Live Japon : Pas de "sumaho", pas de boulot ?

12 février 2012 à 12h41
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Au Japon, tous les étudiants de toutes les universités mènent tous campagne en même temps auprès des mêmes entreprises pour trouver du boulot. Dans cette course de vitesse pour prendre les meilleures postes dans les boîtes les plus courues et les plus en vue, un outil est devenu indispensable: le "sumaho" (smartphone) pour lequel ont été conçus une foultitude d'applications et de services en ligne permettant de postuler rapidement là où les places sont comptées.

Parmi les nombreuses applications proposées pour iPhone, il en est une qui a beaucoup "amusé" le mangaka japonais Jean-Paul NISHI : sur la base de 18 questions n'ayant pour la plupart à première vue aucun rapport avec le travail, le programme déduit le profil de l'utilisateur et les professions qui lui correspondent... Attention, ce peut être traumatisant !

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2012 vient à peine de commencer, mais pour les lycéens et étudiants japonais, c'est bientôt la fin de l'année scolaire et universitaire, puisqu'elle s'achèvera en mars. Pour ceux qui terminent leur cursus, cela signifie le début d'une nouvelle vie, dite "active", c'est-à-dire l'entrée dans une entreprise. Pour la plupart, la recherche d'emploi rime avec parcours du combattant, mais en réalité les Japonais n'ont peut-être pas tant que cela à se plaindre, car beaucoup de futurs diplômés savent déjà où ils vont débuter leur carrière. La "campagne de recherche d'emploi" ("shushoku katsudo") ne débute en effet pas à la sortie de l'université mais plus d'un an auparavant, en assistant à un nombre incalculable de séances d'explications de la part des sociétés qui recrutent des jeunes par centaines ou milliers tous les ans, le 1er avril précisément, une tradition bien ancrée. Depuis le 1er décembre, sont activement en campagne les étudiants qui achèveront leur cursus en mars 2013, dans plus d'un an. Quelque 450.000 places sont à prendre émanant des entreprises du secteur privé, lesquelles publient chaque année le quota d'embauches de jeunes diplômés. Le jour venu, ils sont tous accueillis en même temps par le patron qui prononce un discours censé motiver les troupes.

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Désormais, le meilleur moyen pour en arriver là est électronique: il existe en effet de très nombreuses applications pour smartphone afin d'aider les étudiants. Yahoo ! Japon propose par exemple un outil intégré qui permet de gérer tous ses rendez-vous (séances d'explications, entretien individuel, demande de stage, visite, etc). Cette application donne aussi la possibilité d'enregistrer les informations relatives aux entreprises et de les annoter, en donnant accès à une base de données qui comporte tous les éléments essentiels: secteur d'activité, adresse, date de création, nombre de salariés, moyenne d'âge, etc. De nombreuses applications sont par ailleurs destinées à entraîner les étudiants à se préparer aux examens de sélection des entreprises, lesquels sont souvent des questionnaires exigeant une capacité à parler de soi-même, à afficher ses prétentions, à expliquer pourquoi telle ou telle boîte intéresse, etc. Des applis sont ainsi de véritables annales des questionnaires des firmes recruteuses, permettant de se faire une idée précise avant de se présenter au concours.

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L'opérateur de télécommunications japonais Softbank posait ainsi ce type de questions:
  • Grâce à vos activités de recherches, que pensez-vous pouvoir apporter à Softbank ?
  • Que voudriez-vous faire chez Softbank pour que la "révolution de l'information et des télécommunications" permettent de rendre les gens plus heureux ?

Microsoft Japon, lui, demandait aux candidats:
  • A quelle matière consacrez-vous le plus d'efforts?
  • Où réside selon vous l'attractivité d'une entreprise comme Microsoft?
  • Faites la promotion de vous-même.
  • Si en tant qu'étudiant vous utilisiez les services d'informatique en nuage (cloud computing) de Microsoft, qu'est-ce que cela changerait dans votre quotidien ?

Une autre application "Soutien à la campagne de recherche d'emploi 2013 par Takami Bridal", également destinée à ceux qui recherchent dès à présent, et ce depuis plusieurs semaines, un emploi pour la fin de leurs études en 2013, est basée sur une approche très intéressante. Partant des objets du quotidien (téléphone portable, sac à main, voiture, journal), elle décrit toute la chaîne de fabrication et les entreprises qui y prennent part, permettant de découvrir des métiers que parfois l'on ignore.

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"Shukatsu meru" donne pour sa part des exemples de courriels pour demander aux entreprises des documents d'information sur leur campagne de recrutement, pour s'incrire aux séances d'explication (où les places sont généralement limitées), pour demander à visiter l'entreprise, pour rencontrer des anciens salariés, etc.
Il existe aussi des modèles de messages d'excuses (outil sans doute le plus indispensable au Japon), des lettres de remerciements, etc..

