (Quantum a des années de retard à cause de ce mur technologique), il est possible de créer et assembler sur une ligne de production plusieurs satellites « type » pour des clients qui pourront adapter leur satellite à leurs besoins, même après leur décollage. C'est donc un élément qui pourrait redonner un nouveau souffle au marché en berne des satellites géostationnaires en leur offrant une flexibilité nouvelle, tout en faisant à terme baisser les coûts. De plus, et cela est aujourd'hui assez peu utilisé par les opérateurs justement car leurs satellites sont très spécifiques, cela pourrait développer un véritable « marché de l'occasion » pour les satellites géostationnaires.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (16)

nicgrover
Encore merci pour cet excellent article même si l’on s’éloigne un peu de la magie des planètes de notre galaxie ou ailleurs… C’est là que devrait se trouver la vérité, dit-on…
ebottlaender
L’exploration spatiale est très large, des fusées jusqu’aux planètes et mêmes aux galaxies qu’on observe sans jamais pouvoir aller les voir
fred06
C’est une bonne chose de citer aussi le constructeur du satellite même si c’est le concurrent. Nous pouvons être fier d’avoir en France 2 grands constructeurs de satellite de renommée mondiale.
pecore
Cela fait plaisir de voir que l’Europe reste tout de même un peu dans la course après tous les succès accumulés par les autres nations et sociétés privées.
Fulmlmetal
J’ai bien peur que l’on n’y soit plus dans la course, l’Europe a loupé le virage, on a un nouveau lanceur en retard (qui est surtout une Ariane 5 v2), plus cher que ce qu’on espérait, qui ne convint pas les clients puisque le carnet de commandes commercial fait grise mine, et qui n’arrive pas à suivre le train en marche imposé par SpaceX puisque Ar6 ne rivalisera meme pas avec la F9, d’autant que SpaceX en est déja a développer la génération suivante avec Starship. Bref l’europe n’a pas un wagon de retard mais 2.<br /> Seule VEGA arrive à résister pour le moment mais l’explosion des nombreuses sociétés privés sur le secteur des small sat va etre difficile à gérer pour Arianespace.<br /> Coté de l’exploration l’europe n’a pus de gros projet, les rares étant totalement dépendantes de partenaires américains ou russes.<br /> L’euroep délaisse clairement son secteur spatial, assis sur une longue certitude que nous étions les n°1 indétronables. On va devoir sérieusement se remettre ne question et relancer notre industries spatiales qui pourrait se faire écraser par ce qu’on appelle le New space.
Niverolle
Fulmlmetal:<br /> assis sur une longue certitude que nous étions les n°1 indétronables<br /> Bah non, on ne l’a jamais été. Le marché (celui ouvert à la concurrence internationale) pour les gros satellites géostationnaires (la spécialité d’Ariane 5) n’ayant jamais représenté qu’une goutte d’eau en nombre de lancement… En GTO, la qualité de service de Space X ne fait pas rêver: de l’ordre de 120 millions de dollars pour un DV de 2200 m/s et une inclinaison de 27°… Si on se retrouve le bec dans l’eau, c’est principalement du fait que le passage de relais entre Ariane 5 et Ariane 6, qui devait se dérouler progressivement, a fait long feu… En conséquence, les satellites OneWeb et Galileo se retrouvent sur Soyouz (preuve que le Falcon qui n’a pas tué le marché, loin de là) qui a pour lui le gros avantage d’exister !
Fulmlmetal
Et pourtant Arianespace était bien n°1 mondiale du marché de lancement de sat commerciaux, et Arianespace s’en vantait souvent. Ca c’était avant l’arrivée de SpaceX.<br /> Le retard d’Ar6 n’a pas un gros impact sur Galileo (seuls deux semblent avoir été reporté sur Soyouz en 2021/2022. Les 4 autres restent sur Ariane. De toute façon les Galileo ne représentent pas des vols commerciaux mais institutionnels. ), et Oneweb a été retardé suite à leur gros problème financier puisqu’ils ont été placé en 2020 en état de faillite avant un long processus de reprise.<br /> L’Europe semblent cependant avoir compris la leçon et commencent à faire comme les autres en renforçant les lancements de sat institutionnaux sur nos lanceurs plutot que de le faire par les russes ou les américains.
