Rafi Haladjian : "l'Internet des objets, c'est l'eau courante à tous les étages"

Alexandre Laurent
Publié le 05 octobre 2010 à 10h05
Après Internet pour tous, Internet pour tous les objets ? C'est le credo auquel adhère Rafi Haladjian, créateur de FranceNet, d'Ozone, mais aussi du Nabaztag, ce fameux « lapin communicant » précurseur selon lui d'une ère où les usages s'apprêtent à connaitre un nouveau bouleversement : celui de l'Internet des objets. En attendant de lever le voile sur les ambitions de sa future société, Sen.se, il revient pour Clubic.com sur ce concept et les enjeux associés.

Rafi Haladjian, bonjour. Qu'entendez-vous exactement par l'expression Internet des objets ?

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RH - L'internet des objets, c'est le passage d'un monde dans lequel on a un nombre réduit d'appareils avec lesquels on peut communiquer, avoir accès à une capacité de traitement ou à une intelligence, à un monde dans lequel l'information va pouvoir être apportée à chacun des objets qui nous entoure. Aujourd'hui, c'est un peu comme si vous vous trouviez dans un désert, à proximité d'un puits. Quand vous avez soif, il vous faut aller au puits : à chaque fois que vous avez besoin d'une information, vous allez sur votre PC, votre smartphone ou autre et vous assouvissez votre besoin. L'Internet des objets, c'est le fait de ne plus avoir besoin d'un objet spécialisé pour faire ça.

Prenez par exemple un pèse personne. Si vous voulez suivre vos courbes de poids ou transmettre ces informations à votre médecin, vous devez les entrer manuellement sur votre PC jour après jour. S'il est connecté, il communique directement avec Internet et vous n'avez plus besoin de le faire. Vous interagissez donc plus naturellement avec les objets. C'est un peu la différence entre aller au puits chaque fois qu'on a soif et avoir l'eau courante à tous les étages.

N'est-ce pas un peu utopique d'imaginer que tous les objets seront un jour connecté et que cette nouvelle capacité profitera systématiquement à l'utilisateur ?

Il ne s'agit ni d'utopie, ni d'idéalisme. Vous ne vous pesez pas avec votre ordinateur, n'est-ce pas ? Demain, votre matelas pourrait avoir des capteurs et analyser la qualité de votre sommeil, ou vous réveiller automatiquement au meilleur moment. La véritable vision de l'Internet des objets, c'est que le type qui vend des matelas vous promettra que vous allez mieux dormir, mais en plus il va vous le prouver. Matelas, pèse personne, ou brosse à dents... Oral B par exemple propose sur l'un de ses modèles une analyse de la qualité du brossage, de la fréquence à laquelle vous vous lavez les dents, etc. Ces données, il peut les envoyer vers un site ou prévenir votre dentiste. C'est quand même franchement mieux que de se dire : je vais prendre mon application lavage de dents sur iPhone et déclarer le temps de que j'ai passé à me brosser les dents du bas ?

L'iPhone, l'iPad, les smartphones, ne peuvent donc pas jouer ce rôle ?

Tous ces objets prolongent le modèle du PC, celui d'une fenêtre par laquelle je suis obligé de passer. Ça ne change donc pas vraiment sa conception. Et tout résumer à des applications iPhone, c'est un peu ridicule. Du reste, ça ne marche pas, sauf pour les trucs rigolos, qu'on a le temps de faire. Prenez 4Square par exemple (service qui permet d'indiquer sa position géographique depuis son smartphone à son réseau, ndlr), ça marche au restaurant parce qu'on a le temps de le faire qand on attend. Bizarrement, on l'utilise beaucoup moins dans les magasins parce que là, on n'a pas le temps.

Si on veut lier les activités du jour, il ne faut pas passer par le modèle du guichet. Il faut un environnement intelligent, qui sent ce que vous faites. Tout ça prend alors un sens et les objets du quotidien font leur boulot beaucoup mieux. Chaque industriel va donc être amené à améliorer ce qu'il fait en ajoutant une intelligence ou une capacité de connexion à ses produits.

Le phénomène a-t-il besoin d'un déclencheur ou a-t-il déjà profité de l'action d'un déclencheur ?

Le déclenchement a déjà eu lieu. Rien n'empêche aujourd'hui que quelqu'un achète une balance communicante par exemple. Maintenant, il faut donner du temps au temps. Entre le moment où Internet a démarré en 94 et le moment où aujourd'hui on considère qu'il est partout, il s'est quand même passé quinze ans. L'internet des objets est déjà un phénomène, mais il est encore à ses débuts.

Vous introduirez le 15 octobre prochain l'atelier organisé à La Cantine (Paris) par O-Labs sur ce thème du Physical Computing. La suite du programme prévoit une séance d'initiation à Arduino, ces micro-contrôleurs qui doivent permettre à tout un chacun de réaliser un objet communicant. Est-ce le genre de catalyseur dont a besoin l'Internet des objets ?

