La Space Force, entre risée mondiale et future élite numérique

Cyril Fiévet
Cyberculture
03 mars 2021 à 18h45
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US Space Force

Le nouveau corps de l'armée américaine dévolu à l'espace, l'US « Space Force », n’en finit pas de faire rire sur le Web. Le projet est pourtant plus que sérieux, et regroupera avant tout des experts du numérique, clés de voute des systèmes spatiaux présents et futurs.

La United States Space Force (USSF), officiellement créée le 20 décembre 2019 et rattachée à l’armée de l’air, est assortie d’une mission claire : « Organiser, former et équiper les forces spatiales afin de protéger les intérêts américains et alliés dans l'espace ». Mais son intérêt et sa légitimité ne font pas l’unanimité et le nouveau corps suscite doutes et moqueries.

Space... farce ?

Dès l’origine, sur les réseaux sociaux, on se gausse en relevant le caractère « science-fictionesque » d’une force spatiale. Beaucoup s’étonnent d’ailleurs de la similitude entre l’écusson officiel de la Space Force et le logo de Star Trek…. Mais surtout, alors que l’activité humaine dans l’espace se résume à des satellites, des rovers d’exploration et une unique station orbitale vieillissante habitée par une poignée de scientifiques, avait-on vraiment besoin de militaires de l'espace ? « Ce n'est pas une farce, c'est critique au plan national », crut bon de préciser le Général John Raymond aux journalistes, lors de sa prise de fonction à la tête de la Space Force.

Les choses se compliquent pourtant avec la sortie sur Netflix en 2020 d’une série de fiction, également baptisée Space Force. Quelques mois après la formation de la « vraie » Space Force, le timing paraît incroyable, d’autant que la série est avant tout une comédie multipliant les situations burlesques. Outre Steve Carell (The Office) en Général excentrique qui chante et danse pour se donner du courage, et John Malkovich en scientifique exaspéré par les militaires, on y voit un chimpanzé tenter de réparer un satellite ou des astronautes chinois se moquer des Américains depuis la Lune. La série, qui ne se veut pourtant pas dénuée d’un certain réalisme, décrit une Space Force incertaine et chaotique, dont les responsables peinent à imposer le sérieux de leur mission.

Crédit : Netflix
Crédit : Netflix

Les internautes se régalent, les mèmes se multiplient, tandis que s’installe une étonnante mise en abîme : quelle « Space Force » est la plus risible, la vraie ou sa parodie ? En attendant, Netflix persiste et signe, et annonce la production d’une saison 2.

Le coup de grâce, si l’on peut dire, est donné par les militaires américains qui décident en décembre 2020 du nom officiel des soldats de la Space Force : ce seront des « Gardiens ». Oui, comme dans les comics et films Marvel, Guardians of the galaxy. De quoi alimenter de nouvelles moqueries et de nouveaux mèmes à base d’improbables super-héros extraterrestres.

Sur les réseaux sociaux, on recommande à l’armée américaine d’adopter un raton laveur comme mascotte, en référence au Rocket de l’univers Marvel, un raton laveur cyborg, génétiquement modifié et super-armé.

De l’espace au numérique

Evidemment, cela ne fait pas rire tout le monde. « L’US Space Force se fait ridiculiser par la pop culture », s’insurge Wendy Whitman Cobb, professeure de stratégie à l’école d’études avancées de l’US Air Force. Dans un article publié en février 2021 sur le très sérieuxSpace War, elle constate que « la Space Force est désormais davantage un mème qu’un corps militaire » et regrette que « peu de gens la prennent au sérieux ».

De moqueries en références incessantes à la série Netflix ou à d’autres films de science-fiction, l’image de la Space Force en ressort fortement écornée, estime-t-elle. Et c’est un problème. « Voir la Space Force comme une plaisanterie nous détourne des responsabilités essentielles qu’elle doit assumer », conclut-elle, précisant par exemple que « les missions de surveillance et de suivi des satellites et des débris spatiaux ne sont pas aussi intéressantes que les histoires de Star Wars, mais elles sont fondamentales pour l'économie mondiale et la sécurité nationale ».

