Philippe Guillanton & Grégoire Clémencin : Yahoo, Le Portail du Net

21 mars 2000 à 00h00
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! Inc. est le plus grand "média" du Net. Entreprise globale de communication, d'information et de commerce, offrant ses services à plus de 60 millions de personnes, Yahoo! est désormais la marque la plus souvent associée à l'Internet. Les deux diri

JB - Messieurs Guillanton et Clémencin, bonjour. Crée il y a quelques années, Yahoo est devenu un géant, tant en matière d'audience, que de notoriété ou de capitalisation boursière. Comment peut-on expliquer un tel succès?

PG - Par la qualité du produit avant tout. L'intuition qui a permis aux deux fondateurs, David Filo et Jerry YANG, de créer le concept d'annuaire de sites ; puis leurs trouvailles techniques pour le faire fonctionner ; puis une très grande rigueur dans la gestion de la croissance de ce produit, ainsi que la facilité du bouche à oreille que la marque et cette qualité contribuaient à se produire. Ensuite, l'établissement visionnaire du business model par Tim Koogle, actuel Chairman, dès 1995, consistant à mettre en place un outil universel de connection entre les Consommateurs, le Contenu et les Commerçants. Enfin, une rapidité et une rigueur absolues dans l'exécution de ce modèle. La valorisation boursière, c'est la projection sur les résultats que draînera ce modèle si nous continuons de réussir à l'appliquer, et la confiance, sur la foi des résultats déjà démontrés, dans notre capacité à le faire.

GC - En effet, j'aurais tendance à croire que la meilleure explication tient à la façon dont Yahoo! sait présenter le Web et l'Internet à ses utilisateurs, et sait anticiper la demande que génère chez les internautes ce nouveau continent. Ce succès dans l'offre de services se double d'un succès commercial qui entraine une spirale vertueuse !

JB - Y'a t'il de grosses différences entre Yahoo France et Yahoo USA ? Outre la langue, avez vous réussi à conserver une identité locale?

PG - Yahoo! France est le même produit que Yahoo.com, mais avec un contenu totalement différent. Même catégorisation, mêmes méthodes de distribution de contenu, mêmes techniques de commercialisation publicitaire - mais encore une fois, le succès en France est venu comme ailleurs de notre obstination à refaire pour le marché Français, plutôt que d'exporter approximativement le contenu de Yahoo.com. Plutôt que de conserver une identité locale, nous l'avons d'abord créée, et le mouvement est plutôt aujourd'hui vers une globalisation des produits (les nouveaux produits de .com arrivent en Europe de plus en plus vite) tout en préservant cette touche locale déjà acquise.

GC - Tout à fait. Les filiales de Yahoo! sont développées avant tout sur une base géolinguistique, de sorte à répondre au mieux et au plus près aux attentes des publics locaux. Yahoo! France est la version en français de Yahoo!, de même que Yahoo! Corée est sa version en coréen. Cela signifie que le concept de base est préservé ce qui se manifeste notamment par notre charte graphique -- mais que le contenu est refondu pour les besoins locaux : la base de données des sites de Yahoo! France reprend la structuration de celle de Yahoo! mais n'est constituée que de références des sites francophones. Les fils d'information que nous proposons sont des fils d'actualité en français.

JB - Yahoo a été le premier site qualifié de portail... mais acceptez vous ce terme? Que vendez vous? De "l'audience à des annonceurs" ?

PG - Nous l'acceptons sans enthousiasme, puisque s'il définit mal ce que nous faisons, au moins écourte-t-il de nombreuses explications de ce concept. Nous vendons de très nombreuses solutions de ciblage de consommateurs qui s'axent sur l'approche média traditionnelle (achat d'espace contextuel validé par des études d'audience externes sur le profil des utilisateurs de ces contextes), le marketing promotionnel que le web rend si aisé (création de promotions destinées à constituer des bases de données d'utilisateurs pour nos annonceurs), le marketing direct en utilisant les profils de nos utilisateurs qui ont personnalisé certains services (48 millions de comptes My Yahoo!, Yahoo! Courrier, Pager, Chat, etc, ouverts à ce jour).

GC - Personnellement, je n'aime pas le terme de site portail. Je vois Yahoo! comme un exemple particulièrement réussi d'une mise en oeuvre, d'une réalisation, des potentialités du Web : offrir du contenu (l'actualité, les jeux), des données (les sites, les cours, la météo), des fonctionnalités (le courrier électronique, la messagerie instantanée, l'agenda, la réservation de billets), des points de rencontre ('chat' -bavardage-, les clubs, les annonces), etc., le tout dans un environnement homogène, intuitif, simple, efficace et... attachant ! C'est ce qui explique le succès des différents Yahoo! Vis à vis de nos annonceurs, nous faisons bien entendu état de ces atouts, mais nous leur proposons également toute une méthodologie d'exploitation ciblée et raisonnée de cette audience : la puissance seule n'est rien si elle ne peut pas être canalisée et domestiquée.

