Nicolas Amestoy : "La voix sur IP va dans le sens de l'histoire."

28 mars 2006 à 00h00
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Directeur de Scholè Marketing (www.schole.fr), Nicolas Amestoy publie une étude à propos de la Voix sur IP en entreprise

JB - Vous publiez une étude sur la voix sur IP. Après avoir conquis les foyers, cette technologie se développe t'elle également dans les entreprises ?

NA - Cela ne se passe pas exactement de la même manière. Pour le grand public, l'avantage est immédiat puisqu'en adoptant un forfait Triple Play, non seulement il réalise des économies sur sa facture téléphonique mais il bénéficie également de deux nouveaux services comme l'internet haut débit ou la télévision. Pour les entreprises, le débat est plus complexe et sur les 250 entreprises que nous avons étudiées, nous avons plutôt perçu un certain attentisme malgré la multiplication des offres. Les entreprises n'arrivent pas forcément à cerner les apports fonctionnels de la ToIP.

JB - Selon vous, quelle est la principale motivation pour passer à la téléphonie IP : Réaliser des économies sur la facture télécom ? Simplifier l'infrastructure ?

NA - Selon notre étude, 50% des TPE/PME qui souhaitent passer à la ToIP sont attirées par la perspective de réaliser des économies. Mais le paradoxe est que, en dehors des communications entre plusieurs sites, la facture a plutôt tendance à s'alourdir, essentiellement à cause de nouveaux équipements. Un poste traditionnel coûte environ 50 € mais il faut investir près de 250 € pour un poste ToIP sans parler d'un nouveau IPBX.

Certains opérateurs proposent des offres hébergées dites "centrex" mais la location de l'IPBX se retrouvera forcément sur la facture. Selon nos calculs, la téléphonie d'entreprise ne coûte aujourd'hui que 42 € HT par poste et par mois et l'introduction de l'IP, en soi, ne permet pas de réduire cette facture.

JB - En passant à l'IP, les entreprises peuvent-elles bénéficier de nouveaux services ?

NA - Oui, outre la gratuité des communication inter sites, on peut par exemple évoquer la grande souplesse d'administration des combinés. Il devient très simple de changer de poste ou d'ajouter une nouvelle ligne dans une entreprise, sans avoir recours à un technicien. Les postes IP ne sont plus brassés physiquement aux cartes abonnées des autocommutateurs. L'utilisateur se connecte au téléphone avec un « login » et un mot de passe ; il bénéficie alors de son profil téléphonique avec le niveau de service qui lui a été attribué par l'administrateur (numéro d'abonné, service à valeur ajoutée, restrictions éventuelles, ...).

Le poste physique devient ainsi l'hôte d'un utilisateur où qu'il soit dans l'entreprise ou chez lui avec un softphone.

La téléphonie IP permet également d'être interconnecté au système d'information de l'entreprise. L'IP transforme les conversations téléphoniques en communication multimédia qui intègrent visiophonie, présence, partage de fichiers, travail collaboratif, accès au monde web (XML). On peut partager un carnet d'adresses ou gérer très facilement les transferts d'appels. Il faut toutefois rappeler qu'en France, certains de ces services existent déjà avec les infrastructures traditionnelles mais qu'ils sont très peu utilisés. Je doute que le passage à l'IP change ces habitudes.

JB - Pour un directeur informatique, la voix sur IP est-elle facile à administrer ?

NA - Indéniablement, l'administration, la configuration ou la maintenance sont facilités. Mais l'introduction de la téléphonie IP peut également se retourner contre le directeur informatique car en fusionnant des fonctions comme la téléphonie et l'informatique qui étaient jusqu'à présent séparées, on soulève de nouvelles questions. Un réseau peut s'avérer satisfaisant pour la messagerie électronique mais insuffisant pour de la voix qui exige une bonne qualité de service.

JB - La VoIP est encore récente. Les équipements ou les infrastructures sont-ils vraiment fiables ?

NA - Nous avons réalisé notre étude avec le laboratoire ILEXIA, spécialisé dans l'analyse de ces matériels. Pour faire bref, nous avons décelé moins de problèmes avec les équipements IPBX qu'avec les solutions de type Centrex. Nous avons également été confrontés à des problèmes d'interopérabilité entre des matériels hétérogènes.

JB - Parmi les opérateurs qui proposent des services de Voix sur IP, faut-il préférer les grands opérateurs historiques ou les nouveaux opérateurs alternatifs offrent-ils des services satisfaisants ?

