Artémis exploration Lune

En septembre dernier, le groupe de réflexion Zenon Research a publié un rapport intitulé Retourner sur la Lune pour y rester, qui vise à explorer les différents modèles économiques qui pourraient permettre de pérenniser le nouvel élan lunaire actuellement en cours dans toutes les grandes agences spatiales.

Entre tourisme lunaire, exploitation minière, vente de souvenir ou production d’ergols, les idées ne manquent pas… tout comme les défis techniques, culturels et financiers.

Réflexion libre sur la place de l’Europe dans la future exploration lunaire

Après l’effervescence des années 1960-1970, la Lune est à nouveau au cœur de tous les regards du secteur spatial. Sur le plan politique, deux grands projets s’affrontent : la mission américaine Artemis, et le projet sino-russe de retour sur la Lune. Associée à Artemis, notamment sur la station spatiale Lunar Gateway, l’Europe semble agir encore à la marge sur ce projet, malgré quelques projets intéressants sur le sol lunaire.

Mais au-delà des programmes menés par les agences spatiales, le retour durable de l’humain sur la Lune pourra difficilement se faire sans le concours des industriels et entrepreneurs privés. Cette idée est au cœur du programme Artemis, la NASA n’hésitant pas à déléguer les choix technologiques aux fournisseurs qu’elle mandate pour certaines parties du programme, notamment l’atterrisseur ou encore la future jeep lunaire. Si l’Europe ne dispose pas de la même dynamique en matière d’acteurs du NewSpace, la volonté de développer un écosystème entrepreneurial sur la Lune commence doucement à émerger.

Porté par le CNES, le Moonshot Institute vise justement à « fédérer un écosystème dédié à l’économie lunaire, à éduquer les prochaines générations d’entrepreneurs et à informer le public des initiatives et opportunités commerciales pour et par la Lune ». En mars 2021, l’ANRT (Association Nationale Recherche Technologie) s’est associée au Moonshot Institute dans le cadre de son initiative Objectif Lune. C’est dans le cadre de ces réflexions à l’échelle nationale et européenne qu’est intervenu le groupe de réflexion Zenon Research, qui a publié le rapport « Retourner sur la Lune pour y rester ».

La Lune pourrait attirer des industriels non-spécialisés dans le spatial. Crédit : JAXA.
La Lune pourrait attirer des industriels non-spécialisés dans le spatial. Crédit : JAXA.

Zenon Research s’associe à l’ANRT

Clubic a pu rencontrer Greg De Temmerman, chercheur associé aux MINES ParisTech, et directeur général de Zenon Research, afin de nous éclairer sur le rôle de ce jeune think tank dans les réflexions en cours au sein de l’ANRT. Ancien coordinateur scientifique sur le projet de réacteur à fusion ITER, Greg De Temmerman a pris la direction de Zenon à la fin de l’année 2020.

En quelques mots, pouvez-vous nous décrire Zenon Research ?

Zenon est un think tank, un groupe de réflexion créé en février 2020. Etant donné le contexte sanitaire, nos activités n’ont réellement décollé que vers le mois de septembre 2020.

La petite particularité de Zenon, dans le domaine des think tanks, c’est que nous avons un partenariat avec les MINES ParisTech – Université PSL. Cela nous permet d’avoir un véritable ancrage académique et scientifique. Le partenariat avec l’Université nous permet ainsi de bénéficier de son excellent écosystème, mais aussi de pouvoir impliquer leurs chercheurs dans nos études.

Zenon s’est donné pour mission de faire de la prospective vraisemblable en distinguant les idées novatrices qui sont de l’ordre du possible de celles qui resteront du domaine de la science-fiction. Pour cela, il est essentiel de faire communiquer sciences, technologies, sociologie et économie.

"L'idée d'exploiter des ressources spatiales alimente beaucoup de projets, mais aussi de fantasmes."

Comment en êtes-vous venus à aborder la question de l’exploration durable de la Lune ?

Dans le cadre de nos recherches, le spatial s’est imposé de lui-même, puisque cette question revient souvent dans les études prospectives, qui voient parfois l’espace comme une des voies d’évolution possibles de l’humanité. L’idée d’exploiter les ressources spatiales, notamment, alimente beaucoup de projets, mais aussi de fantasmes, et est intimement liée à la question des ressources énergétiques, mais aussi de la rentabilité économique, au cœur de nos réflexions chez Zenon.

