Un trésor : plongée dans les chiffres du 3e catalogue du télescope Gaia

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
14 juin 2022 à 09h30
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La Voie lactée et différentes caractéristiques de ses étoiles et de ses poussières mises en valeur par l'étude des données de Gaia. Crédits : ESA/gaia
La Voie lactée et différentes caractéristiques de ses étoiles et de ses poussières mises en valeur par l'étude des données de Gaia. Crédits : ESA/gaia

Dans une gargantuesque avalanche de données, le troisième catalogue du télescope spatial Gaia de l'ESA est disponible depuis ce 13 juin à midi. Une plongée vertigineuse dans cette mission d'astrométrie qui continue de révolutionner les données du Système solaire, de notre galaxie et de l'Univers.

50 publications scientifiques ont été publiées dans la foulée.

Dans les coulisses de la Data Release

Envoyé dans l'espace fin 2013, le télescope spatial Gaia collecte ses données depuis le Point de Lagrange Terre-Soleil L2 (comme son cousin le James Webb). En enregistrant avec une précision inédite la position des objets qu'il observe ainsi que les caractéristiques de leur lumière, Gaia envoie aux centres de données environ 50 Go de positions et caractéristiques chaque jour.

Des équipes de 19 pays forment le DPAC (Data Processing and Analysis Consortium), qui publie à différents intervalles les catalogues de données de Gaia, regroupant les mesures. Chaque catalogue est plus fourni que le précédent, car Gaia observe plusieurs fois les mêmes objets avec des intervalles de temps plus importants, affinant les données de position, de luminosité, de vitesse, de composition…

Exemple d'une étude parue directement avec la publication du catalogue DR3, indiquant la composition analytique de millions d'étoiles du disque galactique. Crédits : ESA/Gaia/DPAC
Exemple d'une étude parue directement avec la publication du catalogue DR3, indiquant la composition analytique de millions d'étoiles du disque galactique. Crédits : ESA/Gaia/DPAC

Vous voyez déjà ce que ça fait un million, Larmina ?

Un gigantesque catalogue de 2 milliards d'objets du ciel, essentiellement des étoiles, mais aussi des astéroïdes et des galaxies. Et encore, DR3 ne concerne « que » la période des premiers 34 mois de mission, jusqu'au 28 mai 2017. Il faut donc garder à l'esprit qu'il y aura encore une fabuleuse mine de données à exploiter maintenant que le catalogue DR3 est publié.

Les chiffres pourtant, font déjà tourner la tête. 1,8 milliard d'étoiles identifiées dans notre zone de la Voie lactée, dont 1,5 milliard de classifications (type d'étoiles) et autant de positions et luminosités. 34 millions d'étoiles dont on connait la vitesse radiale (leur déplacement par rapport au nôtre), 10 millions d'étoiles variables, 220 millions de spectres détaillés avec température, masse, âge, couleur, métallicité… Et des données sur 813 000 étoiles binaires, dont leur type, leur masse respective et leurs orbites. Une documentation si large qu'elle offrira pour des décennies des données d'étude statistiques, mais aussi des cibles pour des campagnes d'observation longues depuis la Terre ou d'autres télescopes spatiaux spécialisés.

Les données de luminosité sur les étoiles, en étant étudiées de façon très fine, communiquent aussi des informations inédites sur l'espace entre elles, le milieu interstellaire. Qui est loin d'être vide : Gaia a permis de dresser une carte en 3D des amas de poussières et de gaz dans notre Voie lactée. De quoi étudier les « pépinières d'étoiles », mais aussi de comprendre de quelles molécules sont composées ces gaz et poussières. En analysant 470 millions de spectres lumineux des étoiles, les équipes ont isolé les caractéristiques des poussières interstellaires… Mais aussi appris beaucoup des étoiles elles-mêmes. Un véritable CV stellaire pour des millions d'entre elles, avec jusqu'à 42 paramètres différents.

Plus près ou plus loin que les étoiles

Les étoiles ne vous ont pas encore donné le tournis ? Le catalogue DR3 se focalise sur deux autres points à des échelles différentes. Le premier, ce sont les astéroïdes. En effet, avec ses instruments conçus pour relever la plus faible luminosité d'étoile possible, Gaia en capte régulièrement. Qu'il est ensuite possible de catégoriser, puis de retrouver et de classer. Et là encore, les chiffres sont à l'échelle habituelle du télescope : industriels. 156 000 astéroïdes détectés, issus de presque toutes les familles connues : géocroiseurs, ceux de la ceinture d'astéroïdes, les trans-neptunéens… On y retrouve leur position, leur orbite, le fait qu'ils ont une petite lune ou non, et même des indices sur leur composition et leur forme, grâce aux caractéristiques de la lumière réfléchie par leur surface.

De la même façon, Gaia a catégorisé des objets bien plus lointains que la Voie lactée : 6,6 millions de candidats Quasars, et pratiquement 5 millions de galaxies, dont 2,9 sont caractérisées avec leur luminosité, leur forme, leur couleur, et pour certaines l'âge de leurs étoiles !

Nous, et des milliards d'étoiles. Crédits : ESA/Gaia/DPAC
Nous, et des milliards d'étoiles. Crédits : ESA/Gaia/DPAC

Il faut que les serveurs tiennent…

Les découvertes seront légion pour les équipes scientifiques qui se pencheront en détail sur les données. Il y a d'ores et déjà des pépites en publication, comme l'identification d'étoiles issues de collisions entre de petites galaxies et la Voie lactée par leur âge et leur composition. La liste est longue et les usages, variés. Une équipe a par exemple analysé 5 863 étoiles analogues à notre Soleil (soit dix fois plus que ce qui était connu jusqu'ici) pour comprendre son passé, et étudier les façons dont il évoluera à l'avenir. De la vitesse de rotation des étoiles de la Voie lactée à l'orbite et au rapport de masse de centaines de milliers d'étoiles binaires, le catalogue (ouvert à tous) offre une nouvelle perspective sur les objets qui constituent notre univers.

Il y a au moins deux futurs catalogues DR4 et DR5 qui seront publiés d'ici 2025 et 2030. Ces derniers affineront encore les mesures et étendront le nombre d'étoiles caractérisées. Il y aura d'autres focus particuliers, notamment pour DR4 le sujet des exoplanètes. Même si Gaia n'est pas conçu pour ça, ses performances sur le long terme devraient tout de même permettre d'identifier plus… d'une dizaine de milliers de candidates. Des chiffres qui n'ont pas fini de fasciner, d'autant que les équipes de l'ESA réfléchissent déjà à la conception d'un éventuel successeur pour la fin de la prochaine décennie. La carte de notre univers n'a pas fini de s'enrichir.

Source : ESA, Gaia

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (6)

nicgrover
Merci Eric pour cet article fascinant.
DrGeekill
C’est clair bravo. C’est quand même plus agréable et enrichissant de lire ça que des articles nous ventant des plateformes de NFT…
nicgrover
Et c’est peu dire…
juju251
Bientôt ils auront assez de données pour établir un guide de voyage des trajets dans l’espace à faire pour voir les astres les plus massifs / bizarres, etc. <br /> Blague à part, merci pour l’article.<br /> La mission Gaia est juste folle par la quantité d’objets observés et ce qu’elle permet de dégager comme connaissances supplémentaires.
Fredokaz
Très bon article. Merci.
cid1
Je n’avais pas vu cet article avant, heureusement que je l’ai lu, sinon j’aurais raté ce très bon article.<br /> Pour le rocher en équilibre sur le plus grand rocher, c’est mon avatar qui a voulu faire une blague…
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