Internet est-il un droit universel ? Débat au WWW 2012 !

Stéphane Ruscher
Spécialiste informatique
19 avril 2012 à 18h33
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La conférence World Wide Web 2012, qui se tient cette année à Lyon, se poursuit avec un keynote animé par la Vice Présidente de la Commission Européenne, Neelie Kroes, suivie d'un débat autour de la place du net en tant que droit fondamental

Internet est-il un droit universel, ou un agent de libération ? Telle est la question qui plane au dessus de la conférence de Neelie Kroes, suivie d'un débat entre la Vice Présidente de la Commission Européenne, Gilles Babinet, directeur du Conseil National du Numérique et... Tim Berners-Lee, l'inventeur du World Wide Web, de retour après un keynote où il avait déjà commencé à exposer sa vision d'un web ouvert.

Celle de Neelie Kroes est une affaire de compromis : « Pour moi l'ouverture, c'est un forum pour que chaque personne puisse s'exprimer, une manière pour chaque créateur d'être rétribué, une sécurité qui garantit la liberté de tous, et des services transparents qui correspondent à ce que les utilisateurs demandent, et ce pourquoi ils payent ».

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Une vision de l'ouverture qui inclut également les fournisseurs, lorsque Neelie Kroes se lance dans une défense de la liberté... de limiter l'accès à internet, tant qu'un plein accès est proposé par ailleurs : « Les gens sont souvent inquiets lorsqu'on essaie de limiter l'usage du net de quelque façon que ce soit, parce qu'ils voient cela comme une forme de censure ». Néanmoins, il y a selon Neelie Kroes des cas de figure où nous acceptons ces limitations : « De nombreuses offres limitent le nombre de Mo que vous pouvez consommer pendant le mois, pour un tarif fixe. Et nous acceptons volontiers ces offres, parce qu'elles peuvent suffire à nos besoins. Si tout ce que je souhaite est consulter mes mails, pourquoi devrais-je payer la consommation de vidéos d'un autre ? »

L'internet comme un droit : le débat s'ouvre !

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L'allocution de Mlle Kroes achevée, elle rejoint ses collègues pour un débat où les rôles sont distribués habilement : Neelie Kroes défend une vision de l'ouverture basée sur un compromis entre liberté et régulation, Tim Berners-Lee appuie ses positions exprimées hier, et son opposition aux législations compromettant la neutralité du net... Et Gilles Babinet endosse le « mauvais » rôle, celui du défenseur des ayant droits.

La discussion est initiée par une citation des propos récents de Sergei Brin dans son interview au Guardian, auxquels Tim Berners-Lee s'associe : « Je partage complètement les craintes de Sergei Brin. Des puissances très fortes s'opposent à nous. Aux Etats Unis, où il vit, les lobbys industriels ont énormément de pouvoir et on assiste à une succession de lois, comme SOPA et PIPA, qui ont généré une énorme protestation. Ces lois ont été avortées, mais quelques semaines après, la loi SISPA apparaît, dont on nous dit qu'elle est différente, mais elle menace nos droits de la même manière ».

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Comment définir la place d'Internet dans les droits de l'Homme ? Tim Berners Lee rappelle le droit à l'information et à l'expression tel qu'il est défini par la déclaration universelle, puis prend l'exemple d'une reqûete : « Lorsque vous recherchez quelque chose sur Google, vous avez accès à ce que le monde entier pense des termes que vous avez recherchés ». Un pouvoir qui, selon Berners-Lee, agrandit le fossé entre ceux qui ont accès à Internet et ceux qui ne l'ont pas, en citant les événements du printemps 2011 : « Quand le régime égyptien a pris la décision de déconnecter Internet, c'est la première fois que le peuple s'est vraiment rendu compte que ça pouvait arriver. Nous devons établir le droit de faire entendre notre voix quand le net nous est retiré. »

On notera également des statistiques assez intéressantes révélées par Neelie Kroes : 41% des italiens n'auraient jamais utilisé Internet, et ce chiffre descend à 31% lorsque l'on parle de l'Europe toute entière.

