"Le réseau social : avenir des télécoms"

04 septembre 2007 à 19h57
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La première étape d'une révolution technologique consiste à employer le nouveau moyen mis à notre disposition pour accomplir ce que l'on faisait déjà. Paradoxalement, le changement est d'abord le support ultime de la continuité. C'est ensuite qu'apparaissent, souvent à la marge, ou issus du public, des usages nouveaux qui expriment la modernité et les possibilités propres de la nouvelle technologie.

L'Internet a d'abord été considéré par beaucoup comme un nouveau moyen de diffusion, simple extension, diversification exotique ou département futuriste des entreprises de presse, de radio, d'édition, de disques ou de cinéma. C'est ensuite que sont apparues les vraies forces du réseau. A ce stade, nous pouvons esquisser une première synthèse de ce que nous avons appris :

- L'Internet créé une nouvelle ressource, l'intelligence collective de ses utilisateurs :

L'emploi de cette intelligence collective est la clef du succès de masse sur Internet. L'intelligence collective, concept forgé par Pierre Lévy, exprime la somme des informations, volontaires ou non, dont les utilisateurs enrichissent le réseau.

Pas de Google sans exploitation des liens créés par les utilisateurs pointant vers les sites afin d'exprimer une popularité synonyme de pertinence et donc de hiérarchisation de liens ; pas d'eBay sans système de réputation des vendeurs générée par les utilisateurs ; pas d'Amazon rentable sans recommandations d'articles complémentaires fondées sur les achats des autres utilisateurs... Mais aussi pas de Wikipédia, de Digg, de YouTube, de Skyblog, de FaceBook, de Bebo, de MySpace, de Flickr...

L'intelligence collective est un gisement unique d'informations, de ressources, de valeur, d'idées, de possibilités et de vitesse. C'est à ce siècle, ce que le pétrole a été au siècle précédent. L'intégration de l'intelligence collective du réseau métamorphose les entreprises et la société toute entière ;

- L'Internet créé une nouvelle forme de distribution, le réseau de pairs :

Dans un tel système, chaque machine est à la fois client, c'est-à-dire réceptrice, et serveur, c'est-à-dire émettrice, elle peut même servir de routeur et donc orienter l'acheminement des messages. L'ancêtre Napster, puis ensuite KaZaA et BitTorrent, ont démontré l'extraordinaire pouvoir disruptif de l'usage de masse de ce mode de distribution ;

- L'Internet crée un nouveau media, la conversation :

L'Internet n'est pas seulement un nouveau moyen de diffusion comme le sont la télévision et la radio. L'Internet révolutionne l'âge de la diffusion par le réseau social d'échanges électroniques qu'il permet. La force d'Internet c'est la conversation.

L'expression personnelle, le partage d'expérience, les témoignages, les avis, les commentaires exprimés sur le réseau deviennent indispensables pour la formation de notre opinion et pour nos décisions d'achat. Sur Internet, il n'y a pas de contenu car il n'y a pas de contenant. Ce que nous appelons « contenu » dans le monde analogique devient, sur Internet, une collection de sources remixées et agrégées par les utilisateurs. Le filtrage en amont par les éditeurs est remplacé par le filtrage en aval par les utilisateurs. La prise de parole populaire est quantitativement dominante et souvent jugée plus crédible que l'expression institutionnelle ou commerciale. Le nouveau média c'est le gens. La nouvelle culture est participative ;

- L'Internet, multiplicateur d'émancipation individuelle :

La loi informatique de Metcalfe explique que la valeur d'un ordinateur est proportionnelle au nombre de machines auquel il est connecté. Cette loi est valable aussi pour les personnes : le potentiel, l'émancipation d'un individu sont proportionnels au nombre de personnes auxquelles il est connecté : ce nouveau rapport de force en faveur des individus réseautés change la société toute entière : la famille, l'école, l'entreprise, la politique, la relation aux experts, aux médecins, aux médias, aux produits et aux marques... Une révolution d'une telle magnitude a eu lieu jadis avec l'imprimerie et l'alphabétisation de masse ;

