C'est au tour d'Intuitive Machines de viser la Lune avec son petit atterrisseur. Réussira-t-il mieux que les autres ?

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
17 février 2024 à 19h01
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Ejection réussie pour Odysseus, le nouvel atterrisseur lunaire américain. En route pour la Lune ! © SpaceX
Ejection réussie pour Odysseus, le nouvel atterrisseur lunaire américain. En route pour la Lune ! © SpaceX


Le petit atterrisseur Nova-C a décollé ce matin depuis la Floride, avant d'être éjecté en direction de la Lune. Une nouvelle tentative pour s'y poser, déjà la troisième en 2024, et qui sera tout aussi risquée. L'entreprise privée, financée par la NASA, ne fera pas durer le suspense. Atterrissage prévu le 22 février !

Son petit nom est Odie, pour Odysseus. Un nouvel atterrisseur lunaire s'est élancé ce matin depuis le Centre Spatial Kennedy en Californie. À 7 h 05 (Paris), une fusée Falcon 9 de SpaceX a allumé ses 9 moteurs avant de décoller et d'emporter le véhicule d'Intuitive Machines sur une trajectoire qui le mènera directement vers la Lune. L'entreprise, dont le centre de contrôle est situé à Houston au Texas, a immédiatement pris contact, et pour l'instant la mission se passe bien. Le rythme des opérations sera intense, puisqu'Odysseus devrait se poser dans le cratère Malapert, à environ 300 km du pôle Sud lunaire, jeudi prochain, le 22 février.

Un atterrisseur de la taille d'un Tardis

Avant de parler de l'atterrisseur en tant que tel, il faut préciser qu'Intuitive Machines n'a pas facilité la tâche au public, car l'entreprise utilise beaucoup de noms différents. Le véhicule est baptisé Odysseus, la mission s'appelle IM-1, et le modèle de véhicule est le Nova-C. Cela étant, il est très facile de le reconnaître, avec son design à la verticale (4,3 m de haut), ses six pieds et son unique moteur dédié aux manœuvres principales.

Par ailleurs, il n'y a rien ou presque qui implique de déploiement mécanique : les pieds sont déjà déployés, les panneaux solaires recouvrent ses flancs, l'antenne de communication est déjà sortie... De quoi minimiser les risques surtout au début de la mission.

Objectif en vue ! Plus que quelques étapes entre les deux... © SpaceX
Objectif en vue ! Plus que quelques étapes entre les deux... © SpaceX

Ce qui ne veut pas dire que Nova-C n'est pas innovant ! Avec ses 675 kg au décollage, il est capable d'embarquer théoriquement jusqu'à 130 kg de charges utiles jusqu'à la surface lunaire, grâce à une architecture conçue et assemblée autour de ses deux réservoirs d'oxygène et de méthane liquide, ainsi que de son moteur imprimé en 3D. Une propulsion originale pour un véhicule lunaire, qui a notamment fait parler d'elle parce que SpaceX a dû modifier ses installations de lancement pour pouvoir remplir les réservoirs d'Odysseus quelques poignées de minutes avant le décollage. Le moteur sera testé durant quelques manœuvres au cours des 6 jours qu'il lui faudra pour rejoindre la Lune, puis pour freiner et s'injecter en orbite lunaire, environ 24 heures avant de tenter de s'y poser.

Une mission à haut risque

Intuitive Machines estime que si Nova-C arrive exactement en position pour ses dernières minutes avant de descendre sur la surface lunaire, alors les critères seront remplis pour une mission réussie. Car ce n'est pas un secret, se poser sur la Lune est un exercice difficile, qui plus est pour une entreprise privée et de nombreux autres s'y sont cassé les dents depuis 5 ans, même en étant opérés par des états.

Ne serait-ce que depuis début 2024, il y a eu l'atterrisseur japonais SLIM qui s'est posé la tête la première, et Peregrine (Astrobotic), autre véhicule américain, qui a eu un souci de propulsion si important qu'il s'est désintégré dans l'atmosphère de la Terre après quelques jours de trajet. Odysseus est en quelque sorte un cousin de Peregrine, les deux atterrisseurs étant partiellement financés par la NASA au sein du projet CLPS (prononcez « clips », Commercial Lunar Payload Services) qui consiste à emporter des charges utiles de l'agence que cette dernière paie au prix fort dans le cadre d'un partenariat public-privé.

L'atterrisseur lors de la mise sous coiffe en Floride. Il est grand, mais il passe sous la coiffe de Falcon 9 ! © Intuitive Machines
L'atterrisseur lors de la mise sous coiffe en Floride. Il est grand, mais il passe sous la coiffe de Falcon 9 ! © Intuitive Machines

La descente, toujours un condensé de danger

Nova-C pourrait donc devenir le premier véhicule américain à se poser sur la Lune depuis 1972, mais pour cela il faudra encore réussir l'étape importante de la descente. Comme tous les autres véhicules robotisés récents, Odysseus ne sera pas piloté à distance, toute la phase de freinage, de guidage et le choix du site exact pour se poser seront autopilotés par l'ordinateur de bord. Intuitive Machines n'a pas lésiné sur les moyens pour tenter d'y arriver, avec un algorithme adaptatif basé sur l'analyse des images des caméras de navigation, fusionnée avec des relevés d'altimètre laser et radar. Après un premier freinage depuis le côté opposé de la Lune, les opérations resteront en pause durant environ une heure.

