Sam, Ham, Enos ou Goliath : les précurseurs du programme Mercury

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
04 avril 2022 à 16h17
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Miss Baker, petit saïmiri revenu d'un vol spatial. Crédits NASA
Miss Baker, petit saïmiri revenu d'un vol spatial. Crédits NASA

Face aux progrès de l'Union soviétique, le programme habité américain avance rapidement au tournant des années 60. Mais dans cette bataille, l'image et le symbole sont rois, et les autorités préservent au maximum les astronautes. Pas les animaux : macaques, chimpanzés et saïmiris seront les pionniers de la NASA.

L'aventure de la chienne Laïka avait elle aussi fait grand bruit.

Cobayes spatiaux

Si le programme spatial soviétique utilise des chiens errants dès la première moitié des années 50, aux Etats-Unis, ce sont différentes espèces de primates qui sont sollicitées. En partie pour une raison pratique : les macaques et saïmiris sont de petite taille, or les expériences « biologiques » menées à lors sont contraintes par des lanceurs de faible capacités et des équipements de grande taille. Le bien-être animal est très loin des priorités du moment, centré sur la course à l'espace et l'achèvement technologique.

D'autre part, les petits primates sont dès la fin des années 40 les sujets d'étude de nombreuses expériences en haute atmosphère, voire à des altitudes suborbitales, au-delà des 100 km. Le 16 septembre 1949, le macaque Albert II devient ainsi le premier mammifère au-delà de la Ligne de Karman, au sein d'un missile V2 modifié. Il décèdera suite à un mauvais déploiement du parachute… comme bon nombre de ses congénères.

Un missile V2 modifié décolle avec un macaque rhésus à son bord. Crédits NASA
Un missile V2 modifié décolle avec un macaque rhésus à son bord. Crédits NASA

Un choix difficile

Les macaques rhésus et les macaques crabiers sont des espèces communément employées aux Etats-Unis pour les expériences scientifiques d'alors. Il était considéré qu'ils seraient « bien adaptés » à la captivité, tandis que leur anatomie et leur physiologie en font des cousins proches de l'humain. Le sort de ces précurseurs, que l'on peut même appeler des pionniers involontaires de l'exploration spatiale, est cependant souvent funeste.

Les systèmes de pressurisation ne sont pas bien au point, les capsules souffrent de problèmes de chauffage (ou à l'inverse, de refroidissement, avec des parois de métal dans le désert…), les parachutes automatisés ne se déclenchent pas au bon moment. Il faudra attendre septembre 1951 pour qu'un premier primate (Albert VI) survive à un vol à très haute altitude, avant de mourir… deux heures plus tard.

La course à l'espace, version animale

Néanmoins, après ces débuts catastrophiques, les expériences impliquant des primates s'améliorent et s'espacent. D'une part, parce que les vols habités des humains atteignent déjà des sommets (le X-15 et ses vols hypersoniques est en développement), et d'autre part parce que les lanceurs se préparent pour la prochaine révolution, celle des satellites. L'intérêt revient évidemment après le vol de la chienne Laïka, qui devient le premier animal en orbite autour de la Terre. Dès 1958 et sa naissance, la NASA se lance dans la préparation des vols habités avec le programme Mercury. Et les premières avancées du programme ramènent immédiatement les primates sur le devant de la scène. En particulier pour surveiller leurs signaux vitaux, mais aussi pour étudier leurs niveaux de stress et leurs performances neuromotrices avant, pendant et après les vols.

La chienne Laïka, premier être vivant envoyé en orbite terrestre. Crédits URSS
La chienne Laïka, premier être vivant envoyé en orbite terrestre. Crédits URSS

Des petits et des grands

En 1958 et 1959, la NASA teste déjà des vols suborbitaux avec de tout petits primates, sur la version « missile » du lanceur Jupiter II. D'abord Gordo en décembre 1958, qui ne survit pas. Puis Able et Baker en mai 1959. Miss Baker est une saïmiri de seulement 310 grammes, engoncée dans un tube qui dépasse à peine sa taille… Et vole « au-dessus » d'Able, un macaque de 3,2 kg. Ils survivent à leur vol, sont récupérés dans l'océan Atlantique, et la machine de communication tourne à plein régime, tandis que l'exploit est mineur. Able, qui décède lors de l'anesthésie pour lui retirer ses électrodes, sera même naturalisé et est exposé aujourd'hui au National Air & Space Museum (Washington), souvent considéré à tort comme le premier des « spacechimps » alors qu'il n'est ni le premier ni un chimpanzé.

Le petit rhésus Able, au sein de son "sac de couchage" intégré sur un lanceur Jupiter II. Crédits NASA
Le petit rhésus Able, au sein de son "sac de couchage" intégré sur un lanceur Jupiter II. Crédits NASA

Mercury animalerie

A partir de 1959, le programme Mercury se scinde en deux pour ce qui est des primates. Les macaques rhésus seront toujours employés pour certains tests, mais uniquement pour le système d'évacuation d'urgence de la capsule, pour lequel l'ensemble du vol est automatisé. Les singes Sam (1959) et Miss Sam (1960) voleront tous les deux sur des missiles modifiés « Little Joe », peu représentatifs des vols Mercury, mais qui testeront des aspects spécifiques.

