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Lionel Thoumyre - SPEDIDAM : "Le peer-to-peer n'a rien d’illégal"

02 novembre 2005 à 00h00
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Responsable 'nouvelles techniques' à la direction des affaires juridiques de la SPEDIDAM, Thoumyre précise son point de vue sur le P2P et la licence globale.

AB - Lionel Thoumyre bonjour. Quelles sont les missions de la SPEDIDAM (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse) et quel est votre rôle au sein de l'entité ?

LT - La SPEDIDAM est un organisme de gestion collective qui comprend 25.000 adhérents. Elle perçoit et répartit les droits d'environ 55.000 ayants droit, principalement des musiciens accompagnateurs.

Mon rôle consiste à faire en sorte que les droits des artistes-interprètes soient respectés dans le contexte des nouvelles technologies de communication, notamment leur droit à rémunération.

AB - Le peer-to-peer (P2P), l'échange de fichiers poste à poste sans serveur central, est trop souvent associé à l'illégalité. Or, la technologie n'est pas illégale, elle est notamment utilisée entre universités américaines (i2hub). Que pensez-vous du P2P ?

LT - Sa technologie n'a en effet rien d'illégal. Elle est non seulement utilisée à d'autres fins que l'échange de contenus culturels (travail collaboratif, multiplication des puissances de calcul, stockage massif de données scientifiques), mais elle sert aussi à la distribution d'œuvres en "copyleft" et de formidable outil de promotion pour les artistes-interprètes.

Cette technologie a été trop rapidement associée à un instrument de piratage. C'est le fait de groupes de pression qui pensaient avoir intérêt à la dénigrer, les mêmes qui ont diabolisé la cassette audio, le VHS et le CD, plutôt que d'en apprivoiser les usages.

AB - La SPEDIDAM est membre de l'Alliance public-artistes, un regroupement favorable à l'intégration du P2P dans l'économie de la filière musicale par le biais de la licence globale. Pouvez-vous définir cette licence globale ?

LT - En deux mots, la licence globale est une autorisation donnée aux internautes afin que ces derniers puissent effectuer des téléchargements et des partages d'œuvres (musique, films, photos) sur Internet dans un cadre légal clairement défini et sécurisé.

Plus précisément : la licence est délivrée par la loi, pour les actes de téléchargement, à travers l'exception pour copie privée et, pour les actes de partage, par les représentants d'ayants droit à travers l'instauration d'un système de gestion collective obligatoire.

La licence est dite "globale" car elle couvre les deux types d'actes (download/upload). Elle donne lieu, en contrepartie, à une rémunération pour les ayants droit, rémunération qui devra être perçue par les fournisseurs d'accès à Internet et reversée par eux à une société de perception unique.

AB - La licence globale - soutenue par Alain Suguenot, député UMP - n'est-elle pas un nouvel impôt qui serait payé par tous les internautes en France alors que le partage d'œuvres de l'esprit par le biais du P2P est pratiqué par certains ?

LT - Deux solutions sont possibles :

La première consiste à prélever une somme forfaitaire sur tous les abonnements souscrits auprès des fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Ce système présente l'avantage, en mutualisant les coûts, de diminuer le montant devant être perçu sur chaque connexion. Le problème, c'est que la somme supplémentaire dont il faudra s'acquitter auprès du FAI peut effectivement être ressentie comme une "taxe" pour ceux qui ne partagent pas d'œuvres.

La seconde solution consiste à rendre la licence globale optionnelle et à ne percevoir la rémunération des ayants droit qu'auprès de ceux qui auraient souhaité en bénéficier. Il est fort probable qu'une majorité d'internautes pratiquant le P2P opteront pour cette licence dès lors qu'ils y trouvent le moyen de poursuivre leurs usages dans un cadre juridique sécurisé, pour eux, comme pour le reste de leur famille.

La proposition de loi destinée à légaliser les échanges ne semble pas prendre parti pour l'une ou l'autre de ces solutions. Le député Alain Suguenot, qui est à l'origine de cette proposition, a annoncé qu'il se tenait prêt à la faire évoluer. Peut-être cette évolution ira-t-elle dans le sens d'une licence optionnelle.

