Je veux désorbiter mon satellite !

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
21 novembre 2021 à 18h18
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Un deuxième étage de SpaceX se désintègre au-dessus de la Californie. Crédits N.A.
Un deuxième étage de SpaceX se désintègre au-dessus de la Californie. Crédits N.A.

Le saviez-vous ? Avant d'envoyer un missile dessus, il y a plusieurs solutions pour éviter que votre satellite ne traine trop longtemps et ne se transforme en un encombrant débris sur orbite. Petit tour d'horizon pour se rappeler les bonnes pratiques et ne pas se poser les bonnes questions trop tard.

Même les Space Cowboys font ça mieux qu'un missile.

Assurance prévoyance

C'est vrai que le mieux reste quand même d'envisager le problème de la fin de vie de votre satellite au moment de sa conception afin d'éviter des cas de figure simples mais toujours gênants (le coup de la panne alors que vous comptiez sur les propulseurs pour désorbiter le satellite, par exemple). En réalité, c'est d'ailleurs moins simple qu'il y paraît : le satellite a besoin de beaucoup d'énergie pour aller sur la bonne orbite, de peu d'énergie (cela varie selon les cas de figure) pour rester sur la bonne orbite, et généralement en fin de vie, il lui reste très peu de carburant pour « laisser la place aux jeunes ». Pas question en effet de laisser les réservoirs à moitié ou au tiers pleins pour désorbiter un satellite qui fonctionne très bien parce que c'est la fin de sa durée de vie garantie. Alors que faire ?

En France, il vous faut respecter la LOS (Loi sur les Opérations Spatiales) qui vous impose un standard sur la désorbitation de vos satellites : 25 ans maximum pour ceux qui sont en orbite basse, ou bien une manœuvre vers une orbite dite « de cimetière » pour ne pas engorger les zones dignes d'intérêt (comme l'orbite MEO qui héberge les satellites de positionnement ou l'orbite géostationnaire). Dans ce dernier cas, il « suffit » de rallumer les moteurs pour gagner 300 ou 400 km d'altitude, avant de passiver votre satellite.

Le "Nain Chompsky" emmené en orbite par RocketLab en 2020 a heureusement été désorbité depuis. Crédits Rocket Lab
Le "Nain Chompsky" emmené en orbite par RocketLab en 2020 a heureusement été désorbité depuis. Crédits Rocket Lab

Passivez en paix

Quoi ? Vous ne connaissez pas la passivation ? C'est tout simplement la première étape qui vous évite de faire les gros titres : elle consiste à éteindre correctement le satellite pour la dernière fois, en évitant toute source de problème à venir. La séquence est généralement complexe et irréversible. Il faut vider les réservoirs d'ergols qui restent, s'assurer que le satellite n'entrera pas dans une rotation rapide et incontrôlée, éteindre les différentes unités de bord, avant d'enfin vider les batteries puis les déconnecter. Après la passivation, votre satellite n'est plus un satellite : c'est un petit astéroïde de métal. Ou un débris, tout dépend des points de vue.

Désorbitez dans le calme

Reste la difficile question de la désorbitation, utilisée en orbite basse (sous les 1 500 km). Là encore, il y a plusieurs moyens de s'y prendre. Le plus simple est, avant la passivation, d'utiliser un maximum d'ergols pour abaisser le périgée de l'orbite pour en faire une ellipse qui arrive dans des zones où le restant d'atmosphère va suffisamment freiner le satellite pour qu'il se désintègre… d'ici une durée raisonnable. Pour certains cargos ou étages de fusée, le point de rentrée est très contrôlé et leur orbite les fait entièrement rentrer dans l'atmosphère. Mais pour d'autres étages ou satellites, avoir un périgée sous les 250 km d'altitude suffit pour qu'ils freinent en quelques mois ou quelques années. Cela dit, pour faire cette manœuvre, il faut garder des ergols de côté et avoir des propulseurs qui fonctionnent toujours à la fin de vie du satellite. Pas gagné…

Les petits moteurs de la startup ThrustMe à l'iode peuvent permettre à des satellites de très petite taille de se désorbiter en fin de vie. Crédits ThrustMe
Les petits moteurs de la startup ThrustMe à l'iode peuvent permettre à des satellites de très petite taille de se désorbiter en fin de vie. Crédits ThrustMe

