Cette intuition est vieille de trente ans : la lumière pourrait un jour servir à piloter les états électroniques d’un matériau. Eh bien, ce jour est peut-être venu : une équipe de chercheurs américains est parvenue à contrôler, à température ambiante, le comportement électronique d’un cristal quantique. Une expérimentation qui donne à voir ce que pourrait devenir l’électronique si elle cessait de dépendre uniquement du silicium.

On doit le fonctionnement, et donc l'efficacité, de nos ordinateurs ou de nos smartphones à une même base depuis des décennies : le silicium. Matériau semi-conducteur par excellence, c'est grâce à lui que nous avons connu toutes les grandes révolutions du numérique. Aujourd'hui, il arrive malheureusement en bout de course. Avec des transistors toujours plus petits, le silicium flirte avec ses limites physiques (chaleur, stabilité et rapidité). Si l'on veut continuer à progresser dans le traitement de l'information, il nous faudra envisager une nouvelle base matérielle.
Parue le 27 juin dans la revue Nature Physics, cette étude américaine nous a laissé entrevoir comment pourrait se profiler cet avenir. Les chercheurs y décrivent comment ils ont réussi à contrôler, à température ambiante, les propriétés électroniques d’un matériau quantique (le 1T-TaS₂) en le faisant basculer à volonté entre deux états opposés, conducteur ou isolant.
À terme, ce tour de force pourrait nous aider à concevoir des circuits mille fois plus rapides que ceux gravés sur silicium. En troquant le silicium et ses millions de transistors contre une matière capable, à elle seule, de changer d’état grâce à une impulsion thermique ou lumineuse.
Contrôler l’électronique à la vitesse de la lumière
Dans l’électronique classique, les transistors fonctionnent comme des interrupteurs : ils laissent passer le courant ou l’arrêtent, selon la tension appliquée. Pour cela, les puces utilisent différents matériaux : des conducteurs, des isolants, des semi-conducteurs. Le tout est organisé pour créer des milliards de petites portes logiques. Un système très efficace, mais lent à l'échelle atomique, et de plus en plus complexe à refroidir à mesure que les composants se miniaturisent.
À l’inverse, certains matériaux dits quantiques peuvent changer de comportement sous l’effet de légères perturbations : un petit changement de température, un éclair lumineux ou une pression localisée. Dans le cas du 1T-TaS₂, une structure en couches d’atomes de tantale et de soufre, le matériau peut passer d’un état métallique à un état isolant à la vitesse de l’éclair. Un inversement de phase quantique, réversible, et donc potentiellement exploitable comme commutateur électronique.
Le problème, c'est que pour provoquer ce changement d'état, il faut des conditions extrêmes : des températures cryogéniques proches du zéro absolu, souvent inférieures à - 200 °C, et parfois des impulsions énergétiques très brèves, difficilement reproductibles. Malgré les propriétés stupéfiantes du 1T-TaS₂, il était incapable de fonctionner comme expliqué précédemment hors cryogénie. Ses transitions d’état étaient trop instables ou trop brèves pour envisager quelconque application.
Toutefois, l'équipe américaine, dirigée par Gregory Fiete (Northeastern University, Boston), a réussi à stabiliser durablement ce comportement, grâce à un protocole de chauffage-refroidissement, appelé « thermal quenching ». Celui-ci consiste à chauffer rapidement le cristal pour le faire sortir de son état initial, puis à le refroidir brutalement afin de figer une nouvelle structure électronique.
Le gros challenge ici, c’est de trouver le bon timing : si l’on va trop lentement, le matériau revient à son état d’origine ; trop vite, sa structure se désorganise. En adaptant parfaitement cette fenêtre temporelle, ils ont réussi à stabiliser durablement l'état conducteur du TaS₂ à température ambiante. Tout cela, c'est bien beau, mais que cela change-t-il pour nous ? Si l’électronique doit changer d’ère, c’est peut-être grâce aux travaux de Fiete et son équipe que cette transition commencera.

La lumière pour remplacer le silicium ?
Au lieu d'empiler toujours plus de transistors dans des circuits miniaturisés (une conception qui arrivera dans tous les cas à saturation, comme expliqué précédemment), l'utilisation de la lumière pour agir directement sur un matériau comme le 1T-TaS₂ pourrait nous offrir une toute autre manière de concevoir l'électronique.
Plus besoin de coordonner des milliards d'interrupteurs en silicium, ici, un seul matériau pourra traiter l'information à des vitesses proches des limites de la physique. Comme ce cristal quantique peut changer d'état en un éclair, la matière elle-même devient son propre interrupteur, sans perte ou inertie.
L’intérêt est double : d’un côté, un énorme gain de vitesse, puisque la lumière devient le moteur du calcul ; de l’autre, une réduction drastique de l’énergie nécessaire, car tout se passe dans un même bloc de matière, sans résistance inutile.
« Pour obtenir de vraies avancées en stockage d’information ou en vitesse de traitement, il nous faut un nouveau paradigme », conclut Fiete. « L’informatique quantique est une piste. Une autre consiste à innover du côté des matériaux. C’est exactement ce que nous faisons ici ».
Aucune puce à base de 1T-TaS₂ n'est prête à être glissée dans un smartphone ou dans le châssis d'un ordinateur, nous sommes très loin d'y parvenir. Mais ces chercheurs ont réussi là où des centaines d'autres ont échoué : transformer un cristal quantique instable en matériau exploitable.
Il est évidemment très difficile de dire quand (et si) trouvera sa place un jour dans nos machines, mais nous tenons là peut-être la première preuve qu'une électronique post-silicium est envisageable. C'est, pour l'instant, un exploit de laboratoire ; rappelons-nous que c'est également de cette manière que le silicium est né, dans les années 1950.
Source : Science Alert