AB - Quid du droit à la copie privée ?

LT - S'agissant de la copie privée, il existe une véritable synergie entre l'artiste et son public : Elle représente un espace de liberté nécessaire pour l'amateur de musique et une source de rémunération pour l'artiste mais aussi pour la création culturelle.

Rappelons que 25% des sommes prélevées au titre de la licence légale et de la copie privée sont directement réinjectés dans l'aide à la création. Défendre la copie privée c'est défendre sa rémunération, et vice versa.

Certains acteurs, les producteurs de disques notamment, veulent faire croire que la copie privée est du piratage et qu'elle nuit à la création, c'est l'inverse : La copie privée la soutient !

Fort heureusement, les actes de téléchargement ont été reconnus comme étant licites par plusieurs tribunaux (TGI de Rodez, de Meaux, du Havre, et surtout par une Cour d'appel, celle de Montpellier). La moitié du chemin vers la licence globale est donc parcouru.

Mais l'exception pour copie privée ne couvre pas les actes de mises à disposition du public (upload). Ce pour quoi il est nécessaire de prévoir un dispositif juridique permettant de l'autoriser. Il faut aussi prévoir un système permettant de rémunérer les ayants droit pour l'ensemble des actes effectués sur les réseaux peer-to-peer. C'est ce que propose la licence globale.

AB - Les débats sur le projet de loi "droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information" opposent les sociétés de gestion collective des droits des auteurs à celle des sociétés qui gèrent les droits des artistes-interprètes. Pour quelles raisons ?

LT - L'opposition entre artistes-interprètes et auteurs est propre au secteur de la musique. En effet, plusieurs organismes représentant les droits d'auteurs d'images fixes et de photographes, dont la SAIF, sont membres de l'Alliance Public-Artistes et défendent la licence globale.

Les réserves émises par la SACEM sur la licence globale s'expliquent en grande partie par les pratiques de perceptions de cet organisme qui sont fondées, pour l'essentiel, sur des contrats qu'il négocie seul auprès des lieux sonorisés, des radios, des chaînes de télévision... Or, la licence globale ne lui permettra pas de négocier individuellement ce qui doit lui revenir, puisque les consommateurs et d'autres ayants droit sont impliqués et auront également leur mot à dire.

La position de la SPEDIDAM se fonde, elle, sur une pétition signée par 14.000 artistes-interprètes par laquelle ils déclarent s'opposer à l'attitude répressive et soutenir l'instauration d'une rémunération perçue auprès des fournisseurs d'accès qui puisse leur être garantie. C'est cette volonté que nous tentons de faire respecter dans le contexte du peer-to-peer.

On comprend difficilement que d'autres organismes d'ayants droit poursuivent des internautes devant les juridictions pénales et soutiennent la mise en place de dispositifs de surveillance.

Les réseaux peer-to-peer ne sont pas contrôlables, les poursuites judiciaires ne mènent à rien (la proportion d'amateurs de P2P est restée inchangée depuis deux ans) et les systèmes de surveillance bafouent la protection des données personnelles, comme le démontre la décision de la CNIL du 18 octobre 2005. Tout cela ne peut que nuire à l'image des artistes et les couper de leur public.

Il faut bien comprendre que les intérêts de l'artiste et ceux de l'amateur de musique ou de films sont intrinsèquement liés. Un artiste existe essentiellement à travers son public. Il ne peut donc s'engager sur la voie répressive. C'est cette "vision des choses" qui réunit les membres de l'Alliance Public-Artistes*.

AB - Lionel Thoumyre, merci pour ces éclaircissements.



  • L'Alliance Public-Artistes réunit de grandes associations de consommateurs (Que-Choisir, UNAF, CLCV...), trois sociétés de gestion collective (SPEDIDAM, ADAMI, SAIF) et de nombreux syndicats d'artistes (SAMUP, , SNAPCOVA-CGC, SNM-FO, etc.)
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