Lutter contre les voleurs de moutons

Très vite, la discussion se déplace vers les lobbys industriels et notamment l'industrie du disque, contre laquelle Tim Berners-Lee est très remonté : « Il y a énormément d'activité sur le net, surtout commerciale. Et l'industrie du disque en fait partie, mais quand on les écoute parler, c'est l'Internet contre l'industrie du disque, comme si le net était une machine que l'on a créé pour les détruire. Et c'est à cause de cette pression de l'industrie, qui défend son modèle économique traditionnel, que l'on se retrouve avec ces lois, qui nous effraient, Sergei Brin et moi-même. ».

Et Berners-Lee de remporter l'adhésion du public avec une analogie historique : « Il fut un temps, dans certains pays, où on coupait la main des voleurs de moutons, parce que ça les empêchait d'en voler un autre (...) En coupant l'accès à internet quand un jeune a volé de la musique, on empêche également les autres enfants de la famille de faire leurs devoirs. Et empêcher un enfant de faire ses devoirs est une punition assez absurde ! »

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Face à cette salve, Gilles Babinet a la délicate position de devoir défendre la position des ayant droits : « Il est complètement naïf de penser que la loi ne s'applique pas au monde d'Internet (...) Et il est juste de dire que l'on doit protéger les droits des artistes. Il faut se rendre compte que dans la plupart des pays développés, des initiatives similaires à Hadopi sont prises. ». Le directeur du Conseil National du Numérique prend néanmoins ses distances avec le volet répressif de la loi : « Personnellement, je pense que couper la connexion est une erreur, ça n'est pas intéressant et ça va trop loin. Il nous faut trouver un moyen de faire comprendre aux gens que le droit d'auteur est un problème, c'est une question d'éducation. Et aussi que les fournisseurs de contenu aient la possibilité d'innover. »

Une offre légale ouverte comme solution ?

Gilles Babinet note tout de même une amélioration, déclarant que 2012 sera la première année de croissance pour l'industrie du disque en France depuis 2001 et notant les progrès de l'offre légale sur la musique (Spotify et Deezer sont forcément cités)... Mais pas pour le cinéma : « Il y a tellement de contraintes mises en place par les ayant droit, que l'offre disponible est très pauvre ». Autre frein noté par Gilles Babinet : le monopole des sociétés de gestion des droits en Europe, dont la SACEM. Neelie Kroes le rejoint sur ce point : « Elles prétendent protéger les droits des artistes, mais ça n'est pas le cas. Cela étant, le pouvoir est entre les mains des politiciens. Il est crucial que la rémunération décente des artistes soit prise en compte, mais le système doit changer (...) Certains états d'esprits ne correspondent plus à la réalité d'aujourd'hui et de demain »

Finalement, Tim Berners-Lee boucle la boucle par rapport à son discours d'ouverture. Répondant à la question d'un jeune manager de groupes frustré d'être bloqué par le système des maisons de disque qui lui ferme les portes de plateformes comme iTunes, il incite à la création de sa propre plateforme : « Imaginez le monde comme vous le souhaitez. Comment l'utilisateur interagit, si vous voulez qu'il paye directement, qu'il effectue une donation ou une combinaison des deux, comment le système fonctionne, si vous avez besoin de tiers... Imaginez tout ça. Puis, faites votre geek, codez, utilisez des logiciels libres comme Apache, faites en sorte que ça fonctionne sous tous les navigateurs... Faites le ! ». Un peu plus tard, il avouera sans les citer que la plateforme la plus verrouillée, iTunes, est également la mieux intégrée. On verra si son rêve d'un iTunes basé sur sa définition d'un web « ouvert » finira par voir le jour...

Stéphane Ruscher

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Tombé dans un Amstrad CPC quand j'étais petit, je teste des logiciels, des Mac, des claviers, des souris ou des tablettes pour Clubic depuis 2005. J'aime aussi écouter du rock et de la musique élect...

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Tombé dans un Amstrad CPC quand j'étais petit, je teste des logiciels, des Mac, des claviers, des souris ou des tablettes pour Clubic depuis 2005. J'aime aussi écouter du rock et de la musique électronique, en faire même un peu, regarder des films pas trop bêtes, et rire d'humour absurde.

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