En visite sur le nouveau site de Vostotchnyi lundi, Vladimir Poutine a mis en avant le programme spatial russe, avec un accent particulier sur ses ambitions lunaires. Mais les projets déjà définis ont du mal à se matérialiser… Et les partenaires clés s'en vont, comme l'ESA l'a confirmé hier sur ces mêmes missions lunaires.
La crise s'annonce durable entre le spatial russe et le monde occidental.
Quand le savant montre la lune…
Pour la journée nationale des cosmonautes et la célébration de l'anniversaire du premier humain en orbite le 12 avril, le dirigeant russe V. Poutine et son homologue biélorusse A. Loukachenko se sont rendus avec le responsable de Roscosmos (D. Rogozine) sur le site de Vostotchnyi. Ont-ils été influencés par notre article paru la veille ? Probablement pas, puisque cette visite avait d'abord pour but de mettre en valeur les travailleurs du secteur spatial russe, mais aussi de constater les avancées du site de lancement dédié au grand lanceur Angara.
Dans son discours, V. Poutine est resté très vague, évoquant les recherches sur les véhicules spatiaux à propulsion nucléaire, les futurs vaisseaux habités ou une coopération accrue avec le Bélarus. Mais une phrase a fait couler beaucoup d'encre, puisqu'il a également annoncé « relancer le programme lunaire ».
Luna Park
Point de mystérieux programme caché ou de véhicule soviétique remis au gout du jour, V. Poutine évoquait très certainement les trois missions lunaires en préparation depuis bien longtemps dans les bureaux russes, à savoir Luna 25, 26 et 27. Héritières du prestigieux programme Luna (en pause depuis 1976), ces dernières sont censées démontrer progressivement les capacités de missions russes modernes, avec des atterrissages au Pôle Sud lunaire, des expériences ambitieuses et des programmes pour gagner des compétences sur le moyen et long terme. Des missions qui ont cependant été maintes fois repoussées au cours des années passées… Même si Luna-25 est toujours officiellement programmée pour un décollage en août 2022 (et un atterrissage sur notre satellite naturel peu après).
Une « annonce » qui s'inscrit donc plutôt dans une rare continuité : ces projets étant dirigés depuis la Russie, peuvent continuer… Car tous les autres en collaboration sont au point mort. Et l'agenda n'était pas gracieux : le lendemain du discours, c'est l'agence européenne qui a décidé de stopper définitivement ses travaux avec la partie russe sur Luna 25, 26 et 27, avec le transfert de toutes les expériences et développements sur d'autres véhicules.
L'ESA s'en va, la Russie voudra-t-elle tout faire toute seule ?
Depuis l'invasion de l'Ukraine, ces travaux étaient en pause, mais leur cession et le transfert est un geste fort de plus de la part des autorités spatiales européennes. Cela comprend par exemple le boîtier « Pilot » capable de piloter de façon autonome l'atterrissage lunaire en traitant en temps réel les images de la surface (une première démonstration devait voler sur Luna-25) ou une très grande foreuse (le projet PROSPECT) qui devait s'envoler avec Luna 27. Les Européens privilégieront les atterrisseurs lunaires internationaux, en particulier ceux payés dans le cadre des projets publics-privés américains CLPS.
La Russie est de plus en plus esseulée. Aujourd'hui même, le directeur de l'Académie des sciences de Russie a aussi affirmé que ses homologues chinois avaient « mis en pause » leur collaboration… Dans ce cadre isolé, la nation pourrait tout de même marquer les esprits si elle arrivait en 2022 à réussir sa première mission lunaire en 46 ans, en posant un véhicule à la surface de la Lune au moment où le programme américain est très en retard. Un accomplissement technologique autant que politique, dans le contexte actuel.
Source : Arstechnica