NewSpace : la lente concrétisation des lanceurs développés par des start-up

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
20 juillet 2021 à 11h37
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La "Rocket 3" d'Astra n'a pas encore volé en 2021. Crédits Astra
La "Rocket 3" d'Astra n'a pas encore volé en 2021. Crédits Astra

Vous n'avez probablement pas lu beaucoup d'articles d'actualité sur les nouveaux lanceurs des fleurons du NewSpace en 2021, pour une raison très simple : l'extrême majorité d'entre eux est restée au hangar. En coulisses, les travaux progressent… mais le bond vers l'orbite reste le plus complexe.

« NewSpace », « alt space » (« alt » pour « alternative »), « entrepreneurial space » : il y a sans cesse du nouveau dans le domaine de l'entreprise privée en matière d'aérospatiale. Car oui, il y a de la vie en-dehors de SpaceX et de Blue Origin !

RocketLab mène le pack, mais…

En quatre ans de lancements, RocketLab s'est taillé une solide réputation parmi les acteurs du NewSpace, mettant en place sa fusée Electron, produite en série et capable d'emmener près de 300 kg de satellites sur différentes orbites basses à un rythme d'environ une fois par mois. Un succès qui n'est malgré tout pas aussi resplendissant qu'il y paraît. D'abord, le rythme n'a pour l'instant pas atteint celui des ambitions de Peter Beck, son fondateur, qui espérait passer rapidement au-delà des 20 tirs chaque année. Ensuite, le taux d'échec reste relativement élevé : Electron a raté une troisième campagne en 20 décollages le 15 mai dernier, ce qui a brusquement stoppé les opérations de l'entreprise. Reste que le carnet de commandes est plein, et que les capacités de production (notamment grâce à l'impression 3D et l'automatisation) sont impressionnantes.

Electron au moins a prouvé qu'elle pouvait voler relativement régulièrement. Ce qui en fait un projet plus concret que d'autres... Crédits Rocket Lab
Electron au moins a prouvé qu'elle pouvait voler relativement régulièrement. Ce qui en fait un projet plus concret que d'autres... Crédits Rocket Lab

RocketLab, par sa position de « premier de la classe » sur le créneau américain et international des petits lanceurs à bas prix, s'est lancé dans une multitude de défis et de travaux. Il y a l'entrée en bourse à finaliser (processus SPAC), qui devrait valoriser l'entreprise néo-zélandaise à 4,1 milliards. Il y a deux nouveaux pas de tirs complétés qui doivent entrer en service cette année. Il y a les vols d'Electron à fiabiliser, les nouveaux essais avec leur plateforme de satellites et leurs composants spatiaux… Il y a aussi les essais pour la récupération et la réutilisation du premier étage de la fusée. Et depuis le mois de mars, les néo-zélandais ont annoncé un futur lanceur encore plus capable et partiellement réutilisable, Neutron…De nombreux chantiers d'importance qui font grossir les rangs dans l'entreprise. Reste à savoir s'ils pourront être menés de front : de nombreux acteurs de la concurrence rêvent de bousculer RocketLab, malgré leur bonne réputation chez les clients. Les vols devraient reprendre, probablement en août.

Virgin Orbit : il ne manque plus que la cadence !

Longtemps, Virgin Orbit semblait faire la course en tête avec RocketLab : leurs lanceurs orbitaux ont été annoncés à la même période ! Mais l'entreprise a fait face à de nombreux obstacles. D'abord, un changement de design des moteurs, puis des problèmes de contrats avec ses clients, la production et l'infrastructure au sol qui n'ont pas suivi dans les premiers temps… Et en 2020, la crise sanitaire qui n'a rien arrangé. La fusée LauncherOne, transportée sous l'aile d'un 747 modifié et larguée au-dessus de l'océan (Pacifique) avant d'allumer son moteur, est un complexe bijou d'ingénierie.

le cabré du 747 qui embarque LauncherOne juste avant le largage. Crédits Virgin Orbit
le cabré du 747 qui embarque LauncherOne juste avant le largage. Crédits Virgin Orbit

En guise d'apothéose, le 21 mai 2020 lors de son vol inaugural, l'allumage ne se passe pas comme prévu et la fusée plonge dans la mer dans un embarrassant premier raté. Les six mois suivants ont permis de remettre les points sur les i. Le 17 janvier 2021, Virgin Orbit réussit enfin son pari, et atteint l'orbite avec LauncherOne, avec des micro-satellites de la NASA. De quoi débloquer enfin le compteur. Et heureusement, les équipes ne se sont pas précipité ensuite pour risquer une mauvaise réputation de fiabilité : le 30 juin, le petit lanceur capable d'emmener jusqu'à 400 kg en orbite basse a de nouveau réussi sa mission.

