Interdiction de l'IVG aux USA : les apps de suivi du cycle menstruel vont-elles devenir des mouchards ?

Rémi Bouvet
Publié le 28 juin 2022 à 08h20
© Flo
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La question peut paraître délirante à première vue, mais il n’en est rien : tout dépend du cadre juridique.

Vendredi dernier, la Cour suprême des États-Unis a révoqué le droit constitutionnel à l’avortement, en vigueur depuis 1973, en annulant l’arrêt Roe vs Wade. Dans la foulée, plusieurs États, une dizaine au moment où nous écrivons ces lignes, ont rendu l’interruption volontaire de grossesse illégale. Certains ont déjà classé ou envisagent de classer l’avortement comme un homicide. Cette criminalisation pourrait transformer les applications de suivi du cycle menstruel en mouchards.

Des millions d’utilisatrices

C’est la crainte soulevée par Rina Torchinsky dans un article pour le média indépendant NPR. Le billet rapporte que les spécialistes de la protection de la vie privée s'inquiètent de la manière dont les données recueillies par les applications de suivi des règles, entre autres, pourraient être utilisées pour pénaliser toute personne envisageant ou cherchant à avorter.

« Nous sommes très préoccupés […] par ce qu'il se passe lorsque des sociétés privées ou les gouvernements peuvent avoir accès à des données très sensibles sur la vie et les activités des gens », explique Lydia X. Z. Brown, conseillère politique au Privacy and Data Project du Center for Democracy and Technology. « Surtout lorsque ces données sont à même de faire courir un risque de préjudice réel aux personnes […] ».

Ces applications de suivi de cycles menstruels comptent plusieurs millions d’utilisatrices : 43 millions pour Flo, la plus populaire, 12 millions pour Clue. Naturellement, les données qui y sont renseignées sont susceptibles de révéler une éventuelle grossesse.

Des applications révélatrices, parmi d'autres

Plus globalement, Evan Greer, Directrice du groupe de défense des droits numériques Fight for the Future, estime que ce sont toutes les applications recueillant des données de localisation qui pourraient servir à établir des liens avec un avortement. Elle donne l’exemple de quelqu’un qui se rendrait dans une clinique d’un autre État pour avorter et dont le voyage serait immédiatement connu par tout un tas d’applications ; idem pour des historiques sur un moteur de recherche.

Bien sûr, une application de suivi du cycle comme Flo insiste sur la protection des données personnelles. La société garantit qu’aucune information privée n’est vendue à des tiers et que celles-ci sont très bien protégées. Seulement, dans les faits, l’application a évité de peu un procès aux États-Unis début 2021 : elle était justement accusée d’avoir partagé des données personnelles avec des entreprises tierces... En outre, même en supposant une totale probité, on ne vous apprendra rien, aucun système n’est infaillible.

Or, l’article de Rina Torchinsky suggère que des groupes d’activistes pourraient tenter d’acheter – pour ne pas dire dérober – ces données à des fins de dénonciation ou de calomnie. Ces accusations sont pour le moment infondées, mais des lois de certains États pourraient encourager, voire encadrer de telles pratiques. Par exemple au Texas, la loi SB8 (Senate Bill 8) interdit l’avortement dès qu’une activité cardiaque est détectable (environ six semaines) et rétribue d’une coquette somme (au moins 10 000 dollars) tout particulier qui démasquerait un prestataire de services d’avortement.

Des données possiblement vendues, dérobées ou légalement communiquées

Toutes ces projections ont l’air délirantes à première vue. Seulement en réalité, tout dépend du cadre légal. Lors d’enquêtes criminelles, les gestionnaires d’applications sont souvent légalement contraints de collaborer avec les forces de l’ordre. Des données en lien avec l’avortement pourraient ainsi tout à fait entrer dans ce cadre, dès lors que cette pratique est considérée comme un homicide, et qu’elle expose à des poursuites pénales.

Déjà, dans des États comme le Texas ou la Louisiane, l’avortement peut être sanctionné par des peines de prison de plusieurs années, y compris pour des personnels soignants « complices ».

