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Alt-Frequencies : la voix de la révolution (🎧 article à écouter)

Kevin Gainche
Spécialiste gaming
24 mai 2019 à 20h33
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Alt-Frequencies

Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !

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Avant propos

Où l'on parle de vive voix...

Si vous étiez dans le coin la semaine passée, vous savez sans doute que cette rubrique est désormais disponible à l'écoute. Si ça se trouve, vous êtes même, à cet instant précis, en train d'écouter ma douce voix vous conter du mieux possible les paroles que j'égrène pourtant, sur mon clavier. Une expérience qui, j'espère, augmente la proximité entre vos quelques neurones et mes quelques mots. Vous l'aurez compris, nous allons, à nouveau, parler de son.

En effet, à l'occasion de mon papier sur Ape Out, j'avais pris le temps d'évoquer la question de l'audio, et son importance dans la composition d'un jeu, insistant par exemple sur le sentiment de gâchis qu'un sound design ou un doublage de mauvaise qualité pouvait engendrer. Aujourd'hui, j'aimerai revenir en particulier sur le doublage, et plus généralement, sur l'utilisation de la voix au sein des jeux vidéo. Et oui, s'il est aujourd'hui parfaitement normal de jouer à des jeux entièrement doublés, parfois même par des célébrités, cela n'a pas toujours été le cas. Considérations techniques, moyens financiers et autres habitudes de production ne permettant pas de telles pratiques.

« Une suite de sons donnant l'illusion de la parole »


Si l'on revient quelques décennies en arrière, au temps des premiers micro-ordinateurs, voir des consoles 8 bits, rares étaient les titres qui nous proposaient d'entendre les personnages représentés à l'écran déclamer ne serait-ce que quelques mots. Pour pallier cela, il était toutefois possible pour les développeurs de ruser en utilisant le processeur sonore de la machine pour émettre des sons émulant grossièrement une voix. Une suite de sons donnant l'illusion de la parole, bien que totalement inintelligible. S'il est sorti bien plus tard, en 1994, Final Fantasy VI utilise ce principe à merveille lors de la scène de l'opéra. Si vous écoutez cette piste sonore sur la BO du jeu, vous pourrez clairement reconnaître les parties chantées, sans qu'un seul mot soit prononcé. Et si vous regardez une vidéo de cette séquence, avec les paroles inscrites à l'écran, vous pourrez presque entendre les mots résonner autour de vous. Un exploit incroyable, qui me colle d'ailleurs toujours autant de frissons quand je l'écoute.

Alt-Frequencies
parce qu'il faut bien commencer quelque part

Si ce procédé a été, et est parfois encore utilisé à des fins esthétiques dans des productions récentes, difficile de parler de véritables voix. Les premières tentatives de voix digitalisées remontent au début des années 80. Certains flippers proposaient déjà des extraits vocaux dès 1979, mais c'est Berzerk, sorti sur arcade et Atari 2600, qui reste l'une des premières occurrences en matière de jeu vidéo. Il était en effet possible d'entendre à certains moments, les ennemis robotiques crier sur le personnage incarné par le joueur. Une petite folie pour le développeur qui avait tout de même déboursé près de 30 000 dollars de l'époque pour intégrer les 30 mots utilisés pour ces « dialogues ». Wolfenstein 3D avait pour sa part choisi la simplicité en incluant simplement deux mots : « Achtung » et « Kaput », respectivement pour indiquer que les soldats avaient vu le joueur, ou que ce dernier les avait envoyés ad patres.

« Une bonne idée [...] qui s'est plantée dans les grandes largeurs. »


Le début des années 80 a aussi vu l'émergence de l'Intellivoice, un module de synthèse vocale conçu pour l'Intellivision de Mattel. Ce dernier s'intercalait entre la cartouche de jeu et la console pour permettre aux jeux compatibles de proposer des dialogues parlés. Bien évidemment, ce processus était très couteux en termes de mémoire, et les voix digitalisées devaient être compressées au maximum afin de ne pas trop empiéter sur la fluidité du jeu. Une bonne idée censée enrichir les productions de l'époque, mais qui s'est plantée dans les grandes largeurs. Échec commercial retentissant avec seulement cinq jeux compatibles et des ventes médiocres, cet accessoire a été arrêté après seulement une année sur le marché.

Alt-Frequencies
Ennis B., l'animateur virulent par excellence

En 1983 sortait Dragon's Lair. Petit bijou graphique avec ses visuels dessinés et animés par Don Bluth (un ancien de chez Disney) et son équipe, ce jeu reste tristement célèbre pour son gameplay absolument horrible. Et cela tient en grande partie au support sur lequel est sorti ce jeu, à savoir le LaserDisc. Un support extrêmement contraignant pour tout ce qui tient aux mécaniques de jeu, mais qui a été une aubaine pour les créateurs souhaitant aller plus loin en matière d'esthétique. Contrairement aux cartouches, le LaserDisc disposait en effet d'une très grande capacité de stockage. L'occasion de coller dessus des graphismes à des années-lumière des gros pixels de l'époque (comme les séquences animées de Dragon's Lair le prouvent brillamment), mais aussi de proposer des pistes sonores à l'allant. Un support idéal donc, pour proposer des voix, que ce soit pour narrer l'action, ou bien doubler les dialogues des personnages.

