La France à l'offensive sur les petits lanceurs réutilisables

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 07 décembre 2021 à 10h35
Vue d'artiste du prototype d'étage réutilisable Themis. Crédits : ESA/CNES
Vue d'artiste du prototype d'étage réutilisable Themis. Crédits : ESA/CNES

En visite à Vernon sur le site historique d'ArianeGroup, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a surpris en annonçant un ambitieux projet « Maia Space » pour un petit lanceur réutilisable à l'horizon 2026. Le NewSpace français sera lui aussi mis en valeur via le plan France Relance.

De belles ambitions, mais il reste beaucoup de questions.

En avant toute

Le site de Vernon, en perte de vitesse ? Ces derniers mois, l'annonce du transfert de l'assemblage des moteurs fusée Vinci vers l'Allemagne faisait grincer des dents. Le ministre Bruno Le Maire est venu rendre le sourire en Normandie ce 6 décembre, avec plusieurs annonces qui vont en réalité faire grimper le nombre de salariés sur place de 830 à 1 000 environ d'ici 2025.

Il y a, c'est vrai, le rapatriement depuis l'Italie de la production de turbopompes… mais la principale nouvelle du jour concerne ArianeGroup, qui va se lancer dans la conception et le développement d'un « mini-lanceur » réutilisable. Il sera basé sur l'étage prototype Thémis, déjà en gestation et destiné à différentes démonstrations technologiques d'ici 2025.

Le premier assemblage structurel de réservoirs pour Themis (ici à gauche) est en place pour ses essais. Crédits : ArianeGroup/ESA
Le premier assemblage structurel de réservoirs pour Themis (ici à gauche) est en place pour ses essais. Crédits : ArianeGroup/ESA

Maia hi, Maia ha…

Le projet de fusée réutilisable made in Vernon s'appellera Maia Space et devra aboutir en 2026 selon Bruno Le Maire, qui souhaite un calendrier très ambitieux pour réagir face à la concurrence. Malgré quelques propos qui peuvent sembler déplacés pour expliquer que « nous aurons notre SpaceX, nous aurons notre Falcon 9 » (ce dernier ne sera pas a priori concurrencé par Maia Space, et vole depuis plus d'une décennie), la présentation du ministre se voulait pragmatique.

Maia ne concurrencera pas Ariane 6, qui restera le porte-drapeau de la stratégie spatiale européenne. Si les caractéristiques précises de ce « mini-lanceur » n'ont pas été dévoilées, Maia utilisera le moteur réutilisable méthane-oxygène liquide actuellement en développement à Vernon, Prometheus, et ArianeGroup compte capitaliser sur les essais de Themis pour disposer d'une base solide pour le premier étage.

Themis en ligne de mire

En effet, une première structure de Themis est déjà en essais en Normandie actuellement, et a réussi ces dernières semaines ses tests de remplissages de réservoirs. Tout cela est encore très préliminaire, mais vise à ajouter rapidement le premier exemplaire de Prometheus pour des essais rapides, avant de l'envoyer en Allemagne pour des allumages représentatifs de véritables durées de vol (il s'agit après tout d'un programme financé partiellement par l'ESA).

Ainsi qu'il avait été annoncé lors d'un déplacement du président Macron en février dernier, Prometheus devait voir ses tests initiaux se dérouler d'ici fin 2021 à Vernon, mais ArianeGroup n'a pas fourni d'informations à ce sujet.

Le moteur Prometheus est au cœur du projet. Crédits : ArianeGroup

Les tout premiers « sauts » de Themis sont prévus à Kiruna en Suède en 2023, et des tests d'atterrissage sur barge et de profils de vol multimoteurs en 2025 au Centre spatial guyanais à Kourou. Reste que viser 2026 est ambitieux, car il faut en sus développer le deuxième étage, ajouter un système de coiffes performant, travailler sur les infrastructures de lancement, etc. L'état devrait massivement accompagner ArianeGroup dans l'aventure.