Arduino fournit effectivement un contrôleur permettant de créer un objet qui n'existe pas. Que ce soit pour un designer qui veut réaliser un prototype ou pour un bricoleur qui veut poursuivre l'une de ses idées, ça va dans le sens de l'Internet des objets puisque cela permettra de révéler des usages autour de petits appareils intelligents. C'est donc un révélateur ou un catalyseur et si votre métier est développeur ou designer, vous devez vous intéresser à cette idée de voir comment votre application tourne dans le monde physique et pas juste derrière la vitre d'un écran de PC ou d'un iPad. Le phénomène est d'autant plus intéressant qu'Arduino est open source, n'importe qui peut donc fabriquer son propre contrôleur. Plus tard, avec Sen.se, on fournira une interface technique en ligne qui permettra de faire communiquer en ligne les objets conçus par les gens.

Au niveau de cette « connexion », que préconisez-vous sur le plan technique ? IP, RFID, etc, ou parfait agnostique ?

Nous sommes à fond dans IP et IPv6, bien sûr. On sort des choses qui ont été inventées dans un premier temps pour la domotique, trop fermées et qui proposaient des scénarios un peu ringards. RFID ? Egalement, nous sommes favorables à toute techno qui permet de lier le monde physique avec les mondes virtuels. Selon l'objet ou l'environnement, vous allez utiliser une technologie différente. Pour un petit objet inerte, ce sera du RFID, pour quelque chose de plus gros vous ferez appel au WiFi. Dans certains cas, ça pourrait juste être une caméra à reconnaissance de forme. La vraie question, c'est : quel est le moyen le plus commode pour que dans la vie quotidienne vous puissiez l'utiliser facilement. Agnostiques ? Disons que l'on n'aime pas le propriétaire fermé.

On constate, au niveau du RFID notamment, que certains pays (Etats-Unis, Chine) semblent bien plus avancés que la France. Serions-nous en retard sur cet Internet des objets ?

Pour certains, l'Internet des objets se confond avec le RFID, pour moi c'est un principe général. Après, pour ce qui est du RFID en particulier, nous sommes en retard, oui. Les Chinois sont partis très vite. Il y a beaucoup d'applications au Japon également. En France, il ne se passe rien. Par contre, dans les autres domaines de l'Internet des objets, celui où l'on invente des appareils et où on les connecte, on n'est pas mal. Alertme (surveillance de la consommation électrique, ndlr), Withings (balance connectée) ou, bientôt, Sen.se, on n'est pas mauvais. Il faudrait voir à ne pas tuer cette offre là.

N'y a-t-il pas à l'inverse un risque d'arriver trop tôt ? N'était-ce pas justement le problème du Nabaztag ?

Le risque existe toujours, quoi que l'on fasse. Mais le vrai risque, que je connais bien, c'est d'être insuffisamment soutenu ou livré à soi-même. En Europe, vous n'êtes pas soutenus, les investisseurs attendent que le phénomène apparaisse aux Etats-Unis avant de s'intéresser vraiment à vous, ça les rassure. Les pouvoirs publics, n'en parlons pas. En 2008, ils demandaient des rapports sur ce qu'était le Web 2.0, alors que les débuts du Web 2.0 remontent à 2002...

Le Nabaztag, il s'agit plus d'une mort conjoncturelle. C'était la crise, les grandes centrales se sont montrées conservatrices. Pour une PME, le stock coûte très cher, quand vous ne pouvez pas le liquider vous finissez par avoir des problèmes financiers. Le Nabaztag n'était de toute façon qu'une étape. On avait l'impression qu'il ne s'agissait que de faire des petits objets sympas. On ne renie pas ça mais maintenant il faut aller plus loin.

D'où le projet Sen.se...

Avec Sen.se, on va faire les choses selon plusieurs volets. Au début, on s'adressera surtout aux développeurs, aux designers, aux concepteurs, aux gens qui veulent s'amuser à réfléchir. Puis, progressivement, il y aura des produits sense achetables par le fils de madame Michu. N'oublions pas que l'innovation, il faut que ce soit un peu ludique. On achète pour le plaisir et l'on garde ensuite parce que c'est utile.

Le Meccano de demain sera donc connecté ?

C'est une certitude. On ne parlera plus que du PC ou de l'iPhone comme appareils connectés, ce courant est inéluctable. A quelle vitesse ça va aller, on ne sait pas, mais on sait avec certitude dans quel sens ça va !

Rafi Haladjian, merci.

Pour aller plus loin :

Alexandre Laurent
Par Alexandre Laurent

Alex, responsable des rédactions. Venu au hardware par goût pour les composants qui fument quand on les maltraite, passé depuis par tout ce qu'on peut de près ou de loin ranger dans la case high-tech, que ça concerne le grand public, l'entreprise, l'informatique ou Internet. Milite pour la réhabilitation de Après que + indicatif à l'écrit comme à l'oral, grand amateur de loutres devant l'éternel, littéraire pour cause de vocation scientifique contrariée, fan de RTS qui le lui rendent bien mal.

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