Red Dead Redemption 2 : les employés bossent 100h par semaines pour finir le jeu

Pierre Crochart
Spécialiste smartphone & gaming
14 octobre 2020 à 15h25
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Red Dead Redemption 2

Un article-fleuve paru aujourd'hui sur le site américain Vulture révèle deux informations majeures sur Red Dead Redemption 2. La première est que la campagne solo du jeu durerait environ 60 heures. La seconde est que pour parvenir à ce résultat, les équipes de développement ont dû enchaîner des semaines de 100 heures de travail acharné. Érigé par Rockstar comme argument marketing, ces semaines de "crunch" intensives sont vertement dénoncées par de nombreux développeurs sur Twitter.

D'un point de vue extérieur, il n'est peut-être pas évident de comprendre le problème. Après tout, qui n'a pas passé des nuits blanches à peaufiner un dossier important ? Il faut pourtant prendre conscience que dans le milieu du développement de jeu vidéo, la pratique du crunch est autrement plus intense, et infiniment plus étirée dans le temps.

Dans le très long article publié aujourd'hui sur Vulture, on apprend notamment que les équipes de Dan Houser (directeur créatif de Rockstar Games) ont enchaîné les semaines de 100 heures "à plusieurs reprises en 2018". Un mal nécessaire, sans doute, pour garantir aux futurs acheteurs de Red Dead Redemption 2 la qualité à laquelle ils ont droit après un développement long de 7 ans. Mais pour de nombreux développeurs, minimiser l'impact psychologique de telles pratiques est au mieux inconséquent, au pire dangereux.

"J'ai survécu au crunch de GTA V, c'était l'enfer"

En réponse d'un article de GamesIndustry.biz soulignant lui aussi le problème, on a pu lire de nombreux témoignages de développeurs de tous bords qui racontent leur point de vue sur ces fameuses semaines de crunch.

Dylan Wildman, testeur au service qualité de Rockstar entre 2012 et 2014, se définit par exemple comme un "survivant du crunch de GTA V". "C'était l'enfer", ajoute-t-il à son tweet.

Rockstar Red Dead 2 développement

En France, c'est le fondateur et directeur créatif du studio Mi-Clos (à qui l'ont doit l'excellent Out There) qui prend la parole et raconte son expérience. "C'est ce que j'ai fait pendant plus d'un an pour sortir Out There", déclare-t-il en réaction aux semaines de 100 heures encaissées par les développeurs de Rockstar, et d'ajouter :"Donc oui, j'ai sorti un bon jeu, mais je me remets encore d'une dépression intervenue suite à la sortie du jeu, 4 ans après. Ça ne vaut pas le coup".

Voyant la polémique enfler sur les réseaux sociaux, Rockstar et Dan Houser ont fait parvenir une déclaration à Kotaku. Un numéro d'équilibriste, dans lequel le patron du studio tente d'éteindre les flammes en admettant s'être mal exprimé. "Après 7 années de développement, l'équipe scénaristique senior, constituée de 4 personnes dont je fais partie (...), nous sommes lancés dans trois semaines de travail intensif. Trois semaines, pas des années", précise la missive envoyée à Kotaku. "Nous n'attendons évidemment de personne d'autre de travailler de cette manière".

Omerta

Mais les problèmes posés par les cadences imposées aux développeurs de jeux vidéo ne datent pas d'hier. Rockstar est par ailleurs coutumier du fait. Comme le rappelle l'article de GamesIndustry.biz, en 2010, déjà, Gamasutra publiait une lettre ouverte signée des "Rockstar Spouse" - les épouses des développeurs travaillant sur Red Dead Redemption premier du nom.

Le texte, signé d'une coalition d'épouses de développeurs de Rockstar San Diego, ne dit pas autre chose que l'inquiétude de la famille des personnes travaillant sur le projet. On y apprend que les équipes sont mises sur le pied de guerre 12 heures par jour même le samedi, et que tout contrevenant s'exposait à des sanctions disciplinaires. Selon les auteures de la lettre, la situation a commencé à se dégrader en mars 2009. La lettre a été publiée le 1er juillet 2010, quelques temps après la sortie du jeu le 18 mai de la même année. À en croire les épouses du texte, ils sont nombreux à être ressortis de l'épreuve dépressifs. "Au moins l'un d'entre eux a des pensées suicidaires", lit-on encore.