JB - Aujourd'hui, tout le monde lance son portail. Voila & Wanadoo, hachette.net & club internet, Lokace & infonie et biensûr AOL. Comment Yahoo peut-il conserver sa place sur le marché tricolore?

PG - D'une part en poursuivant et accentuant nos efforts sur le produit. Nous avons certains secrets de fabrication qui recueillent les suffrages de utilisateurs : du contenu est plus facile à utiliser s'il est distribué chez nous que si nous le mettons dans un frame par exemple. C'est systématiquement l'approche difficile, car nos partenaires sont toujours, au début, méfiants par rapport à cette approche jusqu'à ce qu'ils observent qu'elle leur procure à eux aussi des avantages.

D'autre part en accentuant nos efforts de promotion : il est intéressant que nous ayons acquis notre 3e position en notoriété, 2e position en pénétration (Médiamétrie Q1 99) et première position en trafic sur ce marché en dépensant en plus de deux ans à peine quelques centaines de milliers de Francs de publicité. Nous sommes conscients que cela ne suffit plus, et par ailleurs le revenu que génère notre présence en France permet désormais d'envisager plus sereinement quelques investissements promotionnels.

Enfin, nous poursuivons nos efforts de distribution sur d'autres sites. Les très nombreux sites proposant des solutions de recherche ou de navigation Yahoo! contribuent à ce succès ; là encore, pas de solution de facilité : le co-branding approximatif de pages d'annuaires ou de moteurs ne satisfait pas l'utilisateur et ne bénéficie par ailleurs à aucun des partenaires, qui diluent leur identité - et comptent souvent, de surcroît , deux fois le trafic généré, au détriment de la clarté du marché publicitaire.

GC - En restant Yahoo! bien sûr. Mais il n'y a pas de raison pour que Yahoo! soit le seul acteur en vue sur le Net francophone. Nous avons cet avantage d'être parmi les pionniers, d'avoir expérimenté beaucoup et appris beaucoup, c'est à dire que nous avons cet avantage d'avoir sans doute un temps d'avance sur nos concurrents. Nous entendons bien consolider ce savoir-faire et démontrer notre inventivité

JB - Le rachat de Geocities par Yahoo est-il une simple opération pour élargir la surface publicitaire ou préfigure t'il une véritable fusion des deux services ?

PG - Il préfigure une intégration des services de Geocities dans l'univers Yahoo!. Comme lors de toutes nos acquisitions, nous identifions des fonctionnalités qui apportent des avantages à nos produits existants, puis nous évaluons s'il faut développer en interne ou acquérir, puis nous bougeons vite.

JB - Quelle importance accordez vous à votre marque? Pensez vous pouvoir entamer une diversification? (Yahoo voyages, Yahoo TV, Yahoo PC, Yahoo fournisseur d'accès, etc..) ou souhaitez vous rester un géant du "Online", un "informédiaire"?

GC - Notre marque est indéniablement l'un de nos meilleurs atouts. Si vous sous-entendez par diversification une arrivée de Yahoo! dans d'autres contrées que le Net (agence de voyage, chaîne télé, FAI...), la réponse est négative : notre métier de base est l'offre de contenus et de services sur le Net, et nous restons sur le Net. Mais nous n'y resterons pas nécessairement dans le périmètre d'aujourd'hui : nous entendons explorer toutes les possibilités qui s'offrent ici, y compris peut-être en les inventant ! Oui donc à un Yahoo! Voyages, oui à un Yahoo! Santé vous offrant conseils et assistance ou à un Yahoo! Pizza vous permettant de commander le dîner qui accompagnera votre partie d'échecs sur Yahoo! Jeux si de tels services peuvent se justifier, d'un point de vue fonctionnel et économique.

JB - Alors que la plupart des nouveaux sites font la part belle aux images, au flash ou au java, Yahoo reste d'une étonnante sobriété en étant essentiellement en plein texte. C'est du réalisme face à la lenteur des transmissions actuelles?

GC - C'est en effet un choix de confort pour nos utilisateurs. Par ailleurs, le texte est encore ce qui se démode le moins vite. Et puis, c'est vrai, c'est désormais presque une marque de fabrique ! Cela dit, que les possibilités techniques surviennent et se démocratisent, et nous serons présents pour répondre aux attentes légitimes qui se feront jour.

PG - Oui. Le résultat est immédiatement perceptible pour l'utilisateur ; et fait très vite la différence pour nous, contribuant pour une large part à nos positions concurrentielles d'aujourd'hui.

JB - La personnalisation des portails n'a pas rencontré le succès escompté. Comment expliquez cela?

PG - 48 millions de comptes ouverts ne me parait pas témoigner d'un échec. La personnalisation marche, chez nous, extrêmement bien et ses applications marketing (voir plus haut) sont pour nous en pleine explosion. Nos avantages à cet égard : la personnalisation universelle, à savoir qu'en s'enregistrant une fois l'utilisateur a accès à tous les services personnalisés dans le monde entier ; et là encore, un savoir faire pour rendre ce concept facile à mettre en oeuvre pour l'utilisateur. Se créer son Mon Yahoo! est à la portée de tout internaute dès qu'il commence à maîtriser la navigation.