On vole, on se pose, on revole, on…

Toutefois, c'est bien une poussée tous azimuts sur le réutilisable que souhaite le ministre via le plan « France Relance ». Il a annoncé que les PME et start-up du « NewSpace français » seraient sollicitées d'ici la fin de l'année par un appel d'offres pour un ou plusieurs micro-lanceurs (donc plus petits que Maia Space), eux aussi réutilisables. Une bonne nouvelle pour les acteurs français, qui pouvaient ces derniers mois se sentir délaissés face au soutien affiché par le gouvernement allemand à ses propres acteurs du NewSpace des lanceurs (qui sont plus avancés aujourd'hui).

Les Allemands d'Isar Aerospace n'ont pas de lanceur réutilisable pour l'instant... mais c'est bien un « petit lanceur » qui devrait voler dès 2022-2023. Crédits : Isar Aerospace

Reste que concevoir des lanceurs réutilisables ne peut (et ne devrait) s'envisager que sous un angle de pertinence économique, au-delà de l'exploit technique. SpaceX, si souvent cité comme exemple, ne peut se prévaloir d'un avantage avec Falcon 9 que parce que son modèle économique l'amène à décoller régulièrement pour déployer Starlink… Et se garde bien de publier des chiffres de rentabilité pour son lanceur star.

D'autre part, on peut se demander derrière ces annonces où en est la coopération européenne, nos voisins (en particulier outre-Rhin) développant eux aussi des petits et micro-lanceurs. Et ajouter une question : y a-t-il assez de satellites à envoyer en orbite en Europe pour supporter les espoirs commerciaux d'autant d'acteurs des lanceurs… réutilisables ?

Source : Challenges

Par Eric Bottlaender
Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Bilbo

Non seulement l’Allemagne développe des lanceurs mais elle envisage aussi la construction de sa propre base spatiale dans le nord de l’Allemagne. Sans doute pour ça que madame Merkel a reçu la Grand-Croix …

Remoss

Pardon,
mais j’ai l’impression que l’Europe est une fois encore une fois à la bourre (vs le US)…
2026 au mieux pour des vols commerciaux…, cela fera bien lgtps que le « train » sera passé…

zeebix

En retard sur le secteur privé US oui, mais ça n’empêche pas que ce soit une très bonne nouvelle. 2026 ce n’est que dans 4 ans.

Si on se dit que le train est passé, on ne fait plus rien.

nemo2023

y a-t-il assez de satellites à envoyer en orbite en Europe pour supporter les espoirs commerciaux d’autant d’acteurs des lanceurs… réutilisables ?

Bhen non, mais heureusement on va fusionner lorsqu’ils vont se rendre compte que l’on est tous dans l’Europe et qu’il faut s’entraider…nhan je blague c’est le manque d’argent qui va décider.

Remoss

Je suis d’accord avec toi, mais encore une fois, pourquoi l’Europe n’avait pas vu le train arriver et n’avait pas développé cette techno avant ?
Même histoire que pour le développement du numérique, de la voiture électrique etc.!

KarlC

Le fameux en même temps E Macron, un truc de dingue :

ebottlaender

Cet article daté de septembre ne prend pas en compte les nouveautés d’hier. On parle d’ailleurs du départ de vinci… Mais ce départ est plus que compensé par les nouvelles activités annoncées.

MrFriendly_B

Extrait : « SpaceX, si souvent cité comme exemple, ne peut se prévaloir d’un avantage avec Falcon 9 que parce que son modèle économique l’amène à décoller régulièrement pour déployer Starlink … Et se garde bien de publier des chiffres de rentabilité pour son lanceur star. »
C’est grâce à ce genre de déni de réel qui dure depuis plus de cinq ans que SpaceX a pris autant d’avance sur les autres. Sinon on connaît très bien le coût d’un lancement de Falcon 9 réutilisable : tout compris c’est 28 à 29 millions de $. Il ne vous reste donc plus qu’à connaître le prix payé par le client et d’effectuer une simple soustraction pour connaître le profit effectué et donc la rentabilité.

