Sigma Theory : attention à l'effet papillon

Kevin Gainche
Spécialiste gaming
11 mai 2019 à 17h04
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Sigma Theory

Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !

Avant propos

Ou l'on parle de décisions...

Contrairement à la plupart des médias, qui instaurent un dialogue à sens unique avec leur récepteur, le jeu vidéo entretient pour sa part sa part une conversation avec ses joueurs. Dans sa forme la plus basique, chaque pression sur une touche est suivie d'une réaction à l'écran, et chacun, jeu comme joueur, agit et réagit aux actions de l'autre. Lancer un jeu, quel qu'il soit, revient invariablement à enchaîner les prises de décisions, pour le meilleur comme pour le pire. Aller à gauche ou à droite. Prendre telle ou telle compétence. Sauter ou non. Choisir un personnage plus qu'un autre. Toutes ces interactions finiront par façonner notre expérience de jeu, et la perception, bonne ou mauvaise, que l'on a d'un titre. D'autant plus si l'on a l'impression de se faire flouer, ce qui peut arriver de bien des manières.

« Si le choix, la décision, dans sa plus simple expression, déraille, impossible alors de ne pas sentir la moutarde monter au nez »



Ce sentiment peut naître de bien des manières, et la première qui me vient à l'esprit est indéniablement celle qui repose sur l'imprécision, ou l'injustice d'un gameplay. Pour en revenir à ce que je disais un peu plus haut, la majeure partie des choix que l'on réalise en jouant, revient à presser des touches pour effectuer quelque chose : courir, sauter, donner un coup, faire une passe, accélérer ou bien s'agripper. Bref, une action nécessaire à votre progression. Si jamais, alors que vous avez pris la bonne décision, l'action qui correspond ne se réalise pas, ou bien pas comme elle le devrait, difficile de ne pas se sentir trahi. Si le choix, la décision, dans sa plus simple expression déraille, impossible alors de ne pas sentir la moutarde monter au nez, de lâcher un « Sérieux ?! » ou tout autre vitupération plus haute en couleur.

Sigma Theory
Le recrutement de vos agents, une phase primordiale

Le cas le plus frustrant reste sans aucun doute lorsqu'un tel déraillement intervient dans un gameplay par ailleurs fluide. Souvenez-vous des premiers Assassin's Creed, du plaisir de grimper sur les toits à la volée dans une course effrénée. Grisante. Je ne compte plus le nombre de fois où ce flot a été interrompu parce que subitement, mon personnage se mettait à sauter à côté de poutrelle visée pour aller s'écraser lamentablement des dizaines de mètres plus bas. C'est un problème que l'on a aussi pu retrouver dans de nombreuses critiques de Red Dead Redemption 2, qui empile les systèmes les uns sur les autres jusqu'à la boursouflure, ce qui n'a pas été sans engendrer des soucis. De nombreux joueurs se sont ainsi retrouvés à coller un gnon à leur cheval alors même qu'ils souhaitaient le bichonner, la faute à une interaction mal fichue.

Dans ces deux cas de figures, et il en existe des tas d'autres, ces problèmes ne sont pas le fait d'une mauvaises décision du joueur, et immanquablement, injustice et frustration pointent le bout de leur nez, laissant un gout amer dans la bouche. Il en va de même lorsque le jeu décide prendre son interlocuteur pour un imbécile en lui donnant l'illusion du choix. Il n'est pas rare, dans les productions indés comme AAA, d'avoir l'opportunité d'effectuer des choix au cours d'une partie. Dans bien des cas toutefois, ces choix sont illusoires, et peu importe les décisions que l'on prend, l'histoire finit toujours au même point. Comme si ce que le joueur avait fait ne servait au final à rien. Un artifice aisément repérable, qui porte au final plus préjudice qu'autre chose lorsque l'on doit tirer un bilan de son expérience ludique.

