Life is Strange, The Walking Dead... quand le jeu vidéo s'inspire des séries télévisées

18 février 2015 à 15h11
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Après avoir longtemps lorgné du côté du cinéma, le jeu vidéo s'inspire de plus en plus des mécanismes des séries télévisées. Format épisodique, narration impliquant le joueur, suspense calibré... Une nouvelle manière de rendre accro qui a déjà fait ses preuves.

Dans Life is Strange, nouveau jeu du studio français Dontnod, le joueur prend le contrôle d'une adolescente qui se découvre le pouvoir de remonter dans le temps. L'intrigue se met en place petit à petit, les rencontres s'accumulent, et différentes pistes narratives prennent forme. Deux heures après le début de la partie, l'aventure touche à sa fin : la suite au prochain épisode, six semaines plus tard.

Comme de nombreux autres jeux aujourd'hui, Life is Strange bénéficie d'un découpage épisodique : cinq épisodes sont prévus pour conclure l'histoire, et le rythme de sortie de ces pans de l'intrigue est fixé à un mois et demi, l'épisode 2 étant prévu pour mi-mars. Le prix : une vingtaine d'euros pour la totalité de la saison, ou 5 euros par épisode, au cas où le joueur aurait des doutes sur sa volonté d'aller jusqu'au bout.

Le procédé employé par Dontnod pour son nouveau jeu n'est pas nouveau. Il est employé depuis plusieurs années par certains studios, dont le plus célèbre est probablement l'américain Telltale Games. Celui-ci, après s'être fait la main sur des licences comme Retour vers le Futur ou Sam et Max, a connu un succès fulgurant en adaptant le comics The Walking Dead en jeu vidéo épisodique. Jackpot : en 2013, le titre se retrouve inondé de prix et fort du succès rencontré, une seconde saison est mise en chantier. Depuis, Telltale ne s'est jamais séparé de ce format, et travaille désormais sur des licences juteuses, notamment Game of Thrones.


La série dont vous êtes le héros

Si l'adaptation en jeu de The Walking Dead a rencontré un franc succès, ce n'est sans doute pas uniquement grâce au talent de Telltale : le timing a également profité au studio. En effet, si l'esthétique du jeu est proche du comics, et que certains personnages soulignent une proximité entre le jeu et la BD, l'énorme popularité de la série live produite par la chaîne américaine AMC a sûrement eu un rôle majeur dans le destin du jeu vidéo. Pourtant, les deux œuvres n'ont finalement que peu de choses en commun, si ce n'est leur thème et leur titre. Mais l'invitation à vivre une aventure interactive et de faire des choix à la place des personnages - en parallèle d'un programme télé dans lequel le spectateur subit parfois le comportement des personnages - a quelque chose de furieusement séduisant.

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The Walking Dead de Telltale : même ambiance que la série, mais personnages différents.

Car c'est un autre point fort ce de type de jeu : la multitude de possibilités qui s'offrent au joueur au cours de la partie, lui permettant, au fil des épisodes, de se constituer sa propre histoire. Certains choix peuvent être anodins, tandis que d'autres peuvent avoir de lourdes répercutions sur l'intrigue.

Là encore, le procédé n'est pas nouveau, et d'autres studios ont ouvert la voie à Telltale et DontNod. Le Français Quantic Dream, à qui l'on doit Heavy Rain ou Beyond : Two Souls, s'en est fait une spécialité il y a une dizaine d'années. Fahrenheit, son premier jeu du genre initialement sorti en 2005 a été l'un des premiers à créer une histoire proposant différentes fins et embranchements en fonction des choix du joueur. Une bonne manière de prolonger la durée de vie du titre.

Par la suite, d'autres s'y sont essayés dans des genres différents. Notamment Bioware, avec les franchises Dragon Age et Mass Effect, qui multiplient les choix parfois épineux. Le joueur est ainsi invité à créer sa propre aventure, avec plus ou moins de bonheur : la fin de Mass Effect 3, par exemple, a entraîné une véritable polémique, car accusée par une partie des joueurs de laisser de côté de nombreux choix importants réalisés au cours de la trilogie.

