Her, de Spike Jonze : l'intelligence artificielle et le cinéma, c'est "je t'aime moi non plus"

12 mars 2014 à 12h17
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Mercredi 19 mars sort dans les salles Her, le nouveau film de Spike Jonze relatant l'histoire d'amour entre un homme solitaire et l'intelligence artificielle qui pilote son ordinateur. L'occasion de rappeler, à travers différents exemples et réflexions, que l'histoire entre le cinéma et l'IA dure depuis longtemps déjà.

Dans Her, Theodore Twombly (Joaquin Phoenix) évolue dans une ville futuriste, dans laquelle il est le brillant employé d'une entreprise qui rédige des lettres personnalisées pour des correspondants bien réel. Solitaire, Theodore est adepte des dernières technologies comme la plupart des gens de son époque.

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Tout est dans la moustache.

A la sortie d'un système d'exploitation d'un nouveau genre, dont il n'hésite pas à faire l'acquisition, et se retrouve bien vite en train de communiquer avec Samantha (Scarlett Johanson), une intelligence artificielle très évoluée, modelée selon ses besoins, qui va prendre de plus en plus de place dans sa vie.

Si les histoires entre intelligences artificielles et êtres humains pullulent depuis des décennies dans la culture populaire, Her offre une vision relativement nouvelle : Samantha n'a aucune incarnation, il ne s'agit que d'une voix, émise par un logiciel grand public.


De quoi s'interroger sur l'évolution d'applications comme Siri, ou le développement de logiciels comme Dragon Naturally Speaking, désireux d'offrir aux utilisateurs une manière naturelle de communiquer avec la machine. Mais le cinéma sait aussi rappeler que ce genre de relation se termine rarement bien.

HAL, le précurseur

Dans 2001 : L'Odyssée de l'espace, Stanley Kubrick mettait en scène dès 1968 une vision très inquiétante de l'intelligence artificielle du futur avec HAL 9000, le système informatique du Discovery One. Personnage à part entière du film, HAL (pour Heuristically programmed ALgorithmic computer) est capable de comprendre naturellement le langage humain, de lire sur les lèvres et de prendre des décisions par lui-même si les circonstances l'exigent. Mais quand survient un dysfonctionnement majeur du système, HAL devient un danger pour l'équipage qu'il est pourtant censé aider. Lorsque Dave Bowman parvient à désactiver HAL, l'intelligence artificielle lance un « J'ai peur » laissant entendre qu'elle a conscience d'elle-même, et de sa « mort » imminente.

Si 2001 est devenue une œuvre culte et intello du cinéma de science-fiction, HAL a su entrer dans la culture populaire. Symbole de l'intelligence artificielle néfaste, elle a inspiré depuis un grand nombre d'IA « dématérialisées » au cinéma et ailleurs : dans la série américaine The Son of Cliché, dans les années 80, une parodie de HAL apparaît sous le nom de HAB. Douglas Adams, l'auteur de la saga H2G2, s'est également clairement inspiré de l'IA de 2001 pour créer Eddie, l'ordinateur de bord très enjoué du vaisseau Cœur en Or. Et enfin, autre exemple dans un autre registre : GLaDOS, l'intelligence artificielle du jeu Portal, pourrait très bien être la fille spirituelle de HAL.



Une omniprésence oppressante

Mais certains souligneront que l'intelligence artificielle, au cinéma, à la télévision ou en littérature, ne se limite pas seulement à la simple IA informatique : les robots, notamment, sont monnaie courante, et leur présence dans la culture populaire est peut-être même encore plus évidente que celle des ordinateurs de bord et autres logiciels. La preuve en est de l'œuvre d'Isaac Asimov ou de séries comme Battlestar Galactica ou Real Humans, dans lesquelles les questions du rôle des robots dans la société ou de la conscience de leur existence sont au centre de l'intrigue. On peut d'ailleurs noter que, dans les deux cas cités, les robots déclarent leur indépendance et s'opposent à leurs créateurs, en totale contradiction avec les lois de la robotique d'Asimov.

Si ce constat est indéniable, il y a cependant une différence majeure qui oppose un robot à une IA dématérialisée : le robot peut être vu et touché. L'IA immatérielle est, par définition invisible, ce qui peut en faire un allié permanent ou une menace farouche.