US Space Force

De quoi rappeler que, malgré tout, l’US Space Force est bien réelle. Elle abrite aujourd’hui environ 2 500 Guardians et devrait en compter 16 000 dans les années qui viennent. C’est peu comparé à d’autres corps (celui des Marines, par exemple, compte 180 000 soldats). Mais c’est beaucoup pour une force entièrement dédiée à la « guerre spatiale ».

Mais alors, que vont faire ces milliers de « gardiens de l’espace » ? « Tout ce que nous faisons à la Space Force touche au logiciel », explique la lieutenant Jackie Smith, responsable du premier bootcamp dédié à la formation informatique des Guardians, qui s’est terminé en janvier dernier. En sont sortis 28 diplômés — des « supra-codeurs » sélectionnés parmi 300 candidats. « Le développement logiciel est un atout stratégique », résume Smith, expliquant que des centaines d’experts numériques formeront bientôt les rangs de la Space Force. Le corps tire d’ailleurs parti des centres de formation de l’US Air Force, où sont déjà enseignés le développement logiciel, le big data, l’intelligence artificielle ou la cybersécurité.

Et parmi les tâches affectées à cette « unité d’élite numérique », il reviendra de « concevoir, développer et tester des satellites dans des environnements entièrement virtuels », tout en surveillant l’espace pour prévenir défaillances et piratages de satellites réels. En somme, la « guerre spatiale » se joue pour l’instant en mode 100% numérique, avec pour seule arme le code informatique.

Tant pis pour les combats au sabre laser et les ratons laveur cybernétiques.

Cyril Fiévet

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Cyril Fiévet est ingénieur, journaliste et auteur. Il couvre depuis une vingtaine d’années les technologies de pointe, l'innovation et les tendances émergentes. Il a publié plusieurs centaines d’artic...

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Cyril Fiévet est ingénieur, journaliste et auteur. Il couvre depuis une vingtaine d’années les technologies de pointe, l'innovation et les tendances émergentes. Il a publié plusieurs centaines d’articles dans une vingtaine de médias sur la cyberculture, l'évolution des usages numériques, l’intelligence artificielle, les interfaces homme-machine, les blockchains... et 7 livres annonçant successivement l’avènement d’Internet, des blogs, des robots ou des crypto-monnaies.

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Commentaires (15)

