Pensé pour garantir un web résilient et décentralisé, le protocole IPFS se retrouve aujourd’hui dans le viseur de la Commission européenne. Dans sa dernière liste noire des services hors UE accusés de faciliter la contrefaçon et le piratage, le système d’hébergement pair-à-pair rejoint les rangs des plateformes jugées problématiques. Une décision qui interroge, tant sur l’interprétation du rôle des technologies que sur l’équilibre entre liberté d’accès à l’information et lutte contre les usages illicites.

Prévu pour contourner la censure, le protocole IPFS est désormais considéré comme une arme de piratage. © Christophe Licoppe / Shutterstock
Prévu pour contourner la censure, le protocole IPFS est désormais considéré comme une arme de piratage. © Christophe Licoppe / Shutterstock
L'info en 3 points
  • La Commission européenne place le protocole IPFS sur sa liste de surveillance pour contrefaçon et piratage, suscitant des débats.
  • Les bibliothèques pirates utilisent IPFS pour partager illégalement, mais le protocole reste neutre dans sa fonction.
  • Critiques émergent contre l'UE qui cible non pas l'usage, mais les infrastructures technologies elles-mêmes.

Conçu pour résister à la censure et aux coupures d’Internet, l’InterPlanetary File System (IPFS) n’a rien d’un outil marginal. Utilisé par des archivistes, des ONG, des chercheurs ou encore des projets open source comme Wikipédia, ce protocole distribué permet de stocker et de partager des fichiers de manière résiliente, sans dépendre d’un serveur central. Même Lockheed Martin s’y est intéressé, allant jusqu’à aider au déploiement d’un nœud IPFS dans l’espace. Rien que ça.

C’est pourtant ce même protocole que la Commission européenne vient d’inscrire dans sa Counterfeit and Piracy Watch List. Un rapport publié tous les deux ans, qui recense les sites et services étrangers accusés de faciliter le piratage ou la contrefaçon. Et si l’on retrouve sans surprise The Pirate Bay ou 1337x dans cette nouvelle édition, la présence d’une technologie comme IPFS interroge.

Une technologie à double tranchant

Car c’est bien moins l’outil que son détournement qui pose problème. Dans son rapport, la Commission cite explicitement des bibliothèques pirates comme Library Genesis (LibGen), Z-Library ou Anna’s Archive, qui utilisent les gateways publics d’IPFS pour héberger et diffuser des ouvrages et documents protégés. À titre d'information, ces passerelles permettent d’accéder aux contenus IPFS via un simple navigateur, sans installer de client, ce qui facilite leur diffusion à grande échelle.

La plupart de ces contenus circulent donc via des infrastructures accessibles à toutes et tous, sans pour autant nécessiter une réelle compréhension du protocole. Une accessibilité qui, selon Bruxelles, suffit à faire d’IPFS une « menace émergente » en matière de piratage.

Mais faut-il pour autant condamner la technologie elle-même ? C’est toute la question. L’IPFS, par nature, ne fait pas la différence entre un livre scientifique tombé dans le domaine public et une copie illégale d’un manuel scolaire. Il se contente de distribuer ce qu’on y ajoute. Comme BitTorrent ou Tor avant lui, c’est un outil neutre, dont les usages dépendent entièrement de ses utilisateurs et utilisatrices. Le problème n’est donc pas IPFS en soi, mais ce que certains en font.

Une décision controversée de la Commission européenne

La décision de la Commission soulève d’autant plus d’interrogations qu’elle semble s’inscrire dans une tendance plus large : celle de faire porter la responsabilité non plus aux sites, mais aux infrastructures techniques elles-mêmes. Dans la même liste, on retrouve Njalla, un service de protection d’identité pour noms de domaine, fondé par l’un des créateurs de The Pirate Bay. Accusé de fournir un service clé en main pour créer un site pirate, Njalla rejette cette étiquette, rappelant qu’il ne fait qu’enregistrer des domaines à la demande de ses clients.

En inscrivant des outils comme IPFS ou Njalla sur sa liste noire, l’Union européenne prend le risque de créer un précédent. Où s’arrête la logique ? Faut-il inscrire GitHub si du code malveillant y circule ? Ou les fournisseurs de VPN qui permettent de contourner des blocages ? L’enjeu n’est pas de nier l’existence du piratage, ni de minimiser son impact sur les ayants droit, mais de rester lucide sur ce qu’on attend – ou non – des technologies ouvertes.

Or, si l’on commence à classifier les technos selon les usages qui en sont faits, on risque d’ouvrir une boîte de Pandore. D’autres protocoles pourraient à leur tour être stigmatisés, malgré leurs usages parfaitement légitimes. Et au nom de la lutte contre le piratage, c’est l’ensemble de l’écosystème du web décentralisé qui pourrait être fragilisé.

La vigilance contre les abus est indispensable. Mais en visant IPFS, la Commission européenne prend le risque de brouiller la frontière entre l’outil et son utilisation, entre la technologie et la responsabilité individuelle. Une démarche qui mérite, au minimum, un débat plus large.

Source : TorrentFreak

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