K, en japonais, c'est aussi la première lettre de "Kawai" (mignonne), comme la demoiselle qui symbolise le "supa-com" (super-computer) nippon dans le manga de Taku Nishimura (alias Jean-Paul Nishi).
En cours d'installation à Kobe, cité portuaire de l'ouest du Japon, le super-ordinateur K, dont le développement a débuté en 2008, sera achevé en 2012.
Equivalent à 200 000 PC personnels, ce super-calculateur, pensé par le groupe informatique Fujitsu et un institut de recherche nippon (Riken), a été classé premier mondial en termes de performances dans le 37ème classement TOP500 annoncé lors de la Conférence Internationale sur les super-calculateurs (ISC'11) qui se déroulait récemment à Hambourg, en Allemagne. C'est la première fois depuis l'Earth Simulator (simulateur d'activité terrestre), numéro un de 2002 à 2004, qu'un engin nippon revient en tête de palmarès.
Cet exploit « résulte de l'intégration dans le super-calculateur K d'un nombre massif de processeurs, des méthodes d'interconnectivité qui les unit et des logiciels capables de faire ressortir les meilleures performances du matériel, » expliquent Fujitsu et l'institut Riken.
Elaboré par une équipe comprenant de nombreux jeunes chercheurs, cet ensemble, encore inachevé, affiche déjà une performance de calcul de 8,16 petaflop/s (8,16 millions de milliards d'opérations en virgule flottante par seconde), se plaçant ainsi avec aisance au premier rang mondial. Il devrait atteindre l'an prochain une capacité de calcul de 10 petaflop/s avec plus de 80 000 processeurs (plus de 640 000 coeurs).
L'ordinateur K est également l'un des systèmes les moins énergivores de la liste, une performance dont se glorifient aussi les ingénieurs nippons.
Ce super-calculateur doit être exploité conjointement par ses co-développeurs à partir de novembre 2012. Les tests au stade de sa configuration actuelle ont été effectués avec le programme dédié Linpack.
K sera utilisé dans une variété de domaines des sciences informatiques (recherche climatique, météorologie, prévention des catastrophes ou encore médecine).
« Je suis ravi que nous ayons pu atteindre ce résultat, rendu possible grâce aux efforts considérables de tous les intervenants, malgré l'impact du séisme du 11 mars au nord-est du Japon, » a souligné récemment Michiyoshi Mazuka, président de Fujitsu. « Un tel système de calcul aurait été presque impossible à construire en utilisant des technologies conventionnelles, du fait du niveau incroyable de fiabilité requis, » a-t-il ajouté.
Le classement TOP500, créé en 1993, est mis à jour deux fois par an, en juin et novembre. Depuis son lancement, le palmarès est établi sur une méthode de mesure uniforme, un suivi cohérent qui fait de cette la liste un outil jugé fiable pour suivre les évolutions dans l'industrie. Ainsi peut-on comparer les deux derniers classements (novembre 2010 et juin 2011) et en sortir quelques changements notables, lesquels donnent un bel aperçu de la rapidité des progrès réalisés, selon les créateurs du Top500. Exemples :
1- Le seuil d'entrée dans le classement est monté à 40,1 Teraflop/s contre 31,1 Teraflop/s il ya six mois.
2- L'actuel dernier du TOP500 était encore 262e un semestre plus tôt.
3- La performance totale combinée de tous les super-ordinateurs du TOP500 est passée à 58,88 Petaflop/s, contre 43,7 Petaflop/s il ya six mois et 32,4 Petaflop/s il ya un an.
4- Le nombre moyen de coeurs d'un système du TOP500 est de 15 550 aujourd'hui, contre 13 071 en novembre dernier
4- Les États-Unis sont toujours les plus représentés, avec 256 super-calculateurs sur 500 systèmes. La part européenne (125) reste plus importante que de l'Asie (103), mais cette dernière grossit de semestre en semestre. Le Japon (compris dans la part asiatique) totalise 26 engins dans le classement, pour la plupart conçus au Japon par des groupes nippons. La France en compte 25 (de fabrication américaine le plus souvent).