Outre les applications, les réseaux communautaires sont aussi un moyen de prospecter de façon jugée plus efficace. Les entreprises ouvrent par exemple des pages d'information sur Mixi ou Facebook et emploient Twitter pour délivrer aux prétendants les dernières nouvelles sur leurs sessions de recrutement.

Des plates-formes de socialisation pour téléphones portables dédiées aux futurs frais émoulus en quête de poste existent également, tel Rikutomo. S'y inscrivent d'un côté les étudiants, de l'autre les entreprises, les premiers pouvant ainsi aisément entrer en contact avec les secondes, comme Dentsu (publicité), Shiseido (cosmétiques), Mitsui Bussan (immobilier), etc.

Les étudiants créent aussi entre eux des communautés d'entraide, partageant ainsi leur expérience, lieux qui permettent aussi d'entrer en contact avec des vétérans d'entreprises et de prendre conseil auprès d'eux.

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Les opérateurs de télécommunications sont ravis de l'existence de ces outils en ligne (qu'ils fournissent aussi en partie) puisque cela leur donne un argument massue pour promouvoir les bienfaits des "smartphones" et recruter des abonnés qui, puisqu'ils sont jeunes, sont en général de gros consommateurs de services en tout genre. Pour mieux les attraper, ils n'hésitent pas, comme KDDI, à participer aux salons spéciaux pour permettre aux étudiants de rencontrer en un même lieu et en quelques jours plusieurs sociétés en quête de nouvelles recrues.

Ces moyens techniques nouveaux commencent à creuser l'écart entre les étudiants, ceux possédant un smartphone étant à même de réagir plus rapidement, de répondre immédiatement à un e-mail, de s'inscrire dès la publication des dates de séances d'explications, etc. Les autres, démunis, prennent du retard.
Sumaho ou pas, la grande majorité des étudiants obtiennent effectivement une promesse d'embauche avant de quitter les campus.

Concrètement, à la date du 1er décembre dernier, c'est-à-dire 5 mois avant la fin de l'année universitaire, 72% des étudiants devant achever en mars prochain leur formation avaient déjà trouvé un employeur. Pour les Nippons, ce pourcentage est dramatiquement faible, alors que pour la plupart des étrangers, c'est prodigieux. Fin février, la proportion sera bien supérieure encore. L'an passé, au 1er avril, 91% des étudiants qui venaient d'achever leur cursus avaient une promesse d'ambauche, et cela était le niveau le plus bas constaté depuis 1996 au moins.

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Pour les Nippons, il faudrait cependant que ce soit 100%, comme dans le passé. Il fut un temps en effet où les patrons faisaient la danse du ventre devant les étudiants, lesquels, tout fiers, collectionnaient les promesses d'embauche, certains en revendiquant deux, trois ou quatre, tant les entreprises étaient demandeuses de frais émoulus à former pour les rendre opérationnels et les garder le plus longtemps possible. Cette époque s'est achevée dans les années 1990. Désormais, alors que tous les facteurs négatifs semblent se conjuguer pour freiner l'activité des entreprises, de tels niveaux semblent difficiles à retrouver, même si en avril 2008, juste avant la crise financière internationale et alors que le Japon venait de connaître cinq années d'embellie économique, la proportion était remontée à 96,9%, avant de retomber.

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Dans un tel climat, les étudiants sont terriblement angoissés, tétanisés à l'idée de ne pas trouver de travail, et subissent une énorme pression sociale et familiale, leurs parents étant aussi inquiets. Le tout est sans doute contre-productif car beaucoup in fine perdent confiance en eux et ne savent pas exprimer ce qui peut en eux intéresser un employeur, d'autant que le schéma des entretiens d'embauche est souvent très contraignant et protocolaire. Les médias et autorités ne cessent en outre de souligner le fait que la situation est selon eux "catastrophique", ce qui n'arrange rien.

Cela démontre, et ce n'est pas le seul exemple, que les Japonais ont tendance à comparer la situation actuelle de leur pays à celle du passé et non à l'analyser à l'aune des tendances actuelles et de la conjoncture mondiale. S'ils comparaient avec ce qui se passe dans d'autres pays, peut-être auraient-ils davantage conscience des exceptions que connaît encore le Japon, ce qui n'interdirait pas bien sûr pas de tout faire pour améliorer les choses. Il n'est toutefois pas utile pour inciter les gens à progresser de rendre les choses au départ plus alarmantes qu'elles ne le sont en réalité, surtout dans un pays qui subit tant de catastrophes inévitables comme les séismes ou tsunamis.
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