« Il n'est pas rare à l'heure actuelle, de voir quelques grands noms du cinéma ou de la télévision venir s'acoquiner dans les grandes productions vidéoludiques. »


L'utilisation de la voix dans le jeu vidéo a fait un grand bond en avant avec l'arrivée de la PlayStation ou de la Dreamcast, et du Support CD. Encore une fois, l'augmentation de la taille du support de stockage a joué permettant d'intégrer plus facilement des pistes sonores de meilleure qualité. De plus en plus de séquences doublées ont fait leur apparition, permettant l'émergence d'une véritable scène du doublage de jeu vidéo au fil des années. Peu à peu, le doublage de jeu vidéo a gagné ses lettres de noblesse, et il n'est pas rare à l'heure actuelle, de voir quelques grands noms du cinéma ou de la télévision venir s'acoquiner dans les grandes productions vidéoludiques. On pensera par exemple aux productions de David Cage, qui s'enorgueillit de faire venir telle ou telle star dans ses jeux pour nous procurer l'émotion dont il est si friand. Ou bien à ce cher Star Citizen qui a dépensé sans compter pour nous offrir un casting aux petits oignons... à défaut de nous proposer de véritables mécaniques de jeu.

Alt-Frequencies
La découverte de la station pirate, là où les choses commencent véritablement

Je pourrais aussi citer les productions de Rockstar, qui nous proposent à chaque fois des prestations qui soutiennent sans sourciller la comparaison avec le cinéma. Red Dead Redemption 2, dernier exemple en date, est à ce titre une pure merveille. Il suffit d'écouter la prestation de l'acteur incarnant Arthur Morgan pour s'en convaincre. La voix, et le doublage sont devenus des éléments essentiels de la production vidéoludique moderne. Leur présence, où leur absence apporte du sens à un jeu, et permet d'apporter des informations supplémentaires aux joueurs. La voix peut même être placée au centre du dispositif ludique comme c'est le cas pour notre Indiescovery de la semaine.

Alt-Frequencies

par Accidental Queens (2019)

Alt-Frequencies, puisque c'est de lui dont on va parler aujourd'hui, est la troisième production du studio Accidental Queen après A Normal Lost Phone et A Normal Lost Phone : Laura's Story. Deux titres qui exploraient la vie et l'intimité d'une personne à travers son téléphone portable, et dont le dispositif était particulièrement intéressant. Le studio avait en effet décidé de reproduire un OS mobile, avec ses applications de musique, messagerie et autre que le joueur pouvait explorer à l'envi. Une très jolie trouvaille qui mettait un accent tout particulier sur la narration et l'immersion, d'autant plus qu'il s'agissait d'un jeu pensé pour tourner sur téléphone portable. Une alliance quasi parfaite du fond et de la forme en somme, pour un résultat que je vous incite fortement à découvrir.

« Ah Orwell, quand tu nous tiens. »


Pour cette nouvelle production, Accidental Queens a décidé d'abandonner le réalisme de ses précédentes productions pour partir explorer les terres de la science-fiction. Alt-Frequencies nous emmène en effet dans un lieu et une époque parfaitement inconnue, à l'aube d'une petite révolution. Le gouvernement prépare en effet un texte de loi, soumis à référendum, visant à mettre en place un système de boucle temporelle. Cette dernière, contrôlée par les instances dirigeantes, vise à réguler l'économie, et l'écologie, pour aller vers un monde meilleur, plus sain, permettant de faire refleurir les arbres. Du moins, c'est là le discours officiel, car vous comme moi savons qu'un tel outil est à double tranchant, et qu'il peut tout aussi bien être utilisé pour réprimer des révoltes dans l'œuf, ou tout simplement empêcher les contradicteurs éventuels de s'exprimer. Ah Orwell, quand tu nous tiens.

Alt-Frequencies
Un peu d'humour internet ne fait jamais de mal

Le studio n'a toutefois pas renoncé à nous proposer des dispositifs originaux. Et si l'on abandonne ici l'interface mobile, c'est au profit d'un tout nouveau concept reposant sur la radio. Le début du jeu nous met en effet dans la peau d'une personne venant d'acquérir un poste de radio flambant neuf. Un poste qui nous permettra bien évidemment d'écouter les différentes stations diffusant sur les canaux hertziens, mais disposant aussi de quelques fonctionnalités supplémentaires, comme la possibilité d'enregistrer des portions d'émissions, et de les envoyer aux différents présentateurs. C'est là la principale mécanique du jeu d'ailleurs qui nous invitera à utiliser les éléments piochés sur les différentes stations pour faire progresser le récit, et découvrir les tenants et les aboutissants de ce projet gouvernemental qui est loin d'être aussi simple qu'il n'y parait au premier abord.