Le cas de HAL est un bon exemple : dans 2001, les astronautes s'isolent pour ne pas être entendus par l'IA, mais découvrent qu'elle est capable de lire sur les lèvres en les observant à travers les caméra du vaisseau. Dans l'adaptation cinéma de Resident Evil, en 2002, l'IA d'Umbrella, La Reine Rouge, parle avec la voix d'une petite fille, ce qui ne fait que renforcer l'impact des monstruosités qu'elle commet.

L'absence d'incarnation met en avant le caractère omniprésent, voire omnipotent de l'intelligence artificielle à laquelle l'homme, son concepteur, donne souvent trop de pouvoir, pour se décharger lui-même de ses responsabilités. L'absence de représentation visuelle pousse également le spectateur à imaginer sa propre incarnation du personnage : ce n'est d'ailleurs pas pour rien que, dans Her, Samantha est « incarnée » par Scarlett Johanson, une actrice bien connue du grand public et facilement identifiable. De nombreuses parodies du film circulent en mettant en avant des voix différentes, ce qui ne donne pas du tout le même résultat !



Des représentations plus positives

Mais la culture populaire n'est pas totalement pessimiste à l'égard de l'intelligence artificielle. Dans de nombreuses situations, elle est bénéfique, voire même comique. Ziggy, l'IA de la série Code Quantum, Jarvis (pour Just A Rather Very Intelligent System), l'intelligence artificielle créée par Tony Stark alias Iron Man, ou encore Pensée Profonde, l'ordinateur qui dévoile la réponse à la grande question sur la vie, l'univers et le reste dans H2G2 sont autant d'intelligences artificielles bienveillantes, bien souvent dotées d'un sens de l'humour caustique.

Mais une intelligence artificielle doit-être forcément présenter un aspect malveillant pour que le mal qu'elle peut faire soit évident ? C'est une question que l'on retrouve dans Her, parmi beaucoup d'autres. Jusque-là, la représentation - ou plutôt, la non-représentation - de l'IA au cinéma obéissait généralement à des règles manichéennes, malgré le décalage souvent mis en évidence entre la froideur du programme et ses agissements humanisés. Le film de Spike Jonze offre une perspective nouvelle, en se focalisant davantage sur les raisons qui poussent l'homme à se tourner vers le virtuel plutôt que vers ses semblables, quitte à se perdre lui-même dans la virtualité.



Et si le vrai problème, c'était l'utilisateur ?

En somme, Her est probablement l'un des seuls films qui offre une mise en scène quasiment contemporaine de ce que pourrait être l'intelligence artificielle du futur : fiable, dévouée, mais technologiquement discrète car limitée à l'ordinateur et au téléphone portable. C'est l'usage que son utilisateur en a qui la rend potentiellement omniprésente, et rien n'empêche ce dernier de fermer le programme. La question, c'est de savoir s'il le veut : c'est là que la relation avec l'intelligence artificielle prend une autre tournure.

« En fin de compte, la véritable promesse de l'IA - du moins, d'un certain point de vue - ce n'est pas la création de compagnons artificiels, mais l'amplification de l'intelligence (la nôtre) par la création d'outils extraordinaires et évolutifs » estime Vlad Sejnoha, directeur de l'innovation chez Nuance. L'intelligence artificielle étant une invention de l'homme, il ne faudrait donc s'en prendre qu'à nous-même lorsqu'elle se retourne contre nous.

L'autre constat facile de la manière dont est représenté l'intelligence artificielle dans la culture populaire, c'est l'écho avec l'actualité. Un film comme L'Oeil du mal, sorti en 2008, pointe du doigt la surveillance à outrance des populations par une technologie de plus en avancée. Dans le film, cette dernière, pilotée par un super ordinateur, finit par échapper à tout contrôle humain, précipitant les protagonistes dans une course contre une désinformation créée de toute pièce. Aujourd'hui, avec l'affaire PRISM, une telle histoire de fiction peut prendre un autre sens...

Mais l'homme peut aussi vivre de belles histoires avec la technologie, et c'est ce que Her cherche à montrer, d'une manière originale, en se penchant moins sur le thème de l'observation à outrance que sur celui des relations entre les individus. Car Her, c'est avant tout l'histoire d'un homme isolé de ses semblables, qui trouve du réconfort dans un système qui apprend de lui-même. Et si la conclusion du film ne satisfera sans doute pas tous les publics, le film dans sa globalité a le mérite de ne pas laisser indifférent et de pousser à s'interroger sur la place de l'intelligence artificielle dans nos vies dans une vision d'anticipation, plus que de science-fiction.

Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques...

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