Sous les 500 ou 600 km d'altitude, une majorité des opérateurs, qu'il s'agisse des Etats ou des entreprises privées, se contentent bien souvent de passiver leurs satellites en fin de vie et de les laisser dériver jusqu'à ce qu'ils freinent d'eux-mêmes jusqu'à l'atmosphère. Selon leur surface, leur masse, leur altitude et l'activité solaire, cela peut faire grandement varier le temps qu'il faut pour que votre satellite cesse d'encombrer l'orbite basse. Il faut par exemple entre 5 et 10 ans à un CubeSat 3U de Planet pour se désintégrer depuis les 500 km d'altitude. Environ 5 ans aussi, voire un peu moins pour un Starlink à 550 km d'altitude (beaucoup plus grand). Mais au-delà, les plus petites plateformes vont voir les années se transformer en décennies… Cela concerne notamment les satellites sur des orbites basses polaires entre 600 et 800 km d'altitude, qui sont nombreux. Pour eux en revanche, on peut utiliser des solutions dites passives.

Passive, mais pas inutile !

Les solutions passives ont pour avantage de ne pas nécessiter d'énergie de la part du satellite une fois déployées. L'idée la plus communément utilisée est de générer des frottements avec les rares particules atmosphériques en offrant une plus grande surface. Aucun système n'est encore, au stade opérationnel, vendu « tel quel » pour n'importe quel satellite, mais de nombreux essais ont eu lieu pour déployer des voiles plus ou moins grandes en mylar (un peu comme un grand papier alu tendu entre deux poteaux). Il y a aussi eu des tentatives avec des voiles semi-rigides, des systèmes gonflables (oui, ça marche aussi) et même des idées avec un énorme ballon mesurant plusieurs fois la circonférence du satellite. Il existe aussi d'autres systèmes passifs plus élaborés, qui utilisent notamment un long câble électrodynamique. Ce dernier utilise le principe de Lorentz pour freiner, mais sa complexité a pour le moment surtout freiné le nombre de tests en orbite.

Les "voiles" du satellite Microscope du CNES, ont réduit de deux tiers le temps qu'il passera en orbite une fois passivé. Crédits CNES/Virtual IT 2018
Les "voiles" du satellite Microscope du CNES, ont réduit de deux tiers le temps qu'il passera en orbite une fois passivé. Crédits CNES/Virtual IT 2018

Qu'ils viennent me chercher !

Enfin, si vous avez de l'argent et que vos satellites en fin de vie ou en panne peuvent vous coûter très cher en carburant, vous pouvez passer un accord (ou mieux, un juteux contrat) avec une entreprise qui va aller désorbiter votre satellite pour vous. Northrop Grumman dispose actuellement de deux véhicules de service (MEV) en fonction en orbite géostationnaire, « collés » derrière des satellites de télécommunications. Lorsque ces derniers devront partir pour leur orbite cimetière, les MEV les y conduiront, avant de les laisser pour d'autres clients. OneWeb, qui vient d'annoncer la première panne inattendue de l'un de 358 satellites en orbite à 1 200 km d'altitude, devrait également recourir aux services d'un prestataire (très probablement Astroscale, ils ont un accord) pour qu'un véhicule vienne le chercher. Ce ne sera pas donné, mais ces solutions sont envisagées comme un futur business indispensable, en particulier pour éviter la congestion sur les orbites où les super-constellations sont actives. Reste qu'à part des démonstrations, il n'y a pas encore eu de véritable mission commerciale pour l'instant.

Le concept d'un véhicule de récupération et de "ménage orbital" pour Astroscale. Crédits Astroscale
Le concept d'un véhicule de récupération et de "ménage orbital" pour Astroscale. Crédits Astroscale

La solution à éviter, bien sûr, c'est d'envoyer un missile détruire votre satellite. Non seulement cela multiplie par mille (ou plus) le nombre de débris dans la zone, mais en plus ils ne rentreront pas plus vite se désintégrer dans l'atmosphère…

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (15)