« Chaque choix façonne le déroulement de la partie, obligeant le système à s'adapter à votre développement »



Heureusement, de nombreux titres arrivent à tirer leur épingle du jeu en la matière. Et à mon sens, il existe deux grandes familles de jeux qui illustrent parfaitement le sujet. Pour commencer, et je pense que vous serez d'accord avec moi, les jeux de stratégie ont parfaitement assimilé cette notion afin de la placer au cœur même de leur gameplay. Dans ce type de jeu, et que ce soit pour les jeux en temps réel comme pour les jeux au tour par tour, chaque action est une décision. Exploration, construction, attaque, développement de technologie et autres actions typiques du genre s'amoncellent les uns à la suite des autres pour former une partie. Chaque choix façonne le déroulement de la partie, obligeant le système à s'adapter à votre développement, à s'ajuster à la manière dont vous jouez.

Il en va de même avec les jeux narratifs, dans la droite lignée du Walking Dead de TellTale. S'il existe une trame de base, chaque choix effectué par le joueur fera bifurquer l'histoire dans telle ou telle direction, menant par exemple à la disparition d'un personnage, à des événements particuliers, et pour finir, à une conclusion différente. Bien évidemment, ce type de jeu ne peut pas proposer une liberté de choix totale, et bien souvent, ces histoires s'articuleront autour de moments clefs, invariables, et communs à tous les joueurs. Cela demandera d'ailleurs aux scénaristes une bonne dose de virtuosité pour ne pas se laisser prendre au piège de l'incohérence ou de la facilité. Mais lorsque c'est bien fait, on se retrouve en tant que joueur, face à une expérience très personnelle, reflet de nos actions. Et il n'y a rien de plus plaisant, après avoir terminé un tel jeu, que de comparer son expérience à celle du voisin pour découvrir qu'il a vécu tout autre chose.

Sigma Theory
La carte tactique, l'écran que vous verrez le plus et qui vous servira à donner vos ordres

Quel que soit le jeu auquel on joue, il est extrêmement plaisant de savoir que les choix que l'on fait comptent. Et à mon sens, cela ne se traduit jamais mieux que lorsque l'on se rend compte, à un instant T, qu'une décision prise quelques minutes ou heures auparavant s'en vient nous hanter. Vous savez, ce choix, insignifiant sur le moment, vite oublié, qui entraîne au final de lourdes conséquences, pouvant même aller jusqu'à faire entièrement dérailler un plan parfaitement huilé. Je me souviens encore d'une quête de Kingdom Come Deliverance, toute bête en apparence, qui m'a particulièrement marqué. Dans ce RPG médiéval pas fantastique (pas de magie, de dragon, et autres joyeuseté du genre) qui se déroule au 13e siècle, vous incarniez un fils de forgeron promis à de grandes choses.

Au fil de votre aventure, vous serez amené à côtoyer les puissants, qui vous confieront de menues tâches, dont celle peu reluisante, de trouver des candidats pour les prestigieux postes de porteurs d'eau et videurs de latrines. Pour ce faire, vous devrez interroger les candidats potentiels, et en apprendre plus sur leurs vies, et leurs envies, et leurs besoins avant de leur assigner une des deux tâches. Une mission simple, en somme. Du moins c'est ce que je croyais. Car en revenant plus tard dans la ville, j'ai recroisé une des candidates que j'avais recommandée pour le poste de porteur d'eau. Un travail rude, mais qui payait bien, et dont elle avait besoin pour obtenir des soins pour son mari. Ce que je n'avais pas calculé, c'est que sa charge de travail l'avait tellement accaparé, qu'elle n'avait plus de temps à consacrer à son mari, qui était entre temps décédé. J'appris aussi par sa bouche qu'un autre des candidats, affecté aux latrines, s'était tout simplement suicidé, insatisfait de sa condition.

« Et c'est par ce genre de petites attentions aux choix du joueur, que l'on reconnait les grands jeux. »



Et croyez-le ou non, cela m'a affecté plus que de raison. Une fois la mission terminé, c'est avec le sentiment du devoir accompli, persuadé d'avoir aidé ces pauvres gens, que j'étais reparti par monts et par vaux. Je n'avais pas mesuré l'impact de ces décisions sur ces pauvres PNJ, et à quel point j'avais joué un rôle dans leur misère. Et c'est par ce genre de petites attentions aux choix du joueur, que l'on reconnait les grands jeux. Lorsque des décisions, anodines en apparence, ont plus d'impact qu'on ne le pense. Et c'est exactement le genre de chose qui pourra vous arriver lorsque vous jouerez à l'Indiescovery de la semaine : Sigma Theory.

