Après la diffusion par une équipe de scientifiques d'une nouvelle image de Sagittarius A*, réalisée à partir d’un modèle d’IA, le monde de l'espace se divise en deux. Certains y voient une avancée, d’autres émettent des doutes. Parmi eux, Reinhard Genzel, prix Nobel de physique, qui questionne la fiabilité des données utilisées.

Peut-on vraiment croire l’image de Sagittarius A générée par une IA ? Reinhard Genzel en doute - © MPI for Extraterrestrial Physics
Peut-on vraiment croire l’image de Sagittarius A générée par une IA ? Reinhard Genzel en doute - © MPI for Extraterrestrial Physics
L'info en 3 points
  • Des scientifiques ont utilisé l'IA pour modéliser Sagittarius A*, révélant une rotation rapide et une orientation vers la Terre.
  • Reinhard Genzel, prix Nobel, exprime des doutes sur la fiabilité des données initiales utilisées par l'IA.
  • L'équipe de Michael Janssen prévoit de valider le modèle IA avec de nouvelles données pour confirmer les résultats.

Sagittarius A*, le trou noir supermassif (n'en déplaise aux fans de Muse) situé au centre de la Voie lactée, fait encore parler de lui. Des chercheurs ont utilisé un modèle d'IA pour retravailler des données anciennes, jusque-là mises de côté. Selon eux, l’objet tourne presque à sa vitesse limite et son axe pointerait vers la Terre. Ces résultats dépendent des mesures du télescope Event Horizon, un dispositif distribué à travers plusieurs continents. Mais l’image produite intrigue autant qu’elle divise. Reinhard Genzel, l’un des spécialistes les plus familiers de ce champ, alerte sur les risques de déformation. Il estime que la qualité initiale des données limite la portée de l’outil. L’IA, à ses yeux, ne remplace pas une observation fiable.

L’intelligence artificielle utilisée pour interpréter d’anciennes données complexes

Le télescope Event Horizon regroupe plusieurs observatoires situés à différents endroits de la planète. Il capte des ondes millimétriques à travers un réseau coordonné. Cette méthode donne accès à des détails fins, mais elle reste sensible aux conditions atmosphériques. La vapeur d’eau, notamment, brouille certaines mesures.

Pendant longtemps, une partie des relevés a été considérée comme inutilisable. Les chercheurs de l’université Radboud, sous la direction de Michael Janssen, ont choisi de reprendre ces jeux de données. Ils les ont introduits dans un modèle d’intelligence artificielle, capable de reconnaître des structures même au sein de signaux très bruités.

Le traitement a permis de produire une nouvelle image de Sagittarius A*. Comme on vous le racontait sur Clubic tout récemment, elle montre une forme plus régulière que la précédente, avec une luminosité répartie différemment. Les chercheurs décrivent aussi une vitesse de rotation très élevée et une orientation alignée avec notre direction. Ces observations pourraient aider à mieux comprendre le comportement de la matière autour de ce type d’objet.

Impression artistique d'un réseau neuronal reliant les observations de trous noirs (à gauche) à leurs modèles (à droite) - ©EHT/Janssen et al.
Impression artistique d'un réseau neuronal reliant les observations de trous noirs (à gauche) à leurs modèles (à droite) - ©EHT/Janssen et al.

Reinhard Genzel doute de la fiabilité des résultats obtenus par l’IA

Reinhard Genzel n'est pas bégueule pour autant. Il suit de près les recherches sur Sagittarius A*, qu’il connaît depuis plusieurs décennies. Mais il reste méfiant. « Je suis très sensible à ce qu’ils font et je m’y intéresse beaucoup », dit-il. Il précise aussitôt : « L’intelligence artificielle n’est pas une solution miracle. Elle dépend entièrement des données qu’on lui donne ».

Pour lui, la qualité de ces données constitue un obstacle. « Une image n’est jamais meilleure que les informations qu’elle utilise. Si les mesures sont faibles ou dégradées, même le meilleur modèle du monde ne pourra pas les rendre fiables », insiste-t-il, avant d'ajouter que « L’algorithme peut produire quelque chose de cohérent, mais ça ne garantit pas que ce soit juste ».

Il ne remet pas en cause l’effort, ni l’idée de tester des méthodes alternatives. Mais il estime que le résultat doit rester une hypothèse, pas une vérité. « Il faut garder de la rigueur. Une image comme celle-ci peut servir d’outil d’analyse, pas de preuve ».

Michael Janssen partage en partie cette position. Il reconnaît que la méthode doit encore être validée par comparaison avec de nouvelles données. L’équipe prévoit d’appliquer le modèle aux relevés plus récents, pour tester sa robustesse. D’autres chercheurs suivront ces travaux avec attention, mais sans précipitation. Reinhard Genzel, lui, restera attentif. « Je ne dis pas que c’est faux. Je dis simplement qu’on ne peut pas le savoir encore ». On n'est jamais trop prudent. Il vaut mieux marcher sur des œufs lorsqu'on observe les étoiles.

Source : Live Sciencce