Pierre BREESE, Fondateur d'un cabinet spécialisé en propriété industrielle

04 janvier 2001 à 00h00
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Fondateur d'un cabinet spécialisé en propriété industrielle, Pierre BREESE donne son sentiment sur la dématérialisation de la valeur, la nouvelle économie et en particulier le phénomène du logiciel libre dont il dénonce le dogmatisme de certains de ses th

JB - Monsieur Breese, bonjour. En quelques mots, pourriez vous présenter votre parcours et votre cabinet ?

PB - J'ai une double formation de physicien et de juriste. J'ai commencé à travailler en 1983 dans un organisme de recherche publique, comme responsable Propriété Industrielle au sein de la mission de valorisation qui venait d'être créée. J'ai ensuite créé avec Marc MAJEROWICZ, biologiste et juriste, un cabinet qui compte aujourd'hui 40 collaborateurs, et qui intervient essentiellement pour le compte de start-up, PME et organismes de recherche.

J'enseigne par ailleurs le droit des brevets à HEC, à l'ENST et dans un "DESS Intelligence Economique", et anime un groupe de travail sur le "management des connaissances". J'ai écris différents ouvrages dont "Paiement numérique sur Internet" et le "Guide juridique de l'Internet et du commerce électronique".

JB - Beaucoup d'analystes estiment que la valeur est de plus en plus associée à des actifs intangibles. Peut-on quantifier ce phénomène ?

PB - Pour les start-up, les actifs immatériels représentent la quasi totalité des actifs. Même pour des sociétés industrielles plus traditionnelles, les éléments incorporels prennent une importance primordiale dans la création de valeur. Les droits de propriété industrielle prennent eux aussi une importance majeure, dans la mesure où ils confèrent une réalité juridique, et par conséquent financière à ces actifs qui ne serait sinon que des acquis éphémères.

JB - La NetEconomie a t'elle tendance à précipiter cette mutation ? Quels sont les enjeux pour les start-up ?

PB - L'économie de l'immatériel n'est pas l'économie de l'irréel. Les start up n'échappent pas à des réalités prosaïques telles que la nécessité d'un retour sur investissement, d'un équilibrage des investissements par une marge d'exploitation. Certaines avaient tendance à l'oublier, en s'appuyant sur des modèles économiques surréalistes.

Aujourd'hui, on assiste à un assainissement de la situation. Les start up qui se développent s'appuient sur des actifs effectifs, souvent identifiés par des droits de propriété industrielle - d'où l'importance pour elles de continuer à pouvoir protéger leurs innovations par des brevets, y compris dans le domaine du logiciel.

On assiste aussi à une évolution des perspectives des start up. Le rêve de la sortie en bourse s'éloigne au profit d'une sortie industrielle. On retrouve le schéma traditionnel de l'innovation. L'innovation émane traditionnellement de "pionners" qui sont ensuite rachetés par des entreprises plus "établies", qui valorisent au mieux ces avancées technologies ou marketing. On assiste actuellement à un développement des rachats de start up, au profit des deux parties.

JB - Quels sont les principaux actifs intangibles pour les entreprises ? Quels sont les risques qui leur sont associés ?

PB - Pour les entreprises technologiques, les brevets constituent des actifs majeurs. Le savoir-faire également, à condition de respecter les critères juridiques : ensemble substantiel et formalisé de connaissances non facilement accessible. Pour des entreprises de services, la marque et les noms de domaine jouent un rôle essentiel, car ils permettent de capitaliser les investissements de communication qui ont permis de construire la notoriété de l'offre. Mais ces actifs n'ont de valeur que si par ailleurs une étude approfondie des risques juridiques a été menée : liberté d'exploitation par rapport à des droits antérieurs, notamment par rapport aux droits de propriété intellectuels des entreprises concurrentes.

JB - L'administration fiscale appréhende t'elle correctement ces nouvelles problématiques ? Faut-il moderniser le PCG ?

