Frédéric PIE : "vodeo.tv est un grand kiosque audiovisuel dédié à tous les savoirs… à la demande."

29 mars 2006 à 00h00
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Frédéric PIE

Créateur de la banque audiovisuelle et de Vodeo.tv, Frédéric PIE explique son positionnement sur le marché de la vidéo à la demande

JB - Comment peut-on définir votre activité ? Une plate-forme de VOD ? Une place de marché ? Un moteur de recherche vidéo ?

FP - Vodeo.tv est le premier site portail audiovisuel exclusivement consacré au monde du savoir, de la découverte et des passions. Le pari de vodeo.tv est de fédérer les meilleures productions francophones et de regrouper sur un même espace, accessible à la demande, des milliers de programmes permettant au grand public de voir ce qu'il veut savoir.

Vodeo.tv propose de porter un regard sur le monde tel qu'il est, c'est un site de programmes sur le réel (documentaires, grands reportages, interviews...), alors que les plateformes de VOD qui naissent aujourd'hui dans le giron des grandes chaînes de télévision se concentrent sur le divertissement, qui consistent justement à s'évader du réel...

Vodeo.tv a pour vocation de rendre accessible un très vaste catalogue de programmes audiovisuels devenus trop vite inaccessibles, car peu diffusés, introuvables ou mal adaptés aux contraintes actuelles de l'édition ou de la diffusion. Pour ce faire, vodeo.tv numérise les programmes et en propose l'accès au consommateur en VOD et en édition de DVD à la demande. En résumé, plus qu'un simple site de documentaires en VOD, on peut considérer que vodeo.tv est un grand kiosque audiovisuel dédié à tous les savoirs... à la demande.

JB - Depuis peu, propose le téléchargement de vidéos. De même, Google Video permet non seulement de chercher mais également de stocker et de vendre des vidéos. Envisagez vous une convergence entre l'univers des moteurs de recherche et celui des kiosques de téléchargement ?

FP - Nous suivons naturellement avec beaucoup d'intérêt toutes les initiatives qui permettent de consommer la télévision à la demande et qui accélèreraient la consultation de nos programmes, d'une manière personnalisée. Les expériences d'indexation vidéo comme Google video ou Search constituent pour nous des opportunités de partenariats importants permettant de rendre nos vidéos encore plus accessibles, plus facilement consultables. Notre stratégie nous impose d'être présents et consultables n'importe où et n'importe quand, de placer nos contenus là où le consommateur sera le plus à même de le consulter, de finalement apporter la plus grande liberté à nos publics de passionnés. Cela passe par la qualité de l'indexation et du référencement des contenus au travers des moteurs de recherche, de la présence de vodeo.tv chez un grand nombre de partenaires (grands portails de l'Internet, sites média, opérateurs de TV ADSL, mobiles...).

Je ne crois guère au développement de Google Vidéo en ce qui concerne l'hébergement et la vente des contenus numériques. Je pense que les robots, les annuaires et les moteurs de recherche ont comme vocation principale d'indexer efficacement un très vaste contenu (textes, images et maintenant vidéos) en le rendant pertinent et en favorisant son accès de manière intuitive et intelligente. C'est déjà un pari immense !

De là à posséder les contenus et à en assurer soi-même la distribution il y a un monde... Les agrégateurs de contenus et les distributeurs tels que iTunes ou vodeo.tv intègrent des métiers distincts qui vont de la gestion des droits, au e-commerce en passant par la numérisation des contenus et leur éditorialisation. A chacun son métier. Je crois davantage à des points de convergence au travers de grands partenariats qu'à une fusion de tous les savoir-faire au sein d'un acteur monopolistique. Yahoo ou Google sont comme des agences de voyages qui vous proposent de multiples destinations en fonction vos demandes, les grands sites de VOD, qu'ils viennent de l'audiovisuel, du cinéma, de la distribution de produits culturels ou qu'ils soient des "pure players" comme nous, sont précisément ces destinations, ces "cités audiovisuelles" sur lesquelles on se rend pour découvrir et consommer le contenu que l'on souhaite. Il y a donc de réelles différences entre les moteurs et les "kiosques de téléchargement".

JB - Actuellement, l'essentiel de la consommation de vidéos se fait sur les réseaux P2P. Selon vous, est-ce la gratuité ou la promesse d'une certaine exhaustivité qui attire les internautes ?

FP - Ce qui a attiré les internautes sur les sites P2P c'est l'absence d'une offre étendue et légale durant quelques années et la lenteur de réaction des principaux acteurs de l'industrie. Cette lenteur s'explique autant par une sorte d'inertie au changement que par la difficulté à bousculer l'ordre établi et les positions confortables des empereurs de l'industrie musicale ou du cinéma. C'est d'ailleurs un "barbare", iTunes, provenant de l'informatique, qui est rentré brutalement dans l'univers de la musique, imposant de nouvelles règles et un prix psychologique mondial : 0,99 dollar !