La prochaine n'est prévue que dans quelques mois, au début de l'automne. Le défi de Virgin Galactic, au moment où d'autres concurrents sont proches d'achever l'orbite, est de se poser comme un acteur aussi établi que RocketLab, pour garnir son carnet de commandes et réussir à convaincre aux Etats-Unis comme à l'international. Car de ce côté-là, l'avion 747 et les quelques camions-containers nécessaires pour fournir l'infrastructure au sol offre une solution agile, sans être lié à un site de lancement en particulier. Des accords sont d'ailleurs déjà en vigueur, avec le Royaume Uni notamment. Reste donc à voir si les équipes pourront hausser le rythme sans échouer.

Astra : l'orbite au bout des doigts…

La technique de la réussite passant par une multitude d'échecs dans le développement, vous connaissez ? Elle n'est pas que l'apanage de SpaceX avec son Starship, mais aussi la philosophie d'Astra, la start-up fondée par Chris Kemp en octobre 2016. Grâce à un support de l'agence de développement de l'armée américaine (Darpa) et à quelques contrats privés ainsi qu'à des levées de fonds, l'entreprise s'est lancée dès 2018 dans une série d'essais avec sa fusée « Rocket » (très inspiré, non ?) qui n'était alors qu'à un stade très précoce de maturité. Résultat, deux échecs de suite. En 2020, l'entreprise retourne en Alaska (c'est là qu'ils installent leur structure de lancement minimaliste) et tente d'envoyer deux lanceurs en orbite à moins d'un mois d'écart. Echec cuisant une fois de plus : aucune fusée Rocket 3 ne décolle, et le seul exemplaire disponible disparaît dans l'incendie du pas de tir.

Plus facile d'entrer en bourse que de passer à la vitesse de libération... Crédits Nasdaq
Plus facile d'entrer en bourse que de passer à la vitesse de libération... Crédits Nasdaq

Mais chez Astra, pas question de se décourager. Nouvel essai en septembre 2020 : cette fois la fusée décolle, mais se décide rapidement à effectuer une série de saltos. Et le 15 décembre suivant, tout se passe bien - sauf qu'il finit par manquer 500 m/s pour que Rocket 3.3 puisse atteindre l'orbite. Depuis, pas de nouvelle tentative mais les équipes (qui sont minuscules, pour rogner sur les coûts) ont travaillé d'arrache-pied pour un nouveau lot qui décollera d'ici la fin de l'été. Astra vise un prix plancher de 2,5 millions de dollars par tir orbital, ce qui comme tout service très low-cost, n'ira pas sans quelques pertes supplémentaires. D'ici à ce que la cadence puisse atteindre un décollage par semaine comme promis, l'entreprise est aussi entrée en bourse (procédé SPAC) et en a profité pour accumuler une trésorerie de 500 millions d'euros.

Firefly : des derniers tests repoussés

Cela fait aussi des années qu'on attend le premier tir orbital de Firefly. Mais l'entreprise (qui a tout de même dû se sortir d'une faillite en 2016-2017) financée par le multimillionnaire Max Poliakov piétine depuis longtemps sur les derniers stades du développement de son lanceur Alpha. Ce dernier est un peu plus grand que ses concurrents et sera capable d'emmener une charge utile d'une tonne en orbite basse. Mais son architecture est classique, et son pas de tir a aussi pris du temps pour voir le jour sur la base de Vandenberg, en Californie (Firefly possède aussi un bail sur la Space Coast, mais n'a pas engagé de gros travaux).

En 2020, l'entreprise semblait confiante pour un premier vol dès 2021. Mais après le transfert de la première fusée Alpha sur son pas de tir et un test de remplissage des réservoirs avec un compte à rebours simulé au mois de mai, plus de nouvelles. Il reste encore une mise à feu statique sur le site de lancement avant de pouvoir viser l'orbite et convaincre les futurs clients que la « solution de demain » passe par chez eux.