Niverolle
Fulmlmetal:<br /> Et pourtant Arianespace était bien n°1 mondiale du marché de lancement de sat commerciaux<br /> Ok, on ne parlait pas de la même chose (Arianespace ne se résumant pas à Ariane).<br /> Edit : Ah, et j’insiste, le marché ouvert à la concurrence internationale ne concerne qu’une fraction parmi les vols dit «&nbsp;commerciaux&nbsp;». Lorsque Space X lance un satellite captif au marché américain, c’est une perte pour ULA, mais pas pour Ariane, sauf licence d’exportation accordée par le gouvernement US (ce qui n’a rien d’automatique).
Fulmlmetal
aux USA, tous les satellites dit institutionnels (militaires, science, NASA, exploration, bref payés par le contribuables) sont lancé par des lanceurs américains, c’ets une règle chez eux. Les russes font de memes, et les chinois aussi. Seuls les européens n’appliquaient pas cette règle sous couvert de libre concurrence, c’était plus économique de faire lancer par des lanceurs russes que européens. Mais au final on s’est rendu compte qu’en étant les seuls à agir de la sort on se tirait une balle dans le pied et on commence à le faire depuis peu. C’est le prix à payer pour maintenir notre activité lanceur.<br /> A noter quand meme que, meme si Arianespace n’est plus n°1 des lancements commerciaux en nombre elle a tout de meme maintenu sa capacité sur les sat qui marge le plus. Ses clients sont de gros clients qui paient cher et qui sont assez fidèles à Arianespace.<br /> Lancer peu de gros sat commerciaux avec une énorme margez c’est mieux que de lancer pleins de petits sat commerciaux qui ne rapportent pas grand chose. Bref Arianespace a réduit son, carnet de commande mais financièrement ça reste des lancements très interessants. En gros ils ont gardé la plus petites part mais celle qui rapporte le plus. Pour faire autant SpaceX doit lancer beaucoup, d’où l’intéret de la réutilisation
orionb1
Ariane aura toujours une raison d’exister, ne fut-ce que parce que l’europe ne pourrait pas se permettre de ne pas être indépendante, au moins pour ses lancements militaires ou de renseignements
Fulmlmetal
Je suis d’accord avec cela, L’europe aura toujours besoin de son indépendance de l’accès à l’espace. C’est pour cela qu’elle devrait arreter de se focaliser sur des lanceurs optimisés pour le marché commercial qui est en passe d’etre perdu.<br /> L’autre problème c’est que si l’europe veut son lanceur il faut aussi qu’elle fournissent ces lanceurs en sondes et satellite, or certains pays ont encore du mal à réserver leurs sat à notre lanceur et vont toujours voir chez les moins chers (russe ou US).
orionb1
Fulmlmetal:<br /> L’autre problème c’est que si l’europe veut son lanceur il faut aussi qu’elle fournissent ces lanceurs en sondes et satellite, or certains pays ont encore du mal à réserver leurs sat à notre lanceur et vont toujours voir chez les moins chers (russe ou US).<br /> oui, c’est un problème en effet
Fulmlmetal
orionb1:<br /> oui, c’est un problème en effet<br /> et ces pays ce sont souvent les memes qui ne jurent que par l’Europe, mais qui vont acheter des avions militaires américains plutot qu’européens …<br /> Il y a malheureusement un double discours de nombreux pays qui pratiquent le faites ce que je dis pas ce que je fais
teepeeleven
«&nbsp;le point de Lagrange L2 est inédit pour la fusée européenne&nbsp;» : faux à ma connaissance.<br /> Il y a au moins les satellites Herschel et Planck qui ont été lancé sur ce point par A5 en 2009.
ebottlaender
C’est en effet un raccourci qui n’est pas tout à fait exact, Herschel et Planck y ont bien été envoyés grâce à Ariane 5.<br /> Ce que je voulais écrire, c’est que la trajectoire de vol d’Ariane 5 avec JWST est particulière et inédite et a fait l’objet de nombreux calculs supplémentaires pour ce tir, en particulier au CNES depuis plusieurs années. Ce n’est donc pas le fait de viser le L2 qui est absolument inédit, mais le vol avec JWST.<br /> Désolé !
teepeeleven
Tu n’as pas à être désolé. Merci pour tes articles et je constate que tu est particulièrement bien informé sur le monde Ariane;
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