PB - Les règles comptables françaises sont mal adaptées, notamment parce qu'elles ne permettent pas de réviser la valeur comptable des actifs immatériels figurant au bilan. Ces actifs apparaissent comme valeur extra-comptables, et de ce fait les bilans des sociétés reflètent de moins en moins la réalité économique d'une entreprise.

JB - Vous militez activement contre le logiciel libre. Pouvez vous expliquer votre démarche ?

PB - Précisons d'emblée que je ne milite pas contre le logiciel libre - mon site www.breese.fr tourne sur un serveur utilisant APACHE et MySQL -, mais contre le dogmatisme dont font preuve certains théoriciens du logiciel libre. Le logiciel libre trouve toute sa place dans l'offre logicielle, comme les médicaments génériques trouvent leurs place dans le domaine du médicament. Mais je n'accepte pas que l'on cherche à imposer ce modèle de façon universelle, en interdisant aux entreprises innovantes de protéger leurs innovations si elles le jugent opportun. J'ai été surpris que les militants du logiciel libre appelle au boycott d'AMAZON, pourtant victime dans le litige qui l'opposait à BARNES & NOBLES, au motif qu'AMAZON s'était permis de protéger une de ces innovations par un brevet qui s'est avéré parfaitement valable.

Les raisonnements de certains apprentis sorciers de l'économie sont peut être séduisants intellectuellement, mais totalement inadaptés à la réalité du terrain. Nombre de start up françaises de renom ont eu accès au capital risque en raison de leur capacité à protéger leurs innovations logiciels par brevet. Les investisseurs attachent à juste titre une grande importance aux brevets sérieux détenus par les entreprises, jouant le rôle de barrière à l'entrée. Mes prises de position ne font que refléter les préoccupations des entrepreneurs que je côtoie, et, je dois bien l'avouer, un goût certain pour le débat.

JB - Peut-on parler d'incompatibilité avec le capitalisme ?

PB - Pas nécessairement : il s'agit finalement rien d'autre qu'un modèle économique basé sur une grande diffusion pour acquérir des parts de marché. L'avenir nous dira si ce modèle est pérenne : le succès de l'introduction en bourse, puis les déboires de RedHat seront certainement instructifs.

JB - Quelle sont les positions de la commission européenne ou du gouvernement français ?

PB - Alors qu'elles avaient donné en 99 une orientation claire et cohérente avec l'évolution de la doctrine depuis 15 ans, les états européens viennent de donner des signaux contradictoires en décidant en octobre de modifier la convention de Munich pour en améliorer la lisibilité, puis en renonçant en novembre de confirmer cette modification. Certes, cette position d'attente s'explique par une volonté de cohérence entre l'OEB et la CE. Elle jette toutefois un flou regrettable.

Le gouvernement français subit les pressions habiles des théoriciens du logiciel libre, et semblent oublier parfois la réalité de la dynamique des entreprises innovantes et de leurs besoins.

Je n'ose toutefois pas croire que la Commission Européenne ou le gouvernement pourraient inverser les règles du jeu, car cela mettrait les entreprises européennes en situation de grande faiblesse, alors qu'elles ont toutes les qualités pour conquérir des marchés y compris américains.

JB - Souhaitez vous ajouter quelque chose ?

PB - Les débats en cours ont un grand mérite : celui de populariser les réflexions sur l'économie de l'immatériel. Le chantier est énorme : il faut apprendre à gérer ces actifs avec la même efficacité que l'on gère les actifs matériels. Beaucoup reste à construire, depuis la création de tableau de bord reflétant l'évolution du patrimoine incorporel d'une organisation, jusqu'à l'enseignement de ce domaine dans les écoles d'ingénieur et de commerce, et l'évolution des réglementations nationales et internationales. Votre lettre ne manquera pas de sujets passionnants dans les années à venir !

JB - Monsieur Breese, je vous remercie.

Entretien réalisé en janvier 2001 par Jérôme BOUTEILLER
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