Sigma Theory

par Mi-Clos Studio, Goblinz Studio et FibreTigre (2019)

Avant de commencer, je tiens à être tout à fait honnête, je dois avouer que j'ai dérogé à ma règle habituelle et joué plus de deux heures douze à Sigma Theory. Pourquoi ? Et bien d'une parce que c'est excellent et qu'il est très difficile de s'arrêter en cours de partie (le fameux syndrome du un tour de plus des Civilization). De deux, parce qu'il est très difficile de parler de ce jeu correctement, selon moi, sans avoir disputé quelques parties.

Sigma Theory
Les phases d'exfiltration, des moments de tension qui peuvent très, très mal tourner

Sigma Theory, pour simplifier à l'extrême, est un jeu de stratégie au tour par tour, qui vous place à la tête d'une division Sigma, que vous devrez gérer. Mais qu'est-ce donc qu'une division Sigma, vous demandez-vous sans doute ? Sigma Theory nous propose de découvrir un futur proche, dans lequel les progrès de la science ont permis de découvrir la théorie Sigma qui donne son nom au jeu. Une théorie qui permet de réaliser des bonds géants dans différents domaines de recherche (économie, médecine, robotique, astronomie et psychologie). Des progrès tellement radicaux, qu'ils seront capables de chambarder l'équilibre du monde, et potentiellement, le précipiter vers sa fin. En tant que chef de la division Sigma d'un pays, choisi par vos soins pour ses avantages, vous devrez tout faire pour assurer le triomphe de votre nation, et si possible, ralentir les progrès de vos voisins dans la course aux technologies Sigma.

Pour ce faire, vous aurez plusieurs armes à votre disposition. A commencer par vos scientifiques, des spécialistes d'une des cinq branches de recherche, qui travailleront activement au développement des nouvelles technologies, et que vous devrez protéger à tout prix. Ensuite, et c'est là votre fer de lance, une équipe de barbouzes que vous pourrez envoyer à travers le monde pour effectuer vos basses besognes, que ce soit trouver des saletés sur les diplomates étrangers afin de les faire chanter, essayer de subvertir ou séduire les scientifiques adverses, ou encore hacker les bases de données d'un autre pays pour leur voler leurs données de recherche.

« Cette phase d'étude est primordiale, car elle aura un impact énorme sur le déroulement de votre partie. »



En début de partie, vous pourrez recruter quatre de ces agents en les choisissant dans une liste. Chacun d'entre eux dispose de motivations propres, de traits de caractère et de compétences qu'il vous faudra étudier pour pourvoir les utiliser au mieux pour votre profit. Cette phase d'étude est primordiale, car elle aura un impact énorme sur le déroulement de votre partie. Certains de vos agents pourront par exemple refuser purement et simplement d'exécuter certaines missions si elles contreviennent à leur code moral. Quant à d'autres, ils pourront décider d'agir de leur propre chef, quitte à vous porter préjudice. Le genre de décision qui peut vite faire basculer votre destinée, surtout lorsque vous leur confiez une mission aussi délicate que l'exfiltration d'un scientifique ennemi.

Sigma Theory
Il semblerait que mes supérieurs ne soient pas très content de mon travail


En tant que chef de la division Sigma, vous devrez ensuite donner des ordres à tout ce petit monde. Depuis votre salle tactique, face à la carte du monde, vous devrez prendre des décisions jour après jour. Envie d'envoyer un agent dans un pays concurrent ? Allez-vous le faire partir rapidement, ou tenter de l'infiltrer afin qu'il puisse entrer avec une arme à feu ? Besoin de pirater une nation ? Votre agent opérera-t-il depuis chez vous pour bénéficier de meilleures infrastructures, au risque de détériorer les relations avec la nation cible en cas d'échec, ou bien réalisera-t-il son méfait depuis une autre nation pour ne pas se faire repérer, ou attiser les dissensions entre ces deux nations ? Envie de subvertir un scientifique adverse ? Allez-vous le corrompre, tenter de le convaincre de bosser pour vous, ou bien envoyer un de vos agents pour le, ou la séduire ? Autant de choix qui façonnent le cours de votre partie, et la destinée du monde (rien que ça).

