Lionel Thoumyre : "Le DADVSI est une insulte à la démocratie"

22 mars 2006 à 00h00
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Juriste nouvelles techniques à la Spedidam et coordinateur de l'Alliance public-artistes, M. Thoumyre réagit au vote des députés sur le projet 'droit d'auteur'.

AB - Bonjour Lionel Thoumyre. L'Assemblée a adopté le 21 mars 2006 le projet de loi 'droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information' sans "licence globale", avec exception pour copie privée et riposte graduée. Quel est votre sentiment sur ce vote ?

LT - Tout d'abord, la soi-disant "exception pour copie privée" qui a été actée dans ce texte n'est qu'un leurre. Le projet de loi DADVSI amoindrit considérablement la portée de cette exception adoptée en 1957. Cette dernière nous autorise à effectuer autant de copies d'une oeuvre qu'on le souhaite, dans la mesure où ces copies sont uniquement destinées à un usage privé.

Or, le projet de loi 2006 sur le droit d'auteur prévoit que le nombre de copies d'une oeuvre pourra être limité. Ca n'est donc plus de la "copie privée" mais de la "copie limitée", voire de la "copie interdite" puisqu'il est d'ores et déjà acté que le DVD ne doit souffrir aucune copie.

Et dire que cette copie limitée nous a été vendue comme un véritable "droit à la copie privée" ! C'est un pur habillage "politique" qui ne parviendra pas, dans les faits, à recouvrir la nudité du concept.

Pire encore, le travail de jurisprudence effectué durant l'année 2005 (CA Montpellier, TGI Meaux, TGI Bayonne, TGI Le Havre, TGI Paris, etc.), attestant du fait que le simple téléchargement relevait de l'exception pour copie privée, est jeté à bas. Les internautes téléchargeurs encourront demain des amendes de 38 à 150€ !

Mon sentiment est celui d'une incompréhension, par une partie de la classe politique, de la réalité d'Internet. Nous subissons une influence désastreuse des lois américaines sur le droit d'auteur et des concepts de la Common Law (droit commun), incompatibles avec le fonctionnement de nos institutions. On ne répond qu'aux intérêts d'une seule catégorie d'acteurs, les industriels. C'est une rupture majeure avec l'équilibre français trouvé dans les lois de 1957 et de 1985.

AB - Le texte qui sera présenté en mai 2006 au Sénat ne transpose-t-il pas justement la directive européenne sur le copyright (EUCD) ?

LT - Oh que non ! Ce texte va bien plus loin puisqu'il intègre le fameux amendement "Vivendi" visant à obliger les logiciels d'échange à filtrer les contenus culturels. C'est une pure aberration. Nos sociétés démocratiques ne peuvent tolérer cela sur Internet. Jamais la classe politique française n'avait osé aller aussi loin !

Rappelez-vous de ce fameux amendement à la LCEN (loi pour la confiance dans l'économie numérique) qui avait été proposé en 2003 par Monsieur Jean Dionis du Séjour pour obliger les FAI à surveiller les contenus "manifestement illicites". Cet amendement a été rejeté car on craignait une incompatibilité avec la directive sur le "commerce électronique" et, surtout, des dommages collatéraux sur la liberté d'expression.

Pourquoi accepterions-nous un amendement destiné à filtrer la culture sur Internet ? La soi-disant "protection du droit d'auteur" est-elle devenue un enjeu plus important que la sécurité nationale ou la lutte contre la pédophilie ? Les citoyens ont du mal à saisir la logique.

Par ailleurs, la directive européenne sur le copyright n'oblige pas les Etats membres à limiter le nombre de copies et encore moins à le réduire à 0 pour le DVD. En revanche, elle propose une définition de la copie privée plus large que la définition française. C'était cette définition que le premier volet de "la licence globale" visait à transposer, tout simplement.

Pourquoi le gouvernement a-t-il refusé que nous nous en inspirions ? A quel titre avons-nous choisi la voie la plus répressive et la plus contraignante pour l'utilisateur, sans même prévoir de rémunération pour les artistes ?

AB - Les services en ligne "payants et légaux" de musique et de films sous DRM sont-ils les seuls garants de la juste rémunération des ayants droits à l'ère numérique ?

LT - Bien sûr que non. Rien ne garantit aujourd'hui que ces sites reversent une juste rémunération aux artistes, lorsqu'elle est versée ! Les artistes solistes ne touchent guère plus de 6% sur le prix de vente - donc 6 centimes d'euros par titre vendu 99 centimes - les autres ne touchent rien.

On ne peut prétendre que ce projet de loi garantisse la rémunération des artistes. Ces derniers ont plus de garanties avec une solution de type "licence globale" qui pourrait tout à fait coexister avec des offres payantes. Non, décidemment, le texte actuel ne parvient pas à trouver l'équilibre.

AB - DRM, logiciels libres et peer-to-peer sont-ils incompatibles ?

LT - Il existe plusieurs formes de DRM (Digital Rights Management). Certains DRM menacent les logiciels libres. C'est le cas de ceux que l'on retrouve actuellement sur les plates-formes payantes. Elles rendent le client captif d'une technologie en l'obligeant à lire une oeuvre téléchargée sur un seul type de lecteur, ce qui limite le nombre de copies et qui ne permet aucune interopérabilité.

Mais jamais aucun DRM ne menacera les échanges entre utilisateurs sur les réseaux peer-to-peer car on y retrouvera toujours des oeuvres sans verrou ou dont les verrous auront sauté. Ainsi, on peut toujours imaginer une coexistence entre des plates-formes payantes proposant des fichiers avec DRM et une "licence globale" destinée à rémunérer les ayants droit pour les échanges non commerciaux d'oeuvres entre particuliers.

AB - Lors des débats sur le droit d'auteur à l'Assemblée nationale le gouvernement n'a pas hésité à remettre en cause le pouvoir du parlement. Pensez-vous que la France ait besoin d'une 6ème république ?

LT - Les méthodes employées par le gouvernement au cours des débats ont révélé de nombreux dysfonctionnements, c'est certain : Le ministère de la culture fait voter un texte à la veille de Noël 2005 en espérant le faire passer comme une lettre à la poste, il échoue. En mars 2006, le gouvernement retire un article qui ne lui plait pas, pour finalement réintroduire l'article disparu par peur d'inconstitutionnalité... Nous avons eu droit à une véritable compilation, ou plutôt un "best off", des méthodes les plus saugrenues pour faire adopter un texte à la hussarde.

Sans oublier l'épisode où des vendeurs du temple, autrement dit les détaillants du disque, sont venus distribuer des coupons de téléchargement aux députés lors des débats fin décembre dernier, une première dans l'histoire de l'Assemblée nationale ! Fort heureusement certains députés, PS et UMP, ont défendu leurs convictions et se sont opposés au texte. Quoi qu'il en soit le projet DADVSI a finalement été adopté par une majorité de députés le 21 mars 2006.

Près de 170.000 internautes connectés sur le site de l'Assemblée nationale ont assisté en direct à cette mascarade. Or, la dernière chose dont la France ait besoin, c'est d'un discrédit sur le fonctionnement de ses institutions. Nous sommes en pleine crise de confiance politique, crise qui gagne du terrain d'année en année. Tout cela milite pour une 6ème République. Mais sera-t-elle meilleure que la 5ème ?

Soyons raisonnables : Commençons tout simplement par retirer ce texte qui est une insulte à notre démocratie, au regard de la procédure employée et de son caractère répressif.

AB - Lionel Thoumyre, je vous remercie pour votre intervention.

La Spedidam (spedidam.fr), Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse, est membre de l'Alliance public-artistes (lalliance.org).
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