Dans l'Hexagone, la vie des petites mains qui nous permettent de nous évader dans des univers virtuels n'est pas plus rose. En janvier 2018, une enquête conjointe du Monde, de Canard PC et de Mediapart mettait en lumière les pratiques managériales toxiques au sein de Quantic Dream (Heavy Rain, Detroit : Become Human), l'un des plus gros développeurs français. Ici encore, ce sont des semaines de travail intensives et des attitudes déplacées de la part de la direction qui est épinglée par les journalistes.

Detroit
Quantic Dream, développeur de Detroit : Become Human, épinglé pour ses pratiques managériales

De tous les jeux à succès jamais conçus par Rockstar Games, Red Dead Redemption 2 "a été le plus dur" à mener à bien, avait déclaré Sam Houser, le frère de Dan, à Vulture plus tôt dans l'année. Un effort coordonné de la part de milliers de développeurs pendant 7 ans, qui a permis au studio d'accoucher d'un jeu massif. Plus de 60 heures de jeu, 300 000 animations, 500 000 lignes de dialogues enregistrées par quelques 700 acteurs. "Même les passants disposent d'un script de 80 pages chacun", confie l'un des scénaristes au journaliste de Vulture.

Un souci du détail poussé à son degré le plus absurde... qui permettra, peut-être, aux milliers de personnes ayant travaillé sur le projet de s'évader le temps de quelques cavalcades au Far West.

Retrouvez notre test complet de Red Dead Redemption 2.

Pierre Crochart

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Monsieur GSM et jeux vidéo du Clubic. J’aime autant croquer dans la pomme que trifouiller dans les circuits de l’Android. Grassement payé par les marques pour dire du bien de leurs produits.

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Commentaires (18)