Vite joué, vite rejoué

C'est peut-être là que le bât blesse lorsqu'on propose au joueur de s'investir énormément durant plusieurs dizaines d'heures : le résultat final peut s'avérer décevant. Dans une telle situation, la perspective de recommencer depuis le début pour essayer un chemin alternatif peut être décourageant. On en arrive à l'un des avantages des titres proposés en épisodes : ils sont souvent relativement courts.

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Le premier épisode de Life is Strange se boucle en 2 heures, mais peut être rejoué de différentes manières.

En moyenne, un épisode de The Walking Dead se boucle en deux heures lors d'une première partie. C'est aussi le cas du premier épisode de Life is Strange. Leur durée de vie réduite permet d'aller au bout d'un épisode en une seule session de jeu - pratique pour les joueurs qui ont peu de temps à accorder à ce loisir - et encourage à refaire le jeu pour explorer différents chemins. En cumulant deux ou trois sauvegardes, on peut ainsi créer plusieurs parties totalement différentes, tout en multipliant les embranchements narratifs au fil des épisodes.

Cette dimension « vite joué, vite rejoué » ne laisse personne sur le carreau : les joueurs qui désirent simplement explorer une histoire sans changer leurs choix obtiendront une durée de vie d'une dizaine d'heures, conforme aux standards des jeux linéaires actuels. A l'inverse, les plus acharnés, qui ne veulent rien laisser passer pourront facilement passer 30 heures sur le même titre pour débloquer chaque scène, chaque dialogue.

Des avantages artistiques...

Si le joueur peut tirer de multiples avantages de l'expérience, c'est également le cas des développeurs et producteurs de ce type de jeux. Luc Baghadoust, producteur de Life is Strange chez Dontnod, réalise une comparaison intéressante : « On peut associer un jeu complet, d'une durée de vie d'une dizaine d'heures, à un blockbuster hollywoodien. Du coup, un jeu comme Life is Strange ressemble effectivement à une série télévisée » nous explique-t-il. Et cela a énormément d'avantages : « Dans un film, vous devez développer l'histoire et les personnages en deux heures, alors que dans une série, le développement s'effectue sur une durée bien plus longue. Le spectateur s'attache plus, peut s'identifier. Les séries prennent le temps de construire leurs histoires et leurs personnages. »

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Beyond Two Souls de Quantic Dream met en scène un personnage joué par la célèbre actrice Ellen Page.

Le studio français ne cache pas ses influences et sources d'inspiration : Luc Baghadoust cite des séries comme Twin Peaks, Top of the Lake, Broadchurch, The Killing... des programmes policiers, surtout venus des pays anglophones, où les séries sont une institution depuis longtemps. « Un épisode de Life is Strange dure environ 2h et alterne entre différents rythmes, des moments de tension, d'autres de calme... Ce genre de découpage, possible dans un jeu en épisodes, est nettement plus compliqué dans un jeu au long cours, où l'écriture est totalement différente. »

... et économiques

L'intérêt narratif s'accompagne d'avantages économiques intéressants, à condition d'y lier une stratégie marketing intelligente. Luc Baghadoust admet que le succès de studios comme Telltale donne de la suite dans les idées à de nombreux concurrents. « Beaucoup tâtonnent en ce moment, il faut trouver la bonne recette. »

Contrairement à Telltale, dont le succès est en partie dû à des franchises fortes et connues, Dontnod est parti de zéro en créant son propre univers. Le studio français a su séduire Square Enix, qui produit et édite le jeu. Rien n'est laissé au hasard : « Le planning et le budget ont été définis dès le départ par Square Enix. » Contrairement à la plupart des séries, où la production peut être annulée si le programme ne fait pas assez d'audience, le jeu, lui, sera développé jusqu'à la fin de sa « saison ». « La suite du jeu n'est pas tributaire du succès du premier épisode » assure Luc Baghadoust. « Par ailleurs, ce n'est pas simple de changer des choses en cours de route. Même si les ventes devaient être énormes, les plans d'origine changeraient très peu. »

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L'un des autres atouts d'une sortie épisodique, c'est la durée de vie étendue du jeu sur le marché. « On a fait la promotion du premier épisode lors de sa sortie. Lorsque que viendra le tour du second épisode, on remarkettera totalement le jeu » explique le producteur. Avec une sortie échelonnée sur environ sept mois et demi à raison d'un épisode toutes les six semaines, Life is Strange aura encore une actualité durant l'été, alors que la plupart des titres « uniques » sortis en début d'année seront déjà presque tous oubliés. Une stratégie loin d'être anodine, à l'heure où les jeux se bousculent en magasin et sur les plateformes comme Steam.