jedi1973
Quand on ira sur Mars par vaisseau colonie entier, elle fera moins rire la SpaceForce… SI on veut eviter une nouvelle ruée sanglante et meurtriere vers l’ouest…
cirdan
Malheureusement le sujet est bien sérieux, il suffit de voir la course à la technologie spatiale menée par les grandes puissances. Par contre les appellations et logos, ça fait un peu Far West…<br /> C’est peut-être pour rappeler qu’après la ruée vers l’or, la ruée vers l’orbite n’a déjà plus de secrets pour eux.
carinae
Bah pas besoin d’aller sur Mars…il y a déjà pas mal de satellites militaires au dessus de nos têtes …<br /> Bon par pour le reste c’est clair que certains se prennent visiblement pour des super héros (très américain ça). Ils auraient pu choisir un autre nom …
Bibifokencalecon
La série TV Space Force était une déception pour moi (avis personnel).<br /> Concernant l’entité Space Force américaine, disons qu’on s’en moque aujourd’hui gentiment car c’est nouveau, balbutiant, et pas bien claire comme approche (et en même temps… cela est normal que cela reste secret). Pour le moment, c’est pour protéger l’équipement spatial (les communications ayant toujours été un acteur central dans un conflit) et donc permettre de coordonner efficacement des actions à travers tout le globe.<br /> Mais sur le site officiel, on parle de plusieurs développements / divisions :<br /> 1/ armes léthales (missiles / satellites)<br /> 2/ capacité à des actions «&nbsp;commandos&nbsp;» spatiales (robotisés ou non)<br /> 3/ surveillance spatiale et orbitale<br /> 4/ contre-mesure électronique (désactiver ou protéger un satellite par exemple)<br /> Ceci dit, toute nouvelle «&nbsp;entité&nbsp;» de combat est au départ risible (non-opérationnel ou avec de très faibles résultats). On l’a constaté avec l’infanterie mécanisée ou l’aviation durant la 1ère Guerre Mondiale. Bien des pays n’étaient pas convaincus, la plupart qui s’y sont essayés n’y ont pas vraiment cru, et… même avec (ex : la France), encore fallait-il savoir comment s’en servir dans un conflit stratégique ou une bataille tactique en synergie avec les autres forces armées.<br /> Aujourd’hui, un pays sans aviation ou infanterie mécanisée moderne se fera écraser. Des exemples, il y en a la pelle : la guerre des 6 jours, la 2nde guerre du Golfe). Prévoir le futur de la guerre n’a rien d’idiot (même si personnellement, cela ne m’excite pas).
g-m1n1
Comme bcp ici je crois qu’on rigole aujourd’hui, mais quand je vois SpaceX et consorts ou encore les drones armés US, ce sera sûrement plus une farce dans qq années quand on aura mis un pied sur Mars.
newseven
L’industrie de espace est vrai Enterprise .
rexxie
J’ai lu que c’est le logo de Startrek qui s’est inspiré à l’origine d’un logo de la USAF.
wannted
On a pas la même chose en France ?
fonsdel
En France l’Armée de l’Air a été renommée Armée de l’Air et de l’Espace.<br /> Les satellites destructeurs de satellites ne sont pas de la science fiction.<br /> Les satellites espions (photos, mais aussi écoute électromagnétique) existent depuis bien longtemps.<br /> Les missiles balistiques ne sont ni plus ni moins que des fusées.<br /> Le brouillage des communications et des réseaux GNSS ca passe par du spatial.<br /> Tout ça est très sérieux.
Highmac
Moi, je retourne regarder la série…
BBlake
Je savais pas que des gens se moquez de ce programme, en remarque c’est prévisible, il est plus facile de se moquer que de comprendre
Urleur
Le jour ou ils vont trouver de métaux rares et très chers sur mars, sa va changer.
sources
Que la pop culture se moque de ça c’est plutôt sain finalement. Et c’est peut-être une très bonne chose pour eux car cela renforcera leur notoriété. Après, il faut arriver à capitaliser dessus et ne pas rester à l’écart de ce qui se dit/crée.
Matrix-7000
Personnellement, ce qui me fait peur, c’est ce que tous c’est bonshommes pourraient nous ramener de cette planète. Je ne parle pas des métaux ou autres, mais bien d’un truc bien dégueu, comme un composé chimique ou autre.<br /> On ne connaît déjà pas de ce qu’il y a dans nos océans, alors sur une planète à des millions de km!<br /> Et puis, si cela devient une colonie, qui seront ceux qui pourront y vivre et dans quelles conditions? Nos savent parlent de vivre sous la terre, dans des tunnels de lave, car le rayonnement cosmique est pas terrible pour la santé. Avant tout cela, le voyage, la aussi du rayonnement cosmique de toute parts! Les mecs auront déjà un cancer avant d’arriver là-bas. Bref, il y a encore un paquets de problèmes à régler avant de jouer à Tintin sur Mars…
EnLighter
Entièrement d’accord avec ton commentaire @Bibifokencalecon<br /> Les débuts sont toujours difficiles. S’il se passe quelque chose de grave dans le secteur spatial, ce genre de nouveau corps militaire ne sera plus vu de la même façon. Mais je préfère quand même qu’il ne se passe rien …<br /> Il y a déjà des réflexions sur l’exploitation de météorites aux points de LAGRANGE. Quand ça va commencer, avec le tourisme spatial et lunaire, les moqueries cesseront car l’utilité de ces «&nbsp;gendarmes de l’espace&nbsp;» sera palpable.<br /> Je verrais bien un corps militaire à la Ender’s game personnellement, ça aurait de la gueule.
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