- Avec Internet le code devient un média :

Le code informatique devient service en ligne sur le réseau, comme une page de résultats de moteur de recherche, ou un site de webmail. Ce service en ligne est financé par la publicité sous forme de liens commerciaux appropriés. Le service génère donc une audience et des recettes publicitaires, c'est par définition un média. Google est par conséquent la première entreprise de média au monde, pourtant elle ne produit aucun contenu mais que du code ;

- Avec Internet la publicité se démassifie :


La publicité passe de la pertinence des cibles traditionnelles catégorisées par l'âge, le sexe, le revenu ou le niveau d'éducation à celles des données individuelles collectées sur chaque utilisateur lors de ses interactions avec le réseau ;

- Avec Internet la publicité interruptive est remplacée par la publicité intégrée ou périphérique à la source :

L'interruption publicitaire supportée sur les médias traditionnels est remplacée par la publicité fusionnée avec la source ou bien associée au côté de l'expérience utilisateur sans l'entraver ;

- Avec Internet ce qui n'est pas local est mondial :


Le code est mondial. Internet globalise la compétition des logiciels, unifie les usages et les marchés. Voilà quelques premières idées. Sur cette base, pour réfléchir aux réseaux sociaux, retournons aux origines et partons de deux des applications majeures de l'Internet initial : l'échange entre personnes par le courrier électronique et l'accès aux informations par la Toile.

L'accès aux informations par le réseau de sites a développé sa méta-information, c'est-à-dire de l'information sur l'information, comme l'annuaire ! ou bien le moteur de recherche Alta Vista. C'est par cette méta-information que l'on accède aux informations, c'est le modèle de trafic des portails et bien entendu celui des moteurs de recherche.

Pour le courrier électronique, la méta-information, c'est-à-dire de l'information sur les adresses électroniques et sur le réseau des connectés, a pris son essor avec ce qu'on appelle aujourd'hui les réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux sur Internet sont des services en ligne de productivité relationnelle par la mise en réseau d'identités et d'expressions individuelles. Les utilisateurs emploient ce service pour renforcer leurs liens avec leurs proches et se faire de nouveaux amis.

L'identité numérique de base sur Internet est l'adresse email. Un réseau social relationnel propose la création d'une identité numérique enrichie afin d'accroître la pertinence des mises en relation. Il s'agit, en premier lieu, du blog ou du profil en premier lieu.

La vocation du réseau social relationnel est d'être la plateforme du réseau des relations électroniques de chaque membre. Le réseau social est donc destiné à intégrer tous les outils d'échanges électroniques : messagerie différée, messagerie instantanée, messagerie directe, forums, voix sur réseau IP, etc.

L'enrichissement de l'identité numérique est une clef de la qualité du réseau. Chaque nouvel attribut, par le texte, l'image, le son, permet de mieux s'exprimer et de mieux se faire connaître, avec pour vocation de renforcer les relations existantes et d'en créer de nouvelles.

Le centre de gravité du réseau social relationnel est l'individu et toute fonctionnalité nouvelle a pour seul objet d'amplifier sa productivité relationnelle. Chaque nouvelle possibilité, grâce aux tris de recherche par critère et par l'exposition supplémentaire qu'elle offre, est un moyen de relation affinitaire supplémentaire offert aux identités numériques.

Cette vision du réseau social comme prolongement du mail et de l'identité numérique intégrée au réseau social comme centre de gravité de tous les échanges électroniques d'un individu conduit à l'affirmation suivante : le réseau social est l'avenir des télécoms.

Il avait déjà été dit que les sociétés de télécommunications vivent depuis une décennie une période critique : dans un monde Internet la valeur migre de l'exploitation du réseau - métier traditionnel de l'opérateur de télécoms - vers les logiciels de traitement de l'information échangée. En effet, l'accès au réseau, la bande passante, seulement différenciés par leur prix réduisent leur marge. En revanche, le code des services de télécommunications croit en valeur car il est de moins en moins interchangeable au fur et à mesure de son usage et de la constitution d'une masse critique d'utilisateurs. On change plus facilement de fournisseur d'accès que d'Outlook ou de Gmail.