JB - Que pensez vous de vos concurrents, tant sur le marché français qu'international? Comment voyez vous la montée en puissance de Voila de ?

PG - Nous sommes très fiers de notre indépendance. Certains de nos concurrents l'ont sacrifiée en privilégiant certaines solutions d'accès à Internet (Excite et @Home par exemple). D'autres en se rangeant sous une bannière média traditionnelle, ce qui nous semble museler le potentiel du web, qui va bien au-delà des médias. "Voila" est le meilleur moteur de recherche francophone. Les solutions de contenu ne sont pas encore toutes convaincantes, mais l'intelligence mise en oeuvre pour en arriver à aujourd'hui laisse augurer d'un développement de qualité. Les solutions de guide de France Telecom ne sont en revanche pas encore à la hauteur. Par ailleurs, nos avantages concurrentiels (mais rien n'est jamais acquis) résident dans l'universalité de notre marque, tant à travers nos produits qu'à travers les pays.

JB - Quel est l'avenir du portail? le service, le contenu, l'interactivité? Craignez vous le developpement de "portails thématiques"? (Thalassa annonce un "Yahoo de la Mer")

PG - Ces concepts sont intéressants, surtout dès lors qu'ils développent des contenus spécifiques, puis s'aperçoivent du besoin qu'ils ont de diffuser ce contenu le plus largement possible - et nous pouvons alors coopérer et bénéficier mutuellement les uns des autres. Nous connaissons les directions dans lesquelles nous nous développerons à l'avenir : comme je le disais plus haut, la mise en relation des consommateurs, du contenu et des commerçants. Est-ce l'avenir des portails ? Yahoo! est-il un portail ?

GC - Les trois mots-clés de votre question décrivent assez bien ce que peuvent être nos pistes de développement. Notre plan de développement est assez chargé cette année pour ce qui concerne les produits et services à lancer sur Yahoo! France : les premières sorties ne devraient pas tarder et s'enchaîneront jusqu'à la fin 1999.

JB - Certains américains s'attendent à voir les portails se transformer en véritables microsoft office en ligne et gratuits. Traitement de texte en ligne, tableur, agenda, e-mail, cv, etc... qu'en pensez-vous?

PG - Du bien. Yahoo! Calendar propose aux utilisateurs de gérer leur agenda sur Yahoo! tout en le synchronisant avec un assistant personnel, et en le branchant dans tous les autres services : rappel de RVs par email, coordination de tous les agendas des membres d'un club, etc. Une fois encore, tous les services qui apportent à l'utilisateur un bénéfice et un confort dans la gestion de leur vie personnelle ou professionnelle ont leur place sur Yahoo!.

GC - On peut répondre en retournant la question : y a-t-il aujourd'hui encore réellement besoin de disposer sur son propre ordinateur de toute une armada de logiciels -- tous plus gourmands les uns que les autres et plus ou moins compatibles entre eux -- pour assurer la petite dizaine de fonctions de base dont nous avons besoin chacun quotidiennement ? De par les possibilités actuelles et futures du réseau, j'aurais tendance à penser que non : je serais personnellement ravi de pouvoir m'en remettre à des serveurs distants pour la gestion et la mise à jour de tels logiciels. Les services d'e-mail basés sur le Web ont fait leurs preuves, l'agenda de Yahoo! me paraît une belle réussite -- la logique veut qu'on poursuive le mouvement !

JB - Yahoo sera t'il décliné pour la télévision et pour les intelliphones?

PG - La réponse ne dépend pas que de nous. La technologie ne le permet aujourd'hui que très approximativement, d'où les difficultés de Web TV. On peut retourner la question aux télés et aux opérateurs de téléphone : déclineront-ils leurs services pour le protocole IP ?

JB - Comment voyez vous yahoo dans 5 ans?

GC - Cinq ans est un horizon vraiment lointain ! Sans emphase aucune, je verrais bien Yahoo! comme un style de vie, un art de vivre -- à la fois comme un produit totalement intégré, voire banalisé (Yahoo! en tout) et comme une référence ultime, ce que rend bien notre motto : "Do You Yahoo! ?"

PG - J'en garderais le côté métaphorique de la toile d'araignée : un réseau physique (des connexions distantes instantanées) et logique (une mise en relation des individus). Le terminal PC ne devrait plus être qu'un moyen parmi d'autre d'exploitation de ce réseau, peut-être même minoritaire au profit d'autres outils : à la maison, en déplacement, au poignet, dans les lunettes ! Mais je ne suis pas devin !

JB - Voila pour les questions. Messieurs, je vous remercie.

PG - Je vous en prie. Mais on ne dit pas Voila, on dit Yahoo! :-)

GC - Tout à fait :-)

Entretien réalisé en mai 1999 par Jérôme BOUTEILLER
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