Le n ° 1, l'ordinateur K, affiche la plus forte consommation totale (9,89 MW) mais avec un rendement plus élevé que les autres, tandis que la consommation moyenne des engins des dix premières places est de 4,3MW pour une efficacité de moyenne de 464 Mflops/watt (contre 268 Mflops/watt il ya six mois).
Pour les Nippons, la course à la puissance informatique est une compétition internationale à laquelle le Japon doit participer, d'autant plus que la Chine est entrée dans la danse. Toutefois, pour le directeur de projet Watanabe, l'ambition des Japonais n'est pas tant de pulvériser des records mesurés en petaflop/s que d'évaluer avec des experts de la médecine, des nanotechnologies, de biotechnologies, de la météorologie ou de la mécanique la réelle pertinence de l'architecture informatique développée.
Le retour au premier rang du TOP500 du pays du Soleil-levant est d'autant plus intéressant qu'il s'inscrit dans un contexte politique très particulier et signe la revanche de scientifiques sur les financiers. En effet, lors de l'arrivée au pouvoir en 2009 du Parti démocrate du Japon (PDJ), de centre gauche, après plus d'un demi-siècle de domination de la droite, il fut décidé de faire des économies (opération "tri des activités"), en sabrant les budgets consacrés à des domaines jugés non prioritaires par le nouveau gouvernement. Celui-ci s'était faire élire sur l'argument de la "chasse aux gaspillages" au profit des citoyens. Or, furent dénoncés les coûts dits exorbitants du projet de super-calculateur, sur lequel une responsable de commission gouvernementale, Renho, ex-starlette devenue ensuite ministre, osa cette question: « Pourquoi viser la première place mondiale, la deuxième n'est-elle pas suffisante? » Finalement, la mobilisation des prix Nobel japonais, qui allèrent frapper à la porte du bureau du Premier ministre, permit d'échapper à la coupe budgétaire décidée et de réanimer le projet un temps gelé.
Ironie du sort, désormais que "K" est numéro, le ministère des Sciences (toujours aux mains du même parti) remonte dans le train et vise désormais pour 2020 le développement d'un super-ordinateur japonais 100 fois plus rapide que K, donc à l'échelle de l'Exaflop. Le ministère a mis en place une équipe de travail associant notamment le Riken, Fujitsu, NEC et plusieurs autres industriels.
Pour ne citer qu'un exemple, le patron du groupe Sumitomo Tires (marque Dunlop) s'est précipité pour annoncer qu'il envisageait d'utiliser K pour la conception de nouveaux pneus. Il y a fort à parier que le moment venu, la mention "développé avec K" apparaîtra dans les spots publicitaires TV. Qui s'est un peu penché sur la création d'un pneumatique sait que cet objet, qui en apparence semble d'une simplicité enfantine, est en fait un des plus complexes à concevoir, car mêlant des problématiques chimiques, géométriques, mécaniques, etc. Pour avoir effectué des reportages sur les techniques de simulation informatique du groupe nippon Bridgestone et rencontré plusieurs ingénieurs, l'auteur de ces lignes comprend l'avantage que peut constituer la puissance de calcul de K pour simuler par exemple le comportement du pneu sur des surfaces diverses, sèches ou humides, en fonction de mouvements différents.
A noter pour terminer sur une analogie s'inscrivant dans un registre voisin que les débats concernant les recherches sur les super-calculateurs rappellent ceux ayant trait à la Formule 1. Pour certains, il s'agit d'argent gaspillé dans le but d'aligner des performances dont on se passerait volontiers, pour d'autres, il s'agit de viser le maximum possible dans une optique enthousiasmante et hyper-motivante afin d'accélérer la conception de techniques exploitables dans des applications de moindre envergure, mais avec un niveau qualitatif exceptionnel et éprouvé.