La valeur des télécommunications se transfère de la bande passante au code et ce code, demain, c'est le réseau social. Pour concrétiser cette vision, il faut prendre appui sur l'évolution du téléphone mobile. Le téléphone mobile est en train d'évoluer à grande vitesse en un terminal Internet de poche.

L'usage du téléphone mobile par la nouvelle génération est précurseur de cette évolution : le terminal est l'interface de connexion permanente aux autres, jamais éteint et toujours avec soi. L'identité physique et l'identité numérique sont désormais jointes.

Quelle passerelle logicielle entre le service web relationnel adapté au PC et ce terminal mobile ? Le messager instantané. En effet, le réseau social est une plateforme d'échange, tout comme le messager. Windows Live Messenger, Yahoo Messenger, ou Google Talk - se destinent à devenir le carrefour de tous les échanges.

Sur le petit écran du terminal mobile, l'expérience web dégradée n'a pas d'attrait, en revanche, un messager, augmenté des fonctionnalités et de la richesse d'informations et d'interactions du réseau social, est l'interface idéale. Le messager instantané est l'interface d'accès au réseau social pour les terminaux mobiles. Il est certain, par ailleurs, que le terminal mobile sera demain, en tous les cas pour la nouvelle génération, le terminal majoritaire d'accès à son réseau social et par conséquent, le messager embarqué sur le mobile sera l'interface principale d'accès à son réseau.

Le réseau social, par l'intermédiaire du messager instantané, est le concentrateur de valeur des échanges interpersonnels sur terminaux mobiles. Le réseau social est la future interface majeure de la téléphonie mobile. Le messager dont nous parlons ici est à plusieurs générations, donc à quelques trimestres, des messagers actuels. Il donne une profondeur relationnelle à tous les contacts, concentre et organise les communications entrantes et sortantes quelle que soit leur nature et donne surtout l'entier contrôle de ses échanges à l'utilisateur. C'est le mariage d'un service comme GrandCentral avec le SM, le messager de Skyrock.

Il est clair, d'autre part, que des passerelles seront ouvertes entre les réseaux sociaux pour qu'ils puissent échanger entre eux, à la manière des accords conclus entre messageries instantanées. Le réseau social, interface de télécommunication, est le lien entre soi et ses proches. Ce premier cercle rassemble l'essentiel de nos échanges et de notre capital émotionnel. Les réseaux sociaux ont montré l'importance des échanges et de la mise à jour constante des activités et des humeurs entre chacun des membres de ce groupe intime.

Qui sait mieux ce que je fais, ce que je regarde, ce que j'écoute, avec qui je converse et où je me trouve que la machine qui porte ces activités ? Il est probable que cet échange permanent créant une micro-conscience collective proviendra d'une relation directe entre machines. On peut supposer que des logiciels tireront parti de ce flux d'informations pour optimiser des activités et des relations. Il s'agit là d'une intégration du réseau social à la machine et à son système d'exploitation. On peut donc imaginer, demain, une initiative d'Apple ou de Microsoft dans ce domaine, par création ou intégration d'un service existant.

Le terminal Internet, ou terminal IP, est, par ailleurs, une révolution en soi. Connecté sans interruption et en transparence au meilleur débit disponible à chaque instant du GSM au WiMAX mobile, il est notre point d'accès personnel à l'Internet, point d'accès par l'interface du réseau social pour les échanges interpersonnels, par un moteur de recherche adapté pour l'accès aux informations.

La modestie de son écran et de son clavier ne le limite pas : il pourra se brancher sur n'importe quelle machine, y apparaître comme une machine virtuelle et utiliser ainsi la machine support comme ressource y compris ses périphériques. Un peu comme un iPod prend le contrôle d'une chaîne hi-fi sur laquelle il est branché. Toutes sortes de logiciels permettent déjà cette manipulation, comme MojoPac par exemple.