Fanfoi125
“Autrement intense” (“Autrement plus” est un pléonasme).<br /> Sinon pour avoir fait des grosses séances de développement (web, pas jeu vidéo), c’est viable sur quelques semaines grand maximum. La fatigue qui en résulte ne permettra pas une productivité nécessaire.
Judah
On sait maintenant d’où proviennent les bugs…
burnit
Ils ne font rien d’exceptionnelle si ce n’est préparé à l’amour intense du jeux des jeunes d’aujourd’hui, qui passerons toute leur vie devant leur ordinateur au lieu de se préoccuper de leur proches et de leur avenir !
Blueso6
Dire qu’il y a quantité de gamers qui souhaitent travailler dans le monde du jeu vidéo parce qu’ils adorent jouer. Que la plupart en prennent conscience: quand vous bosser dans ce domaine, vous avez 95% de chances de ne plus avoir le temps de jouer ou il faut renoncer à sa vie sociale/familiale. Ou alors faut être testeur mais on teste majoritairement sur des jeux non aboutis et les places sont rares et souvent mal payées car on ne va pas non plus trop vous payer pour “jouer”.<br /> Pour avoir fait du testing je n’avais pas demandé grand chose en échange…juste avoir mon nom au générique en tant que testeur…et je n’ai même pas eu ce privilège. Pourtant j’avais trouvé un bug majeur et donné quelques idées qui ont été reprises. Bref, le monde du jeu vidéo est à l’image du divertissement: souvent les conditions sont plus difficiles car on a le privilège de travailler dans un univers qui nous plait, qui est “magique” (cf. Disneyland entre autres). Bientôt il faudrait payer pour venir bosser.
Popoulo
“ce sont des semaines de travail intensives et des attitudes déplacées de la part de la direction qui est épinglée par les journalistes.” C’est clair que ce ne sont pas ces journalistes qui ont dû s’investir quelques fois dans leur boulot, taper des heures pour mener à terme un projet. Quels branlos ces guignols.
Doss
C’est claire, un dev qui fait 72h ne doit plus avoir les idées très claires.
obyoneone
eh bé fada ! et c’est même pas sur pc…
yoda_net
définition Larousse : autrement = d’une autre façon [pas forcément “plus”]<br /> autrement plus = À un plus haut degré (ex: La crise est autrement plus sérieuse qu’on ne l’avait prévu)<br /> (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/autrement/6890)
Nmut
100h par semaine, c’est presque le tarif standard pendant un bouclage en informatique… :-/<br /> En tant que “pompier informatique” (j’ai une bonne expérience de gestion de projets qui se cassent la gueule…), je peux vous dire qu’il faut se battre pour que les gens se reposent, entre les pressions infernales du management ("ces feignasses de dev sont toujours en retard, il font pourtant un boulot tellement facile que peut faire mon gamin de 10 ans" entendu dans une réunion de crise avec grand ponte d'une grosse boite) et les mauvaises habitudes des informaticiens ("si je suis en retard c’est que je ne suis pas assez bon ni assez impliqué" entendu souvent dans les entretiens individuels pour gérer les problèmes).<br /> Tout ça aurait d'ailleurs encore plus tendance à amplifier les problèmes.
Johnny6
Quoiqu’on puisse en dire, perso, je trouve ça complètement con.<br /> Je ne vois que du négatif là dedans que ce soit pour les développeurs ou même pour le jeu. Autant qu’il ait du retard, car de toute façon ça fera comme avec GTA qui se vend encore aujourd’hui en très grand nombre.<br /> On a vu ce que v1809 a donné en voulant absolument sortir dans les temps. <br /> Edit :<br /> J’oubliais ces titres de merde pour dire n’importe quoi et faire du putaclic…<br /> Ces 100h ne concernent qu’une seule équipe de 4 personnes et sur une durée de 3 semaines et il s’agit d’un accord et non d’une obligation.<br /> Il serait grand temps de virer les pseudos journalistes de merde qui déforment leurs articles afin de rameuter de la vue et du débat bidon dans les commentaires !
KlingonBrain
Le problème du travail en sur-régime, c’est que ça se paye toujours. Simple question de temps. Il arrive inéluctablement un jour ou vous serez “rincé”. Et ce jour la, on vous jettera simplement comme une vielle chaussette.<br /> Le scandale, c’est que les “burn out”, ce n’est pas les patrons qui payent mais la collectivité (sécu, chomage, RSA, etc…)<br /> Il est urgent d’interdire ce genre de pratique destructrice. D’autant que de nos jours, ce ne sont pas les chômeurs qui manquent…
Fanfoi125
Merci pour le lien. Je me base quant à moi là-dessus https://www.projet-voltaire.fr/regles-orthographe/autrement-ou-autrement-plus/
tampigns
offre vs demande.<br /> Si des gens sont prêts à travailler pour rien et disent merci, je vois pas pourquoi il faudrait payer…
tampigns
“Une faute de grammaire, sans doute pas. Mais, à la faute de goût, il faudra plus que Larousse et Robert pour me faire renoncer.”<br /> alafortunedumot.blogs.lavoixdunord.fr<br /> Autrement plus, autrement lourd !<br /> Je confesse un faible – au reste, s'il n'y avait que celui-là ! – pour l'adverbe « autrement », dès lors qu'il se substitue à « plus » : à tort ou...<br /> Donc, ce n’est pas beau, c’est lourd mais c’est français.<br /> L’académie ne supporte pas officiellement ce pléonasme. En étant tatillon (en n’acceptant que l’académie comme autorité de l’évolution de la langue), on peut continuer de défendre que ce n’est pas français.
eric35420
Le problème je pense c’est que les salariés dans ce genre de milieu sont des passionnés invétérés, il y a qu’a voir les présentations en live de certaines petites boites pour leur prochain jeu ils sont tout fou de présenter leur jeu mais en même temps tellement stressé par la peur de l’échec face aux avis du public. Pour faire personnellement de l’informatique dans ma boite on voit souvent des gens avec des cursus BTS and co mais on sent souvent une lassitude et un abandon de leur passion qui les animait au départ de cette profession. J’ai l’impression que les entreprises utilisent leur “faiblesse” pour leur faire faire n’importe quoi au dépend de leur santé…
Marvaxx
… Et tout ça pour un ramassis de consoleux ^_______^
pekinight
Il pourrait simplement engager plus de monde mais ça coûterait plus alors ils préfèrent exploiter ceux qu’ils ont sous la main. C’est le principe du capitalisme, exploiter son prochain pour en tirer profit. Avant y’avait les fouets et la violence physique, maintenant il y a la connaissance, la propagande et la corruption. La violence a juste changé de forme.
pekinight
Le jour où ils auront compris qu’il faut se faire respecter ils le feront peut être. En attendant qu’ils ne viennent pas se plaindre. Pareil pour tout ceux qui jouent les victimes au lieu d’agir. Plus on en a plus on en veut, c’est la nature humaine.
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