Gh0st_D0g
Zut, si cet article avait été publié une semaine plus tôt, les Russes seraient peut-être tombés dessus
pecore
Le business de l’espace n’a pas fini de se développer. Combien de temps avant que ce ne crée un service de récupération de satellites au fin de recyclage.
FoxLeGoupil
Je ne suis pas expert mais envoyer une fusée pour récupérer un satellite aura toujours un coût environnemental bien plus important que de laisser celui-ci se consumer en faisant une entrée atmosphérique et ce, quelque soit le satellite.
benben99
Il est toujours bon de dépeindre les Russes comme des gros méchants… Évidemment, ce n’est pas fait directement dans cet article, mais on sent le sous-entendu… alors que pourtant toutes les grandes puissances comme les USAs dévelopent aussi des armes anti-sattelites.
FoxLeGoupil
Certes, mais il y a une différence entre développer un système et le tester en conditions réelles.<br /> Je ne suis pas anti russes mais il faut bien reconnaitre que dans ce cas précis ils ont fait une connerie.
Vanilla
Repeat after me:<br /> SA-TEL-LIT-E<br /> BRIAN is in the kitchen.
Vanilla
Postulat de départ: les russes sont cons.<br /> Donnée 1: les russes savaient bien que faire exploser un truc avec un missile allait faire plein de débris.<br /> Donnée 2: ils l’ont quand même fait.<br /> Donnée 3: ils savaient bien que ça n’allait pas rester inaperçu.<br /> Donnée 4: ils l’ont quand même fait.<br /> Resultat 1: ils voulaient montrer leur puissance à tout le monde.<br /> Resultat 2: ils peuvent recommencer quand ils veulent, sur n’importe quel truc là haut.<br /> Conclusion 1: les russes ne sont donc pas cons, et le postulat de départ est invalidé.<br /> Conclusion 2: ils ont sciemment mis en danger la station ISS ainsi que les vies des personnes s’y trouvant.<br /> Apres, ne me demandez pas pourquoi ils ont fait cela, ce sont les russes, et je suis pas russe.
benben99
Je vois que tu suis bien ce que les médias disent
pecore
Ce n’est qu’une hypothèse d’école, bien sur, mais je pensais plutôt à des récupérations groupées de plusieurs satellites en une fois et à un recyclage à but commercial plutôt qu’environnemental.
FoxLeGoupil
Le problème reste le même, pour qu’une structure soit suffisante pour assurer la sauvegarde d’un ou plusieurs satellite, il lui faudrait un bon bouclier thermique et d’excellents parachutes.<br /> Il lui faudrait également une quantité considérable de carburant pour aller d’un satellite à un autre sans heurter violemment celui-ci ainsi que pour permettre une entrée atmosphérique au bon endroit et éviter que les satellites si durement récupérés ne finissent leur course dans l’océan ou sur une grande ville.<br /> Tout ça pour récupérer un materiel obsolète qui sera sûrement difficile à recycler car pas conçu pour que ce soit facile.<br /> Non, vraiment, même si l’idée est séduisante j’ai du mal à croire que ça puisse être un jour rentable pour qui que ce soit.
cyrano66
FoxLeGoupil:<br /> Non, vraiment, même si l’idée est séduisante j’ai du mal à croire que ça puisse être un jour rentable pour qui que ce soit.<br /> Sauf que si sa continue à ce rythme Le spectre du syndrome de Kessler va imposer un nettoyage.<br /> Ça sera quand même moins coûteux que de voir les milliards de dollars en orbite tomber en rade les uns après les autres au gré des collisions avec des débris ingérables.
FoxLeGoupil
Faire du nettoyage n’implique pas d’essayer de récupérer le matériel pour recyclage, il «&nbsp;suffit&nbsp;» d’envoyer un appareil chargé de ralentir les satellites pour les désorbiter afin qu’ils retombent et crament dans l’atmosphère.<br /> Le problème reste le coût mais on pourrait créer un fond alimenté par une sorte de taxe sur tous les futurs lancements qui dépendrait de la taille et du nombre de satellites lancés voir même de l’orbite sur laquelle ils sont lancés, un lancement de satellites Starlink en orbite basse posera sûrement plus de problème sur le long terme que le lancement du Télescope James Webb positionné au point de Lagrange L2 par exemple.
smover
Merci pour cet article intéressant Éric !<br /> Comme toujours les non spécialistes comme moi y apprennent des choses, c’est clair et bien écrit.<br /> C’est pour des articles comme ça que l’on aime le nouveau Clubic !
Duben
Ah bah j’en discutais avec Elon hier au resto, il cherchait une soluce ! Cool je vais lui passer votre article<br /> Merci
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