C'est donc le petit terminal qui prend le contrôle du grand. Car c'est celui qui nous ressemble le plus qui domine les autres. Il faut remarquer également que cette osmose PC-terminal mobile s'intègre dans le plan plus vaste des offres « n play » qui groupent la télévision, l'Internet et la téléphonie fixe et mobile en une facture unique. Rien n'empêche d'intégrer le serveur domestique, le haut-débit, l'écran devant le canapé et la bulle Wi-Fi du foyer dans cette équation.

La puissance informatique de ce terminal IP change également la donne. Cette extrémité mobile et personnelle du réseau pourra avoir la puissance d'un serveur et par conséquent se comporter comme tel.

Aujourd'hui, nous avons une organisation des principaux services en fermes de serveurs auxquels se connectent des PC individuels. Dans cette organisation, les services en ligne sont hébergés sur ces grappes de serveurs qui se répartissent le travail entre eux et auxquels les PC accèdent par le réseau pour en bénéficier.

Imaginons que, demain, il n'y ait plus de PC mais que des serveurs. Imaginons que la masse principale de ces serveurs individuels soient ces terminaux mobiles. On parlera alors de serveurs mobiles. Ces serveurs mobiles se comportent pour l'utilisateur comme un terminal traditionnel, voire un téléphone, mais peuvent également fonctionner comme des serveurs et donc réaliser des tâches distribuées entre les machines, voir co-héberger des services en ligne.

Dans cette hypothèse, la ferme de serveurs devient la masse des terminaux en possession du public. Ces logiques de distribution de calcul existent déjà et sont éprouvées : pour SETI@Home hier, jusqu'au prometteur logiciel Hadoop aujourd'hui. Ils permettent de répartir des tâches et des données sur des milliers de machines de base, disparates et autonomes dont certaines tombent en panne, s'ajoutent ou sortent à chaque instant du réseau, etc.

Par ailleurs, cette organisation peut être doublée d'un déploiement en réseau d'émetteurs-récepteurs, comme par exemple en réseau maillé ou MESH network, qui a montré sa robustesse. C'est la logique de FON, qui fait de chaque utilisateur Wi-Fi un nœud du réseau d'émission-réception.

Cette anticipation redéfinit le débat qui oppose aujourd'hui le système d'exploitation des PC et sa vocation machino-centrique aux services en ligne. Ce débat disparait puisque le logiciel du terminal fusionne avec le logiciel du parc. Le système d'exploitation de la machine individuelle devient un système d'exploitation de serveur.

De la même manière, les systèmes d'exploitation du PC et du terminal mobile sont appelés à n'être que deux versions du même logiciel, voire à fusionner. Il est probable que le système d'exploitation du mobile sera la version dominante car, encore une fois, c'est celui de l'appareil dont nous serons le plus proche. Le contrôle du réseau hertzien adéquat est une clef de ce déploiement et l'intérêt des grands acteurs de l'Internet pour le spectre est bien naturel.

Demain, certaines entreprises remplaceront éventuellement tout ou partiellement leurs fermes de serveurs par la subvention de serveurs individuels mobiles destinés au public et utilisés par les gens comme terminaux et téléphones mobiles. La contrepartie en sera un accès privilégié aux informations générées par les utilisateurs corrélées notamment à leur position GPS et à leur moyen de paiement intégré au terminal.

Une autre des clefs majeures du succès de cette dissémination des serveurs est le logiciel de coordination de cette collection dynamique de machines. La clef stratégique est une fois de plus le code. Cette anticipation donne encore plus de poids aux réseaux sociaux car il met en commun non seulement l'intelligence des personnes mais l'intelligence des machines et en fait une unité fonctionnelle.

Tel est l'avenir des télécoms, tel est l'avenir des réseaux sociaux.

Pierre Bellanger, président et fondateur de Skyrock (Orbus)
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