À 10 km d'altitude, Odysseus allumera une fois de plus son moteur, direction le cratère Malapert. Le moteur restera allumé tout au long de cette phase, capable de faire varier sa puissance en fonction des données du contrôle de navigation. La phase de freinage s'arrête à environ 2 km d'altitude, après quoi Nova-C bascule en position verticale pour la fin de sa descente et tente de calculer l'endroit exact auquel il va se poser, et s'il ne détecte pas d'obstacle (il est en théorie capable de les éviter). À 30 mètres d'altitude, il ne va plus qu'à 3m/s et à 10 m d'altitude, 1 mètre par seconde. 15 secondes plus tard, s'il transmet encore, alors Intuitive Machines aura réussi un véritable exploit technique.

L'un des instruments embarqués sur Odysseus. © Intuitive Machines
L'un des instruments embarqués sur Odysseus. © Intuitive Machines

Tout un lot d'équipements NASA

Comme il s'agit d'un vol dans le cadre du CLPS, la NASA dispose de plusieurs charges utiles à bord. Et pour une bonne partie d'entre elles, pas question d'attendre d'être posé pour commencer les mesures. D'abord, elle teste un nouveau type de capteur installé sur les réservoirs de Nova-C, qui étudiera le comportement intérieur grâce à des émissions de radiofréquence. Ensuite, il y a le LN-1, pour Node-1 Navigation Demonstrator. Ce dernier est un dispositif autonome, qui tentera à tout moment de calculer la position d'Odysseus au cours de sa mission. Lors de l'arrivée sur la surface, la NASA souhaite aussi étudier le nuage de poussière lunaire soulevé par le moteur, avec son capteur SCALPSS stéréoscopique, et testera également durant la descente un capteur doppler lidar, capable en théorie de calculer vitesse et distance par rapport au sol aussi précisément que les lasers et radars classiques, mais avec un dispositif plus compact.

Enfin, il y a deux expériences qui seront utiles durant les 7 jours qu'Intuitive Machines espère opérer son véhicule sur la surface, le boitier ROLSES qui étudiera l'environnement électromagnétique, ainsi qu'un petit réflecteur optique omnidirectionnel (passif). Si la mission IM-1 fonctionne comme prévu, il permettra à l'instar des réflecteurs déposés par Apollo ou Lunokhod de faire rebondir des signaux laser sur la surface lunaire depuis la Terre.

Des projets plus originaux

S'agissant d'un atterrisseur privé, il y a aussi quelques charges utiles lunaires particulières, notamment des tissus isolants thermiques particuliers, grâce à un partenariat (ou sponsoring) inédit de Columbia, la marque de vêtements. Il a aussi un très excitant (si ça marche) projet de l'université Embry-Riddle : une petite « caméra selfie » qui sera éjectée lorsque l'atterrisseur sera entre 30 et 10 mètres du sol, et qui devrait filmer la dernière partie de l'arrivée d'Odysseus. Évidemment, il s'agit d'une démonstration technologique. Il y a aussi une sculpture de Jeff Koons, un prototype de télescope opérant depuis la surface lunaire (premier instrument hawaïen lunaire), un disque de connaissances terriennes gravées et un petit serveur actif qui est lui aussi un prototype pour de futurs datacenters lunaires (quand on veut faire du stockage loin de tout...).

Eh oui, aller sur la Lune c'est aussi une (bonne) publicité. © Intuitive Machines
Eh oui, aller sur la Lune c'est aussi une (bonne) publicité. © Intuitive Machines

Alors, après un décollage impeccable et une arrivée dans l'espace réussie, Intuitive Machines réussira-t-elle son premier pari lunaire ? La petite structure joue gros...

Source : SPACE.com

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (8)

nicgrover
J’aurais cru que Jeff Koons aurait préféré y mettre ses photos avec la Cicciolina… De quoi s’envoyer en l’air et atteindre le 7e ciel…<br /> Tous les vœux de réussite à Intuitive
gnouman
De la taille du Tardis extérieurs ou intérieur ?
Belgarath
Incroyable ! Avec leur publicité de M****, ils arrivent même à polluer la lune. <br /> Bonne chance quand même au petit Odie.
raymondp
Article très intéressant, merci !
Chirokee
Ce n’est pas faux bien sûr. Mais entre nous, les réussites spatiales nationales, y compris lunaires, servent aussi le plus souvent de propagande pour le pays et ne sont donc rien d’autre que de la pub
MattS32
Chirokee:<br /> servent aussi le plus souvent de propagande pour le pays et ne sont donc rien d’autre que de la pub<br /> Ce n’est pas parce qu’elles servent aussi pour le soft power que c’est «&nbsp;rien d’autre&nbsp;» que de la pub… Ça reste quand même des missions scientifiques dont le but premier est d’apporter des données pour mieux comprendre l’univers.
Belgarath
Bien sûr, tu as raison, mais quand les états se vantent de leur réussites spatiales, les citoyens de ce pays peuvent se dire que leurs impôts qui ont payé le truc envoyé dans l’espace, ont servi à quelque chose, alors que dans ce cas, c’est de la vulgaire pub, comme celle qui nous pourri la vie à longueur de journée.
xryl
En même temps, comme dirait l’autre, ce qui est payé par les publicitaires ne l’est pas par les citoyens. Donc techniquement, s’il y a des c.ns pour accepter de payer une pub qui ne sera jamais vue, pourquoi s’en priver ?
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