NA - Parmi les opérateurs alternatifs, des sociétés comme B3G, positionnés en centrex, atteignent une taille suffisante pour fournir des service en adéquation avec les attentes des entreprises. Pour d'autres, on peut parler de mise au point progressive...

Pour l'opérateur historique , le service est également très satisfaisant et justifie certainement des tarifs supérieurs à ceux de ses concurrents. Mais cet opérateur est dans une position commerciale difficile car la VoIP ne lui rapporte pas autant que son métier historique, ce qui l'oblige à muer d'opérateur de réseau à opérateur de service pour conserver ses marges. En outre, le fait que France Telecom s'engage dans la téléphonie IP et le Centrex a également tendance à crédibiliser les offres d'opérateurs alternatifs...

JB - Existe t-il des risques en matière de sécurité, en particulier dans le cadre de l'utilisation de combinés sans-fil WiFi ?

NA - Si l'entreprise adopte tous les protocoles de sécurité proposés par les équipementiers, la téléphonie IP est théoriquement inviolable. Je note toutefois que beaucoup d'entreprises s'interrogent sur ces questions de sécurité pour la ToIP mais que la question se pose déjà pour la messagerie d'entreprise, également IP, où les e-mails ne sont pas cryptés et qui véhiculent également des informations stratégiques.

JB - A l'image de Skype, existe t'il des infrastructures P2P de Voix sur IP satisfaisantes pour le monde de l'entreprise ?

NA - En dehors de Skype, je ne crois pas. Cela dit, sur les 75 millions d'utilisateurs actifs de Skype, près de 30% sont en entreprise et cette société multiplie d'ailleurs les services à destination de cette cible. Je pense qu'il existera un double marché avec d'une part des acteurs nationaux, en IPBX ou Centrex, et d'autre part des acteurs transversaux avec des solutions comme Skype.

Ce type de solution prendra certainement des parts de marché aux autres solutions mais créera également des nouveaux usages et du trafic supplémentaire. On peut par exemple passer trois heures à passer un appel à l'autre bout du monde ou préférer une communication vocale à une communication écrite.

JB - Pensez vous que le marché de la voix sur IP pourrait échapper aux grands équipementiers télécom au profit des éditeurs de progiciels comme Microsoft, ou , très présents dans la messagerie d'entreprise ?

NA - Je pense effectivement que le marché des softphones va prendre une ampleur considérable dans les années à venir, qu'ils s'agisse d'éditeurs de progiciels incluant la VoIP dans leur suite, d'acteurs de l'internet comme , Google ou MSN ajoutant la VoIP à leurs messengers ou d'acteurs spécialisés comme Skype.

Mais ce sont surtout les opérateurs qui vont souffrir de cette concurrence. Il est toujours difficile d'anticiper l'évolution du marché mais le bras de fer entre les acteurs du logiciel, de l'internet ou des télécoms a en tout cas déjà commencé.

JB - Research in Motion vient de racheter Ascendent Systems pour ajouter la VoIP à ses serveurrs blackberry. Qu'en pensez vous ?

NA - En 2006, le marché de l'IP sera encore focalisé sur la téléphonie fixe qui bénéficie de l'apport de nouvelles fonctionnalités mais la mobilité constitue incontestablement la nouvelle frontière pour 2007, d'autant que les opérateurs cellulaires proposent encore des tarifs très élevés.

L'arrivée de l'IP sur les mobiles entraînera certainement une baisse des revenus ou du moins une forfaitisation. En Allemagne, Skype a par exemple signé un partenariat avec E-plus et les éditeurs de messagerie instantanée - qui incluent des fonctions de VoIP - tentent de s'implanter sur le marché du mobile.

JB - Selon Jupiter Research, le marché mondial de la VoIP devrait atteindre 18 milliards de dollars d'ici 2010. Partagez vous cette estimation ?

NA - Je ne sais pas comment est fait ce calcul, si il inclut uniquement les communication ou également les infrastructures. Mais selon notre étude, limitée au marché française, près de 47% des entreprises se disent prêtes à migrer vers la téléphonie sur IP, soit un marché potentiel de près de 6 millions de lignes de lignes.

JB - En conclusion, que faut-il retenir de la téléphonie sur IP ?

NA - Tout simplement que la ToIP va dans le sens de l'histoire mais que le rythme ne sera pas aussi rapide que certains le prédisent. Les entreprises ont encore besoin d'être convaincues mais ce marché devrait redynamiser la téléphonie fixe, au bénéfice des équipementiers, constructeurs et de certains opérateurs.

JB - Nicolas Amestoy, je vous remercie.
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