ebottlaender

Non, on ne le connait pas « très bien ». Un responsable de SpaceX a expliqué un jour à CNBC que le coût d’une F9 réutilisée était « inférieur à 30 millions », sans donner aucun détail sur la question, et depuis un certain nombre de commentateurs pensent que le chiffre est gravé dans le marbre. Or c’est faux. Déjà, il ne s’agit pas d’un chiffre de rentabilité, car il ne s’agit pas que d’en retirer le prix payé par le client (coucou les coûts fixes), et ensuite, ce coût a sans aucun doute évolué entre 2017 (première réutilisation) et l’année dernière lors de ce commentaire. Changer par exemple la flotte de récupération des coiffes et ajouter une barge de récupération des étages a tendance à faire évoluer les coûts.
Rien n’indique que le chiffre soit faux, simplement c’est un peu plus compliqué que de connaître précisément tous les tenants et aboutissants de Falcon 9, que l’on a pas puisque SpaceX n’est pas une entreprise publique, et ce n’est pas grave, ça fait partie du jeu. Que Falcon 9 réutilisée soit rentable, ça ne fait pas beaucoup de doutes, mais il faut encore expliquer rentable par rapport à quoi : SpaceX est aussi le plus gros utilisateur de Falcon 9 pour ses propres besoins, donc tant mieux si les coûts sont très bas, mais ce sont toujours des charges.

Par ailleurs je vois mal en quoi c’est un déni de réalité que d’expliquer que Falcon 9 est rentable parce qu’elle vole à un haut rythme.