En fin d’année dernière, nous avons commencé à discuter avec l’ANRT dans le cadre de leurs réflexions sur le retour humain sur la Lune et sur la place que l’Europe pourrait jouer dans cette aventure. L’ANRT a notamment lancé un groupe de prospective, « Objectif Lune », pour voir quel pourrait être le rôle de la France, et quelle vision singulière l’Europe pourrait apporter dans ces efforts de retour lunaire. Une série d’ateliers collaboratifs a été organisée entre janvier et avril 2021 avec l’ANRT, permettant de faire se rencontrer aussi bien les points de vue académiques qu’industriels.

Notre spécialité est l’analyse technico-économique. Très vite, nous nous sommes interrogés sur la manière d’attirer et de sécuriser les capitaux privés dans ce secteur, afin de compenser le budget relativement faible du programme spatial européen, en comparaison à celui d’autres pays. Notre présent rapport est le fruit de ces réflexions.

L'après-ISS devrait permettre de mobiliser de nombreux crédits publics. Mais la Lune coûte cher, et l'Europe ne pourra pas maintenir seule une présence lunaire de long terme. Crédit: NASA

Emboiter le pas aux programmes publics

La note de recherche publiée par Zenon explore différentes voies qui pourraient permettre une exploitation économique durable de la Lune, préalable indispensable à sa colonisation sur le long terme. Dans un premier temps, l’analyse de Zenon insiste sur le rôle indispensable que va jouer l’exploration scientifique, mais aussi le tourisme spatial, dans la création d’infrastructures lunaires. Que ce soit pour le programme Artemis, pour le futur programme russo-chinois ou encore pour les projets de SpaceX de balades autour de la Lune, il va être nécessaire de développer de nombreuses infrastructures sur et autour de la Lune : habitats, laboratoires, systèmes de communication, véhicules, etc. Une activité économique en soi, qui pourrait intéresser l’industrie spatiale, mais aussi des acteurs d’autres secteurs : énergie, télécommunication, BTP, informatique, transports, logistique, etc.

Contrairement à ce qui s’est fait dans les années 1960, où la NASA contrôlait chaque élément du programme Apollo, les agences spatiales en course pour la Lune ont tendance à commander auprès de leurs fournisseurs des services clés en main, et non pas des technologies bien précises. Des services que les industriels pourraient chercher à rentabiliser sur le long terme en louant leur équipement auprès de touristes spatiaux, d’universités ou d’initiatives privées diverses. L’investissement public initial est donc primordial, afin d’alimenter ce nouvel élan lunaire, mais certaines activités économiques pourraient ensuite se développer en parallèle, ou indépendamment, au gré des investissements privés.

Cinéma, sport, datacenters, mines : penser l’économie lunaire à court et long terme

Parmi les hypothèses soulevées par le rapport de Zenon : le tourisme spatial, évidemment, mais également le tournage in situ de films, d’évènements culturels ou de compétitions sportives d’un nouveau genre, capables d’exploiter la faible gravité de notre satellite. La collecte, l’exportation et la revente de pierres lunaires sont aussi évoquées. Certaines grandes marques, notamment dans l’automobile et les télécommunications, pourraient également sponsoriser l’exploration lunaire, qui leur servirait alors de vitrine technologique, comme peut le faire aujourd’hui le secteur de la F1. Si ces premiers exemples pourraient tirer profit des infrastructures développées pour l’exploration scientifique de la Lune, il s’agit aussi d’activités économiques très dépendantes d’effets de mode.

En 2014, le court-métrage "Wanderers" de Erik Wernquist imaginait l'humanité pratiquer de nombreux sports extrêmes d'un nouveau genre, partout dans le système solaire. Crédits: Erik Wernquist / Vimeo

Une véritable exploitation économique à long terme demanderait de trouver sur la Lune des ressources plus abondantes ou moins chères que sur la Terre. L’exploitation minière de l’hélium 3 lunaire est souvent citée par les auteurs de science-fiction, mais aussi par les agences spatiales en quête de justification pour leurs programmes lunaires. Les ressources géologiques lunaires pourraient également permettre de produire des ergols et des matériaux de construction, afin de ravitailler des satellites ou de produire des lanceurs et sondes destinés à l’exploration du système solaire. L’idée est alors de compenser les surcoûts liés à l’exploitation minière lunaire par la diminution drastique des coûts de lancement autorisés par la très faible gravité de la Lune.