L'importance d'être constant

Aux avantages d'un tel format s'opposent certaines contraintes. La principale d'entre elles se rapproche encore de la série télé : donner envie au joueur de revenir pour l'épisode suivant.

Par rapport à la série télévisée, l'attente est très fortement accentuée. Les séries fonctionnent sur un schéma similaire, mais le rythme de diffusion est d'un épisode par semaine, avec une coupure de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, à mi-saison. Généralement, l'épisode qui précède la coupure s'achève sur un cliffhanger majeur, c'est-à-dire une tension narrative forte, qui va donner envie au public d'attendre la suite avec une certaine impatience.

Le jeu vidéo opère différemment, avec un rythme de publication rallongé de plusieurs semaines à chaque fois. Il faut donc accrocher le joueur pour qu'il ait envie d'investir dans l'épisode suivant, même si cela fait un mois et demi qu'il a joué au précédent.


Si Telltale Games n'hésite pas à conclure certains épisodes de The Walking Dead sur des scènes choc - ce que fait aussi la série d'AMC -, Dontnod n'affiche pas une volonté folle de mettre en scène des cliffhangers violents. La fin du premier épisode de Life is Strange mise davantage sur le mystère, pour favoriser les spéculations : on est plus dans l'enquête que dans l'action. Le studio invite les joueurs à discuter de leurs choix et du jeu sur les réseaux sociaux.

Pour Luc Baghadoust, jouer à un jeu en épisodes est un rituel très proche du visionnage d'une série, aussi bien dans l'expérience personnelle, que dans celle qui englobe la communauté de fans. « J'adore le fait de savoir que la semaine prochaine j'aurai la suite, cette attente en même temps que des milliers de spectateurs, c'est un moment unique. Le fait de vivre une histoire et de la découvrir en même temps que tout le monde, c'est vraiment quelque chose de très fort. » On comprend bien que le producteur n'est pas particulièrement adepte du binge watching, qui consiste à visionner d'une traite une saison entière de série.

Mais pour accrocher le joueur, il faut aussi que ce dernier ait confiance. Pour ça, le studio français compte miser sur un planning constant : un épisode toutes les six semaines. Un rythme imposé pour éviter de perdre l'intérêt du joueur : avec The Wolf Among Us, jeu tiré du comics Fables, Telltale était monté jusqu'à un délai de cinq mois entre deux épisodes. « Ça devient frustrant pour le joueur. »

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Le développement problématique de The Wolf Among Us a entraîné des retards dans la publication des épisodes.

Après le binge watching, le binge playing ?

Et pour les jeux vidéo épisodiques joués d'une seule traite, peut-on parler de binge playing ? « Il est évident que l'expérience n'est pas la même si on enchaîne les cinq épisodes d'un jeu » estime Luc Baghadoust. « C'est l'aspect narratif qui fait tout l'intérêt de ce type de jeux. »

Mais il faut s'adapter au public : Telltale Games a sorti les saisons de The Walking Dead en version boîte sur consoles, en partie pour toucher un nouveau public, qui n'achète pas en dématérialisé. C'est une démarche assez similaire à la sortie d'une intégrale de saison de série en DVD, même si la passivité du spectateur s'oppose à l'investissement permanent du joueur.

La sérialité au sein du jeu vidéo constitue une remise en question de certains acteurs du secteur, qui misent de plus en plus sur une narrativité originale pour captiver les joueurs et conquérir un nouveau public. Une remise en question qui concerne également le joueur, et sa manière d'aborder les titres construits sur une base épisodique. Tout comme la disponibilité immédiate de séries complètes sur des plateformes comme Netflix modifie la manière d'aborder ce type d'œuvre, il appartient à chacun de trouver la façon qui lui correspond le mieux de jouer à des titres comme The Walking Dead ou Life is Strange. Une démarche qui fait, le cas échéant, presque partie intégrante du jeu.

Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques...

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Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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