A l'inverse, la NASA va exploiter des « grands primates » pour les premiers essais en conditions réelles de sa capsule Mercury. Elle en acquiert 40, qui sont transférés sur la base de l'US Air Force de Holloman au Nouveau Mexique, et sont entrainés sur place. L'agence américaine considère en effet (sur les recommandations de scientifiques) qu'ils sont les plus proches physiquement et émotivement de l'humain.

Une véritable sélection s'opère, pour savoir lesquels sont les plus doués et obéissants pour activer des leviers et pousser différents boutons en fonction des couleurs qui s'affichent sur un tableau de bord. De cette façon, les scientifiques et ingénieurs vérifient que l'occupant de la capsule garde toutes ses capacités…

La petite capsule protégeant le chimpanzé Ham pour son vol. Crédits NASA
La petite capsule protégeant le chimpanzé Ham pour son vol. Crédits NASA

Ham, star de l'exploration spatiale

Le plus connu des « chimpanzés de l'espace » est sans doute Ham (qui ne s'appelait pas Ham - un acronyme- avant le vol, mais « n°65 »), qui décolle pour un vol suborbital le 31 janvier 1961. Il passera 8 minutes en impesanteur et le vaisseau Mercury subit une décompression partielle, mais Ham, qui est dans une « capsule dans la capsule », survit sans problème et actionne correctement toutes les commandes comme lors de son entrainement. Pour la NASA, c'est un succès déterminant, et la presse en fait ses choux gras…

Jusqu'à ce que trois mois et demi plus tard, Youri Gagarine vole une fois de plus la vedette aux Américains, chimpanzés ou non. A la fin du printemps, Alan Shepard devient le premier humain américain à atteindre l'espace à son tour, même si l'agence américaine est encore loin du vol orbital, que les soviétiques maîtrisent déjà. Il faut pour cela attendre la fin du développement de la version habitable de la fusée Atlas…

Célèbre photo du chimpanzé Ham, pionnier des vols suborbitaux américains. Crédits NASA
Célèbre photo du chimpanzé Ham, pionnier des vols suborbitaux américains. Crédits NASA

Enos, le premier et dernier chimpanzé en orbite

Cette fois encore, les primates sont sollicités… Malgré les demandes des astronautes, qui estiment que le programme a déjà perdu beaucoup de temps, et que les soviétiques les ridiculisent. Les tirs, menés à la fin de l'automne, leur donneront à la fois raison et tort. Le chimpanzé Enos devient le 29 novembre, le premier grand primate à atteindre l'orbite terrestre depuis les Etats-Unis, et le troisième autour du monde si l'on considère les hominidés, Gagarine et Titov ayant déjà marqué l'aventure spatiale la même année.

Enos a été entraîné plus de 1 200 heures, et a complété 2 orbites autour de la Terre avant d'amerrir au large de la Floride ! Le programme est une fois de plus mis en avant comme un gigantesque succès… Même si de plus petits primates de la même période n'ont pas eu sa chance : le petit saïmiri Goliath décède avec l'échec de son lanceur Atlas et le macaque rhésus Scatback sombre en mer après son vol au-dessus des 100 km.

Le chimpanzé Enos décolle dans la capsule Mercury, sur un lanceur Atlas orbital. crédits NASA
Le chimpanzé Enos décolle dans la capsule Mercury, sur un lanceur Atlas orbital. crédits NASA

Fin du programme

La NASA n'emploiera plus directement de chimpanzés, ou de petits primates, comme passagers principaux de ses véhicules après 1961. Pour une raison assez simple : les humains peuvent et veulent voler dans l'espace, et ils sont finalement les mieux placés pour développer des vols habités. Les singes ont permis (malgré eux) de montrer qu'il était possible de survivre dans cet environnement, que le stress du vol spatial était surmontable, tout comme la désorientation ou l'impesanteur. Ils y ont payé un lourd tribut, tandis que les systèmes et capteurs développés avec eux ont permis les progrès rapides de ces débuts de la « course à l'espace ».

Enfin, il ne faut pas oublier que si aujourd'hui, cette décision soulèverait sans doute plus de boucliers que dans les années 50 et 60, elle est à remettre dans son contexte. Les équipes au sol de la NASA et de l'US Air Force prenaient grand soin de leurs pensionnaires, considérant l'importance de leurs taches futures. La dernière pensionnaire d’Holloman, la seule femelle chimpanzé du programme entrainée pour être la « doublure » de Ham, Minnie, est décédée de son grand âge en 1998 (Ham est mort en 1983). Ce n'était pas forcément le cas dans toutes les branches de la recherche…

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (1)

Buttman
Bon article.<br /> On a souvent tendance à oublier comment sont nées certaines révolutions, un petit rappel ne fait jamais de mal
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