MrFriendly_B

@ebottlaender
Non, on ne le connait pas «très bien». Un responsable de SpaceX a expliqué un jour à CNBC que le coût d’une F9 réutilisée était «inférieur à 30 millions», sans donner aucun détail sur la question
Christopher Couluris, le responsable en question : « The rocket costs $28 million to launch it, that’s with everything ». Les coucou les coûts fixes comme vous le dites sont donc bien inclus.
adding that reusing the rockets is what is « bringing the price down ». Colouris étant le director of vehicle integration de SpaceX je pense que nous pouvons reconnaître qu’il doit savoir de quoi il parle puisque c’est spécifiquement son travail, et contrairement à ce que vous écrivez il a bien été précis (28 millions et non pas « inférieur à 30 millions ») et il a bien donné le détail important : « that’s with everything ». Je ne sais pas à quel point ils doivent être précis pour que vous acceptiez la réalité, comptez-vous la nier jusqu’à ce qu’ils vous fournissent toute leur comptabilité interne?
Déjà, il ne s’agit pas d’un chiffre de rentabilité, car il ne s’agit pas que d’en retirer le prix payé par le client
Non c’est le contraire, il faut retirer le coût du lancement « with everything » du prix payé par le client pour obtenir la rentabilité (le terme « profit » serait plus approprié).
et ensuite, ce coût a sans aucun doute évolué entre 2017 (première réutilisation) et l’année dernière lors de ce commentaire. Changer par exemple la flotte de récupération des coiffes et ajouter une barge de récupération des étages a tendance à faire évoluer les coûts
S’il a évolué cela ne peut être qu’à la baisse vu que c’est le but recherché et obtenu par SpaceX depuis sa création (ainsi que celui de toutes les sociétés privées d’ailleurs). La flotte des deux navires ultra-rapides avec filets qui était auparavant nécessaires pour tenter de récupérer les deux demi-coiffes avant qu’elles ne touchent l’eau a été remplacée par un seul navire ordinaire qui les repêche simplement dans l’eau. Je doute fortement que cela ait augmenté les coûts et je crois que l’on peut au contraire raisonnablement penser que cela les a diminués. Quant à l’ajout d’une barge de récupération cela ne doit pas être simplement considéré comme un coût supplémentaire mais replacé dans le contexte plus large de l’augmentation du nombre de lancements. Trois barges pour 36 lancements effectués n’augmentent pas le coût par lancement par rapport à deux barges pour 24 lancements effectués. La dernière barge étant de plus fortement automatisée on peut à nouveau raisonnablement penser que son utilisation est moins onéreuse que celle de ses aînées.
Rien n’indique que le chiffre soit faux, simplement c’est un peu plus compliqué que de connaître précisément tous les tenants et aboutissants de Falcon 9, que l’on a pas puisque SpaceX n’est pas une entreprise publique, et ce n’est pas grave, ça fait partie du jeu
De quel « jeu » s’agirait-il? D’une sorte de « poker menteur » imaginaire que SpaceX pratiquerait de façon régulière et auquel semblent vouloir croire beaucoup trop de commentateurs français?
Que Falcon 9 réutilisée soit rentable, ça ne fait pas beaucoup de doutes, mais il faut encore expliquer rentable par rapport à quoi
Un produit (ou un service) est rentable ou il ne l’est pas, votre question « par rapport à quoi » n’a donc économiquement aucun sens. Mais si vous vous demandiez si une Falcon 9 réutilisable est plus rentable « par rapport » à une Falcon 9 qui ne le serait pas la réponse est évidemment oui, poser la question semble même être fortement incongru. Vous posez-vous la même question au sujet de tous les concurrents qui développent également à leur tour des lanceurs partiellement réutilisables? Vous posez-vous la même question au sujet du projet Maïa annoncé pas plus tard qu’hier?
Par ailleurs je vois mal en quoi c’est un déni de réalité que d’expliquer que Falcon 9 est rentable parce qu’elle vole à un haut rythme.
Parce que vous insinuez de la sorte que sans les lancements Starlink la réutilisation ne serait pas plus économique (voire moins), à nouveau pourquoi tous les concurrents se précipitent-ils pour développer la réutilisation puisque de toute évidence ils ne lanceront jamais de satellites Starlink?
Comme je l’ai dit précédemment ce genre d’attitude face à la réutilisation partielle a donné un avantage supplémentaire (et gratuit) à SpaceX car tous les concurrents ont attendu de voir avant de réagir, et aujourd’hui rien n’a changé puisque vous adoptez la même attitude « sceptique » face au Starship et à la réutilisation totale. Le développement d’une réutilisation partielle à un horizon de 5 ans n’est pas une bonne idée lorsque le concurrent développe une réutilisation totale à un horizon bien inférieur. Nous nous retrouvons donc dans la même situation qu’en décembre 2014 lorsque l’ESA a décidé de développer Ariane 6 alors que seulement un an plus tard SpaceX réussissait la première récupération d’un premier étage. L’absurde réponse a l’époque a successivement été de « douter » de la possibilité de récupérer un premier étage, ensuite de « douter » de la possibilité de parvenir à le réutiliser pour finir par « douter » de la viabilité économique de la réutilisation ! Avouez que le résultat a franchement été catastrophique. En ce qui me concerne je ne pense pas que toutes ces personnes « doutaient » sincèrement jusqu’au bout, je pense plutôt qu’elles pratiquaient ce que l’on appelle un déni de réel. Et aujourd’hui nous nous retrouvons dans la même situation : "développons un lanceur partiellement réutilisable (dont nous ne pouvons raisonnablement plus nier la viabilité économique) puisque la réutilisation totale est « douteuse » ". Tout ceci alors qu’il est fort probable qu’il faudra encore une fois moins d’un an à SpaceX pour prouver le contraire. Personne ne peut atteindre une cible mouvante en visant lendroit où elle se trouve. Mais de toute façon je ne crois pas une seule seconde qu’un conglomérat bureucratique d’entreprises privées, semi-privées et d’administrations publiques puisse concurrencer quelque société véritablement privée que ce soit, cela ne s’est jamais vu au cours de l’Histoire.