« Car voyez-vous, chacun de ces choix entraîne des conséquences. »



Car voyez-vous, chacun de ces choix entraîne des conséquences. Si l'un de vos agents entretient une relation amoureuse avec un scientifique, il aura besoin de nourrir cette relation, ce qui le rendra indisponible par moment. Si les relations se dégradent trop avec une nation adverse, vous pourrez entrer en guerre avec elle, ce qui fera baisser votre réputation auprès de vos supérieurs. Et cette relation est primordiale. Tant que vous avez les faveurs de votre gouvernement, vous bénéficierez de nombreux avantages : remplacement d'agent, drone de surveillance et d'attaque, liberté de mouvement. En revanche, si vous perdez leur soutien, vous risquez fort de vous retrouver envoyé dans un petit bunker secret, ce qui signera irrémédiablement la fin de votre partie.

Sigma Theory
Le dirigeant du corps armé anticapitaliste me semble étrangement familier...


Et ce n'est pas la seule chose dont vous devrez vous soucier. Car la course aux technologies Sigma est pleine de surprise. Si les scientifiques adverses développent une technologie avant vous, ils bénéficieront des effets pleins et entiers de cette dernière. De quoi entraîner des conséquences fâcheuses, comme la subversion de vos scientifiques ou de vos agents. Il faudra donc en permanence surveiller qu'une nation ne prenne pas trop d'avance dans un domaine de recherche, tout en assurant votre avance. Vous devrez aussi gérer vos relations personnelles, car vous choisirez dès le début du jeu un compagnon qui travaille pour une nation adverse, et qui demandera parfois votre aide. Des groupes d'influences, ou des groupes armés, viendront aussi vous demander des services ou vous menacer. Ils pourront aussi vous récompenser si vous agissez dans leur sens.

« Le choix et la prise de décision, la mesure du risque et de la récompense potentielle deviendront votre sacerdoce »



De nombreux autres systèmes viennent complexifier le déroulement d'une partie. Comme les phases d'exfiltrations, qui demanderont un maximum de préparation, et des choix drastiques durant leur déroulement. Ou bien l'épée de Damoclès permanente que constitue l'Horloge de la Fin du Monde, un compteur qui, comme son nom l'indique, mesure le temps qu'il reste avant la destruction mutuelle assurée des nations. Et ce sont vos décisions qui la feront avancer ou reculer. L'addition de tous ces systèmes permet d'obtenir un jeu riche, complexe, et foutrement intéressant qui vous demandera en permanence de mesurer vos actions. Le choix et la prise de décision, la mesure du risque et de la récompense potentielle deviendront votre sacerdoce, et il faudra en permanence rester sur la corde raide pour ne pas déclencher une fin de partie prématurée. Comme je l'ai dit un peu plus haut, j'ai disputé quelques parties avant de rédiger ce papelard, et à l'heure actuelle, je n'ai toujours pas réussi à en gagner une seule.

Chacune d'entre elle, à sa manière, a réussi à me surprendre par de petits événements que je n'avais pas réussi à anticiper. Et plus que tout, c'est systématiquement le fruit de mes décisions qui m'a gentiment poussé vers la sortie. Des décisions prises parfois de nombreux tours auparavant qui sont venus me hanter, et me mettre un petit taquet derrière le crâne. C'est là que réside toute la richesse de Sigma Theory, et c'est pour cela que je vous incite fortement à lui donner sa chance.

On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :
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Commentaires (3)

Niverolle
Trop chronophage pour moi. En tout cas bravo (et merci) pour ce “papelard”.
soixante
Mais qu’est-ce donc qu’une division Sigma ?
Kevin-J
Merci bien !<br /> Ravi que ce que je déblatère te plaises.
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