Etonnamment, la Lune pourrait également accueillir… des infrastructures numériques conséquentes. Profitant du froid extrême qui règne en permanence au fond des cratères lunaires, il serait ainsi possible d’y installer des datacenters ultrasécurisés, indépendants de tout réseau, capables de stocker n’importe quelle donnée sensible. Le temps de latence important (2 secondes) exclut de facto des usages de type Cloud, mais des bases de données ultra-sécurisées, pour des gouvernements ou de grosses entreprises, pourraient profiter d’un environnement aussi isolé.

Enfin, pour encourager des investissements privés sur la Lune, qui demanderont de gigantesques capitaux pour une rentabilité incertaine, il pourrait être nécessaire de procéder à la vente de concessions et de terrains fonciers directement sur notre satellite.

Défis structurels et incertitudes

Si toutes ces hypothèses sont de l’ordre du plausible, elles restent cependant soumises à des barrières physiques, économiques et réglementaires bien réelles. Le développement du foncier lunaire, par exemple, demanderait un accord diplomatique international conséquent, et une clarification, voire une réécriture, du Traité de l’espace de 1967.

L’exploitation minière de la Lune se heurtera sans doute à une réalité bien plus terre-à-terre. Ainsi, l’hélium 3 devrait servir à alimenter des centrales à fusion de deuxième ou troisième génération. Or, la première génération n’a toujours pas démontré sa viabilité technique et économique, si bien que cette ressource lunaire ne sera pas utile avant au moins le siècle prochain.

Concernant les autres ressources minières, il faudra développer des techniques fortement automatisées, avec des robots et des IA, pour trouver les filons intéressants et exploiter les minéraux disponibles dans de très faibles concentrations dans le régolite lunaire. Une fois développées, tout porte à croire que ces techniques révolutionnaires seront bien plus facilement employées sur Terre ou sous les océans, risquant de rapidement faire perdre de l’intérêt à l’exportation de ressources lunaires.

Roche lunaire ramenée par la mission Apollo 15. Crédit: NASA

Enfin, si l’idée d’installer des datacenters ultraconfidentiels peut être intéressante, la maintenance deviendra alors extrêmement dépendante des capacités de transport vers la Lune, qu’il faudra garantir dans la durée. Au final, comme pour l’exploitation minière, on peut imaginer que les technologies de datacenters autonomes développées pour un usage spatial pourraient plus facilement être exploitées sur Terre, notamment sur le plancher océanique, ou sur une orbite terrestre plus accessible.

Prises individuellement, ces initiatives ont peu de chances de se développer. Mais si tout un écosystème lunaire se met en place, avec des liaisons logistiques régulières vers la Terre, alors de telles idées pourront se développer progressivement, parallèlement les unes aux autres.

L’Europe peut-elle rattraper son retard ?

Sans lanceur ultra-lourd, sans capacité autonome à envoyer des humains dans l’espace, l’Europe se trouve d’ores et déjà à la traîne, entre des Américains qui soutiennent massivement les acteurs privés du NewSpace et la Chine qui fait preuve d’une volonté politique et financière forte. Socialement et politiquement, il pourrait être délicat d’augmenter massivement le budget public de l’ESA pour faire de la Lune une priorité. Culturellement, le soutien public au tourisme spatial est également bien plus faible en Europe qu’aux Etats-Unis ou en Russie.

Dès lors, il faudra sans doute trouver de nouveaux mécanismes de financements innovants, à la fois privés et publics, pour que l’Europe puisse trouver sa place dans cette nouvelle ruée vers la Lune. Outre l’attribution de concessions, le rapport de Zenon évoque l’émission d’obligations, ou encore une large souscription publique à l’échelle européenne. A plus court terme, l’objectif de la politique française et européenne pourrait être d’encourager les grands groupes tels que Orange, Engie ou Renault à s’intéresser au spatial et à devenir de véritables co-investisseurs dans ce secteur, et non plus seulement des fournisseurs.

Source : Zenon