L'enjeu majeur pour les empereurs en place est de faire évoluer suffisamment vite leurs empires pour empêcher de nouveaux venus de menacer les équilibres en place et d'imposer leur loi. Or, ce n'est pas en bloquant les droits ou en se rigidifiant que l'on peut répondre aux immenses attentes du public, mais en ouvrant massivement les catalogues, en proposant toujours plus d'offres, en étant créatifs sur les modèles économiques et en servant le public sur des supports qu'il réclame. Les fournisseurs et les transporteurs de contenus sont en retard sur les consommateurs. Je rappelle que selon le CNC, en 2004 plus de 3 millions de français auraient téléchargé illégalement au moins un film. Les solutions pour endiguer le piratage sont en œuvre mais sont encore beaucoup trop lentes et surtout pas à la mesure du tsunami que représente la mise à disposition gratuite, permanente et massive des biens culturels sur les sites P2P.

JB - La télévision est actuellement dominée par une logique de diffusion chronologique des contenus. La montée en puissance de l'internet ne va-t-elle pas automatiquement pousser toutes les grandes chaînes de télévision à développer des plates-formes de visualisation "à la demande" ?

FP - C'est le cinéma qui est surtout organisé autour d'une chronologie des média. La télévision, quant à elle, est depuis des décennies organisée sur une logique de flux, sur l'éditorialisation permanente de programmes où une nouveauté chasse l'autre et où des programmes qui ont coûté très cher en terme de production sont curieusement montré durant 52 minutes, puis deviennent très vites inaccessibles. La télévision est une économie du jetable. A l'inverse, la VOD repose sur une logique de stock de programmes, le fameux directeur de la programmation est remplacé par le consom'acteur qui choisit précisément ce qu'il veut voir dans un très vaste catalogue de divertissement (cinéma, sport, musique, animation) ou d'information (JT, documentaire, reportage...). Nous allons passer progressivement d'un monde "de chaînes et de grilles de programmes" à un monde de liberté dans la consultation.

Tous les groupes audiovisuels le savent et y réfléchissent avec plus ou moins d'acuité et de degré d'urgence. Canal+ et ont ouvert le bal, les autres ont annoncé leurs projets. Il me paraît inéluctable que les chaînes développent leur service de VOD, souvent avec une logique de diffusion différée, sur le modèle de ce que HBO propose aux Etats-Unis. Moyennant un paiement à l'acte ou plus tard un abonnement, le consommateur pourra voir une émission qu'il aurait manquée. Toutefois, ces services seront pour l'essentiel centrés sur la fraîcheur du programme et très liés à son passage à l'antenne. Les chaînes n'ont pas pour vocation d'amasser des milliers de programmes de stocks. De plus cela pose de réels problèmes de droits de diffusion qui sont pour l'heure loin d'être réglés. Les chaînes feront évoluer de manière marginale leur modèle économique encore exclusivement fondé sur la publicité pour les chaînes privés, sur la redevance et la pub pour les chaînes du service public et sur l'abonnement pour Canal+ et les chaînes du câble et du satellite. Une chaîne n'est pas une vidéothèque, TF1 n'est pas l'INA ! Dans cet esprit, vodeo.tv n'est pas en concurrence avec les chaînes de télévision, nous avons une offre très complémentaire, ce qui nous amène à discuter de manière ouverte et constructive de partenariat éditorial ou technologique avec les diffuseurs.

JB - De grands équipementiers comme Alcatel ou misent beaucoup sur des services de télévision personnalisable, de télévision interactive ou encore de télévision personnelle. Croyez vous à de tels services ? Pourront-ils être conservés et exploités de la même manière qu'on exploite un film ou une vidéo ?


FP - Je pense que de telles initiatives portées par des industriels puissants ont des chances de trouver un marché ;-)

Toutefois, on voit fleurir de plus en plus d'appareils et d'équipements électroniques promus par des entreprises essayant de convaincre le consommateur que leur système est le meilleur pour personnaliser sa consommation audiovisuelle. Citons par exemple les différentes set top box qui intégreront toutes à terme des services de VOD ou d'enregistrement "intelligents", les lecteurs de DVD à disques dur, les PVR (personal video recorder), les systèmes dont vous parlez, les solutions de type média center qui placent le PC au centre du salon comme le propose Microsoft, sans oublier les opérateurs de TV ADSL, ou de téléphones portables. Bref, le combat industriel risque d'être rude et passionnant.