« Armé de votre fidèle enregistreur, vous pourrez alors mener l'enquête, et découvrir les tréfonds de cette histoire.»


Dès le tutoriel passé, vous pourrez vous rendre compte qu'il y a quelque chose de pourri en le royaume. Alors que vous serez tranquillement en train d'écouter les nouvelles du jour sur une station, ou un talk-show remonté sur une autre, vous vous retrouverez propulsé sans vergogne face à un écran blanc, qui vous ramènera au début de la journée. Un cycle de répétition digne d'un jour sans fin qui vous prouvera que cette histoire de boucle temporelle n'est pas du pipeau, et qu'elle semble même déjà mise en place à l'insu de tout le monde. En vous baladant sur les canaux, et en prenant garde à ce qui s'y dit, vous pourrez même tomber sur une fréquence pirate sur laquelle opère une sorte de résistance, qui vous enjoindra à découvrir et propager la vérité au plus grand nombre. Armé de votre fidèle enregistreur, vous pourrez alors mener l'enquête, et découvrir les tréfonds de cette histoire.

Dans les grandes lignes, et pour ne rien divulgacher, Alt-Frequencies se découpe en plusieurs séquences qui représentent les jours nous séparant du vote de la boucle temporelle. Pour chacune d'entre elles, vous devrez accomplir un ou plusieurs objectifs en utilisant à bon escient les informations obtenues sur telle ou telle station de radio. Une manière de faire évoluer la situation, et de changer les réactions des différents protagonistes de l'histoire jusqu'à casser la boucle temporelle du jour, et passer au suivant. Dès lors, il faudra se prendre au jeu, et écouter attentivement les émissions diffusées sur chaque station afin d'en tirer la substantifique moelle. Au-delà de ce simple aspect ludique, cela permettra aussi de découvrir plus en profondeur les animateurs, leurs opinions, et leurs histoires aussi, les rendant par la même occasion plus sympathiques.

Alt-Frequencies
Les Brèves de News One, un prequel gratuit à découvrir sans plus attendre sur le site d'Accidental Queens

Au fur et à mesure des séquences, on s'attachera à ces protagonistes, et l'on prendra plaisir à les voir évoluer en fonction des informations qu'on leur apporte. D'autant plus que les créateurs du jeu ont inclus, en sus des embranchements nécessaires à la progression de l'histoire, quelques interactions assez marrantes que l'on prendra plaisir à découvrir. Si l'on peut reprocher à Alt-Frequencies sa relative brièveté, difficile de mettre en doute les qualités d'Accidental Queens en termes de maîtrise de leur narration. À titre personnel, j'aurais aimé voir leur histoire se développer plus longuement, ne serait-ce que pour pouvoir découvrir cet univers intrigant un peu plus en profondeur, et les personnages qui le peuplent.

« difficile de ne pas se rendre compte des contraintes imposées par la déontologie. »


Au-delà de cette légère déception, Alt-Frequencies reste une très belle découverte, qui propose non seulement dispositif narratif original, mais aussi un propos fort qui utilise le prisme de la science-fiction pour nous interroger sur notre quotidien. Avec ce jeu, le studio nous pousse à nous questionner sur notre rapport au média et à l'information d'une manière qui évite la plupart des écueils les plus grossiers. En étant acteur de la diffusion de l'information, difficile de ne pas se rendre compte des contraintes imposées par la déontologie. Faut-il prendre une information à la légère ? La diffuser sans l'avoir vérifiée ? Faut-il tout dire ? Tout montrer ? Autant de questions que ce jeu nous pousse à nous poser. Et très franchement, cela fait du bien, surtout à notre époque où la guerre de l'info fait rage, et où la défiance envers les médias, et les journalistes, est de plus en plus prégnantes.

Et autant vous dire qu'en tant plumitif aux aspirations vaguement journalistiques (je ne parle que de jeu vidéo après tout, rien de bien important), cela touche malgré tout la corde sensible. Je pense aussi qu'il s'agit de questions, et de thématiques, dont tout le monde devrait se préoccuper. Le fait que le jeu vidéo s'en empare n'est d'ailleurs pas anodin, et cela me ravit au plus haut point. D'autant plus si cela peut éveiller quelques consciences, et permettre la construction d'un débat plus sain sur la valeur de l'information et ceux qui la font, et que l'on commence à oublier les clichés sur les « merdias » et autres idioties du genre. Mais je m'égare, comme souvent. Tout ça pour vous dire, au final, qu'Alt-Frequencies est un jeu important à sa manière. Pas forcément parfait, mais important tout de même.

On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :

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Commentaires (1)

Felaz
Trop cool ce podcast, GG !
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