Dans une rare déclaration commune à l'occasion du Sommet spatial européen qui vient de s'achever à Toulouse, les astronautes européens appellent à la mise en place d'un programme de vols habités. Après une étude du CNES l'an dernier, puis l'appui du directeur de l'ESA, l'agence fera ses propositions d'ici novembre.
Il existe d'ores et déjà plusieurs pistes, mais ce ne sera pas facile.
Monte dans la fusée
« Il est l'heure de se lancer, nous sommes prêts ». Ainsi se termine le Manifeste des astronautes européens publié ce 16 février. À Toulouse, les représentants des États de l'Union européenne étaient réunis pour échanger sur leur politique spatiale commune (E. Macron, étant donné que la France préside l'UE actuellement, y a d'ailleurs pris la parole). Et l'Agence spatiale européenne, si elle n'est pas l'agence de l'Union européenne, y était bien présente, en tant que partenaire dans tous ses grands projets comme Galileo et Copernicus, mais aussi pour y parler espace avec les différents gouvernements.
Il ne faut pas oublier en effet qu'en novembre 2022 se tiendra l'assemblée ministérielle de l'ESA, qui a lieu une fois tous les trois ans et qui fixe le cap de tous les projets et orientations à venir. Un ballet politique, médiatique et budgétaire très important pour l'une des plus grandes agences, qu'il faut préparer minutieusement. C'est donc un moment clé qu'ont choisi les astronautes de l'ESA (appuyés par leur directeur J. Aschbacher) pour plaider en faveur d'un programme habité européen.
Pas de véhicule, pas de voix au chapitre ?
En effet, l'ESA dispose aujourd'hui d'une filière astronautique reconnue avec son bureau des astronautes, mais aussi ses différents centres, sa préparation et son implication au sein de la Station spatiale internationale.
Elle est partie prenante dans plusieurs projets internationaux au sol, en orbite et jusqu'à la Lune puisque c'est l'ESA qui fournit le module de service de la capsule américaine Orion. Et pourtant, elle n'a pas de programme habité indépendant (contrairement aux USA, à la Russie, à la Chine et à l'Inde qui prépare le sien).
« Il y a urgence, écrivent les astronautes, que les responsables européens décident de donner un coup d'accélérateur dans les efforts pour rester dans le groupe de tête des nations spatiales, sous peine d'être relégués en position de partenaire mineur dans les décennies à venir ».
Le plaidoyer, qui ne mâche pas ses mots, rappelle que l'Europe, c'est aussi des valeurs, et qu'en restant en retrait du vol habité, en étant cliente des géants actuels et futurs du spatial habité, elle ne pourra pas s'imposer. Sans compter l'émerveillement et l'engouement public pour l'astronautique…
Un nouveau comité !
L'ESA semble alignée sur cette position, via la voix de son directeur, mais aussi le soutien des industriels, ArianeGroup et d'autres géants existants en Europe s'étant déjà montrés favorables (difficile en même temps de les imaginer refuser cette opportunité), qui sera donc discutée en novembre.
Il y a aussi le support politique du président français : avec son soutien, l'ESA va mettre en place un comité particulier, qui sera chargé de rendre un rapport d'ici la fin de l'été avec différentes options pour un programme spatial européen habité.
Maintenant ou jamais ?
Mais gare tout de même à ne voir que de l'enthousiasme, car cette ambition, si elle doit se concrétiser, passera par un investissement conséquent et de long terme. De nombreuses voix s'élèvent déjà pour que l'ESA poursuive et accélère son plan d'exploration robotisé du Système solaire, grâce à ses sondes, et d'observation grâce à des missions et télescopes ambitieux. Les ministres européens auront-ils la volonté d'injecter dans l'agence un minimum de 400 à 700 millions d'euros supplémentaires chaque année jusqu'à 2030 ?
L'architecture que devra proposer le comité mis en place aura la lourde tâche de prendre en compte la technologie actuelle, mais aussi future, le fait que l'ISS arrive en fin de vie (quel intérêt pour un transport public, si les stations deviennent privées ?) et les besoins européens tels que l'accès à la station lunaire… sans oublier que le paysage, d'ici la fin du développement, ne sera peut-être plus celui de 2022.
Source : ESA