Partant de ce constat, se pose une question légitime : les femmes américaines ne devraient-elles plus avoir recours à ces applications ? « Tout dépend de l'endroit où vous vivez et des lois en vigueur », estime Andrea Ford, chargée de recherche à l'Université d'Édimbourg. « Si je vivais dans un État où l'avortement est activement criminalisé, je n'utiliserais pas de dispositif de suivi des règles, c'est certain. Si vous souhaitez être totalement en sécurité, utilisez un calendrier papier ».

Enfin, pour en revenir à Flo, sachez que l'application a annoncé il y a quelques jours, en réaction à la décision de la Cour suprême, qu'elle proposerait très prochainement un mode anonyme. Celui-ci offrira aux utilisatrices la possibilité de profiter de l'application sans avoir à communiquer certaines informations personnelles.

Source : NPR

Rémi Bouvet
Par Rémi Bouvet

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Commentaires (10)
ptitepuce

C’est quand même dingue, interdire l’IVG en 2022, alors que la loi l’autorisait depuis 1973… Ça régresse…

Pour les applis, il existe sûrement des alternatives open-source qui sont peut-être moins mouchards.

Je ne sais pas comment fonctionne ces applis, je n’utilise pas personnellement, mais si il en existe des offline par exemple en plus d’être open-source, ce serait le meilleur compromis.

Ou alors à l’ancienne, calendrier et stylo.
Il y a certaines choses basiques à laquelle on devrait revenir indépendant, et donc moins se faire fliquer inutilement.

En tout cas courage aux américaines.

serged

Un pays qui pénalise l’avortement, applique la peine de mort et autorise les armes à feu ne mérite pas le nom de démocratie".

Et dire que ce même pays critique les taliban !

Loposo

Ce n est pas interdit dans tout le pays ,il redonne au Etats la main sur l interdiction de l IVG.

C est une régression mais de la a faire le rapprochement entre les deux c est limite. Les femmes américaines peuvent travailler sortir s habiller comme elles veulent, les jeunes filles peuvent aller à l’ école collège université… Bref

Le Japon viens 2022 d autoriser la pillule et encore il faut un écrit du mari qu il autorise sa femme a prendre la pillule , a la peine de mort aussi et les femmes c est pas top non plus un pays a très haut tôt de viol et ce n est pas les talibans

Popoulo

Y a une « petite » différence entre la pilule et le droit d’avorter. Enfin, il me semble.

Korgen

3 mesures qui n’ont rien à voir les unes avec les autres.
Et au passage, si la vente d’arme n’était pas autorisée (et encadrée, faut pas l’oublier), pas sûr qu’il y aurait moins de morts par balles !

qotzo

contre exemple : l’écologie est aussi une religion. Chez les romains certains adoraient faunus (ou pan chez les romains). Mais cette religion fait progresser les droits individuels.

lepef32

« Interdiction de l’IVG aux USA »

Très déçus de la qualité de votre travail journalistique Clubic, enfin pour le coup vous avez simplement fait un copier coller des cris d’orfraies des journaux orientés FR … Si vous aviez fait 5 minutes de réelles recherches vous sauriez qu’il ne s’agit en rien d’une interdiction: La decision est simplement rendue aux Etats.

Remoss

Sauf que toutes les américaines n’ont pas les moyens d’aller 2 ou 3 états plus loin pour se faire avorter…
ET surtout tu sembles oublier que cette loi permettra aussi d’interdire l’avortement suite à un viol ou un acte d’inceste… … …

Remoss

et toi tu sous-estime clairement la souveraineté des états sur le plan juridique et la volonté farouche d’une grande partie d’entre eux à interdire l’IVG…

lepef32

Certes mais le titre de l’article est factuellement faux.

Au dela de ca, les US sont le pays des extrêmes:
D’un cote on a les anti IVG bas du front qui veulent l’interdir complètement meme dans des cas de sante/viol
D’un autre les pro IVG bas du front qui voudrait que ce soit legal jusqu’au terme ( 24 semaines dans pas mal d’Etat deja … paye ton ethique, le foetus est viable a ce stade)
Il n’y a pas la-bas de juste milieu a l’Européenne (12-14 semaines) qui concilie convenablement droit de la mere et ethique …