Ce qu'il ne faudra pas négliger c'est le sentiment de crainte et de confusion de la part du consommateur qui sera assommé par cette profusion technologique, par des offres de services sans cesse plus complexe à comprendre. Les ingénieurs oublient trop souvent l'utilisateur final, négligeant sa capacité d'adoption plus lente et limitée que les business plan de ces multinationales qui nous promettent l'Eldorado numérique. Sans compter le pouvoir d'achat du consommateur qui n'est pas extensible à l'infini.

En bref, le développement de ces nouveaux matériels ne pourra se faire sans une "révolution" dans la mise à disposition des contenus. Ce sont avant tout les producteurs de programmes et les détenteurs de droits qui risquent de récolter en premier les fruits de cette ruée vers l'or audiovisuel !

JB - Pour le moment, la recherche d'une vidéo se fait grâce aux méta données fournies par les producteurs. Explorez vous de nouvelles pistes ? (Tags, indexation piste audio, reconnaissance d'images, etc...)

FP - En ce qui concerne vodeo.tv, les producteurs ne nous fournissent qu'une cassette Beta. Nous la contrôlons, nous la numérisons et la transcodons à différents formats qui permettent sa diffusion en streaming, téléchargement et édition de DVD à la demande. Ce sont ensuite nos équipes de journalistes et de documentalistes qui visionnent chaque programme, l'indexent en y associant les mots clés pertinents et rédigent le synopsis. C'est un véritable travail de fourmi. Nous pensons naturellement à des outils d'indexation automatique. Toutefois, aucun logiciel ne remplacera à moyen terme l'intelligence humaine et la capacité d'une documentaliste d'extraire le sens de ce qu'elle entend. Nous investirons sur ce type d'outil et intégrerons des solutions technologiques plus élaborées, mais beaucoup plus coûteuses, le jour où cela fera sens, c'est-à-dire lorsque nous aurons démontrer la pertinence de notre modèle économique, quand nous saurons ce que nos clients veulent voir et comment ils veulent se servir de notre contenu. L'indexation de nos contenus représente une vraie valeur ajoutée sur laquelle nous réfléchissons et que nous ne pouvons, à ce jour, résoudre à une simple solution technique.

Toutes les solutions existent sur le marché à ce jour, mais elles répondent davantage à des problématiques quantitatives que qualitatives, ainsi qu'à des besoins d'archivistes professionnels. C'est naturellement le sens de l'histoire mais chaque chose en son temps. Nous regardons aussi toutes les technologies qui permettraient à terme le doublage ou le sous-titrage à des coûts acceptables. Cela représente un enjeu majeur pour le développement de vodeo.tv en Europe et en plusieurs langues.

JB - La création de Google Print a suscité de vives réactions de la part de la BNF. Pensez vous que la création de banques audiovisuelles privées puisse susciter une réaction similaire de la part de l'INA ? Quelles complémentarités imaginez vous entre pouvoirs publics et sociétés privés dans ce domaine ?

FP - Google Print a mis en évidence un vaste champ de problèmes juridiques liés aux droits d'auteurs et à la paternité des ouvrages. Il en va de même dans le monde audiovisuel, les ayants droits et les parties concernées pouvant même être plus nombreux que dans le monde du livre. L'INA gère un fonds d'archives audiovisuelles très important qu'il exploite pour le moment, essentiellement, auprès des professionnels. L'avènement du numérique pose effectivement le problème de l'exploitation de ces programmes auprès du grand public. L'INA a un monopole de fait sur la propriété et l'exploitation des archives de la télévision publique. Il développera sa propre plate forme de VOD sur les programmes qui ne posent pas de problème en terme de droits et sur lesquels il a l'autorisation des ayants droits. Pour le reste de son patrimoine, comme pour le dépôt légal, il ne pourra pas faire grand-chose et les œuvres resteront irrémédiablement inexploitables.

Vodeo.tv, pour sa part, acquiert les droits de ses programmes auprès de centaines de producteurs et d'auteurs. Notre catalogue est très complémentaire de celui de l'INA, qui est plus ancien et surtout beaucoup plus vaste que le nôtre. Nous discutons avec l'INA afin d'étudier les points de complémentarité entre nos deux sociétés qui ont, toutes deux, vocation de valoriser le stock audiovisuel et d'en permettre l'accès au grand public. Des partenariats sont évidemment envisageables, même si pour l'heure nous n'avons pas les mêmes contraintes et les mêmes urgences. L'INA n'a donc nullement à s'offusquer de la création de la banque audiovisuelle, société privée et indépendante, éditrice de vodeo.tv.

L'INA est en quelque sorte un porte-avion audiovisuel et nous venons à peine de faire décoller notre ULM, il y a donc une parfaite complémentarité même si nous ne travaillons pas à la même échelle ;)

JB - Frédéric PIE, je vous remercie.
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