Relativity Space : la valorisation d'abord

Pour pallier son retard sur la concurrence, Relativity Space a mis tous ses deniers dans une méthode innovante : pousser au maximum l'automatisation de la fabrication de son lanceur Terran 1 et « tout » imprimer en 3D. Son patron Tim Ellis (31 ans en 2021) est convaincu qu'il s'agit de la clé pour baisser les prix et augmenter les cadences dans les années à venir. Relativity Space a profité des images de ses fantastiques machines de production pour faire parler d'elle et attirer les investisseurs, ce qui a parfaitement fonctionné. En 2021, l'entreprise lève énorméments de fonds, avec une valorisation de 4,2 milliards (même si, contrairement à ce qu'on évoquait ici il faut rectifier, ils ne visent pas l'entrée en bourse), équivalente à celle de RocketLab ! Pourtant, Terran 1 (capable d'emmener pratiquement 1,5 tonnes en orbite) n'a pas encore atteint sa première campagne de lancement. Il reste donc beaucoup à prouver.

Remarquez qu'une fois les coûts structurels amortis, ça ne va pas coûter si cher... En théorie. Crédits Relativity Space.
Remarquez qu'une fois les coûts structurels amortis, ça ne va pas coûter si cher... En théorie. Crédits Relativity Space.

Le premier exemplaire opérationnel de la fusée est attendu sur son tout nouveau pas de tir à Cape Canaveral d'ici l'hiver prochain… Si tout va bien. Entre temps, la firme s'est déjà amplement étendue, en achetant notamment un nouvel énorme site de production pour sa future fusée Terran R entièrement réutilisable, et bien entendu elle aussi imprimée en 3D.

ABL Space : de gros contrats, mais pas avant l'an prochain

La plus récente des start-up de la liste (2017), fondée par une équipe « d'anciens ingénieurs de SpaceX » et d'investisseurs de Morgan Stanley, n'est pas la moins agressive. Dès 2020, les progrès et les financements leur ont permis de mettre en place une infrastructure de production et de tests légère, de sorte que l'entreprise vise encore l'été 2021 pour le premier décollage de sa fusée RS1 depuis Vandenberg !

L'hiver dernier, ça tenait encore de la plomberie industrielle... Crédits ABL Space
L'hiver dernier, ça tenait encore de la plomberie industrielle... Crédits ABL Space

Du moins, c'était le cas au début de l'année, les responsables promettant un décollage « au plus tard en juin ». Grâce à son équipe et à un démarchage commercial efficace, ABL Space compte des soutiens de poids, notamment Lockheed Martin qui a réalisé un « achat groupé » de deux fois 26 lancements avec la jeune start-up, et compte sur ABL Space pour des lancements depuis le Royaume-Uni. Entre ce contrat et les levées de fonds, l'entreprise ne manque pas de moyens…

Et en Europe ? Pas pour 2021, probablement

Espagne, Allemagne, Angleterre : le terreau européen a vu naitre en Europe aussi son lot de start-up des lanceurs du NewSpace ces dernières années. Mais pour 2021, ce sera encore juste… pour le moment. Ceux qui semblent le plus avancés, à savoir Orbex Space pour les Anglais, n'ont pas encore de pas de tir, tandis que les allemands de Rocket Factory Augsburg (RFA), s'ils ont récemment réussi à tester avec succès leur futur moteur du lanceur « One », ne promettent plus de décollage avant la fin d'année depuis le site d'Andoya en Norvège. Reste les roumains d'ARCA space, qui continuent de publier sur les essais de leur « Ecorocket », qui n'est pas considérée comme un projet spatial digne de ce nom par la majorité des spécialistes du secteur.

Dans tous les cas, la course n'est peut-être pas tout à fait la même qu'aux Etats-Unis : si une partie du marché des petits satellites et des lanceurs légers sera captée à l'international par ceux qui proposent les meilleurs tarifs et services, une autre frange sera dédiée à des offres plus régionales.

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (5)

pecore
Avec tous ces lanceurs et ces lancements on se demande comment il reste encore de la place la haut et pour combien de temps encore. Surtout avec la nouvelle mode des « constellations » de satellites.
juju251
Très bien cet article, cela permet d’y voir un peu plus clairs parmi les acteurs du « new space ».
bmustang
c’est une course effréné où il n’en restera de toute façon que quelques uns, le gâteaux est trop gros pour qu’il soit partagé par autant d’acteurs.
Cynian90
Il y en aura presque pour toujours,<br /> on a 7000+ satelites en orbite, si on les considère tous de grande taille, ça nous fait environ 0.05 km carré de surface prise dans l’espace. Si on continue au même rythme de lancement, 1500 par an, il faudrait 50 milliards d’années pour saturer le bas de l’orbite basse, 500 milliards pour l’orbite haute, et si t’envoie des cubesats, 500 000 milliards d’années. En moins éloigné, en l’an 100 000 quand l’humanité aura atteint son sommet technologique depuis très longtemps, l’espace sera toujours vide.
pecore
C’est rassurant, enfin, je suppose.
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