Quel entraînement pour Thomas Pesquet avant sa nouvelle mission, Alpha ?

Eric Bottlaender
Par Eric Bottlaender, Spécialiste espace.
Publié le 31 août 2020 à 17h51
Thomas Pesquet à l'entraînement dans la grande piscine NBL de Houston, pour une "sortie scaphandre". Crédits ESA/Thomas Pesquet
Thomas Pesquet à l'entraînement dans la grande piscine NBL de Houston, pour une "sortie scaphandre". Crédits ESA/Thomas Pesquet

Pour sa nouvelle mission de six mois environ au sein de la Station Spatiale Internationale (ISS) prévue en 2021, l'astronaute français de l'ESA suit une intense préparation, entre rappels et nouveautés.

Il devrait décoller du Centre Spatial Kennedy au printemps prochain.

De Proxima vers Alpha

Le 2 juin 2017, dans les steppes du Kazakhstan, la capsule Soyouz MS-03 se posait sans incident, mais en secouant quand même ses deux occupants — le Russe Oleg Novitski et le Français Thomas Pesquet, astronaute de l'agence européenne, l'ESA. La fin d'une aventure de 190 jours au sein de l'ISS qui aura plus passionné les Français que quiconque aurait pu l'imaginer… Le Normand finit même par être élu en 2018 « Personnalité préférée des français » à égalité avec le footballeur Kilian Mbappé !

L'anniversaire des trois ans de son retour, Thomas l'a passé à Houston, au Centre Spatial Johnson. Une « ville dans la ville » qui est le centre névralgique de l'astronautique américaine et le cœur des missions habitées de l'Oncle Sam. Oui, trois ans après l'exaltant voyage à travers l'atmosphère, l'entraînement a repris, malgré la crise sanitaire liée à la COVID-19 qui affecte durablement le fonctionnement des centres de la NASA.

Thomas Pesquet prépare sa prochaine mission, Alpha (la précédente s'appelait Proxima). Elle devrait commencer au début du printemps 2021 par un décollage au sein d'une capsule Crew Dragon de SpaceX. L'annonce elle-même n'a pas surpris grand monde, après différents discours et révélations en 2019 : devenir et rester astronaute est affaire de talent, mais obtenir une mission est aussi le résultat de négociations politiques, et les dirigeants du spatial français ont affirmé depuis plusieurs années qu'ils appuieraient une nouvelle rotation de T. Pesquet au sein de la station.

Aussitôt dit, aussitôt fait : début 2020, Thomas quitte ses fonctions temporaires de pilote de l'avion « 0g » de l'entreprise Novespace, et retrouve l'ESA à plein temps. Tandis que le calendrier se précise, il démarre son entraînement spécifique dans les centres de l'ESA à l'ESTEC (Pays-Bas) et Cologne (Allemagne) avant de partir aux États-Unis.

L'expérience ne fait pas tout

Thomas Pesquet est déjà astronaute, ce qui signifie qu'il n'a pas besoin d'une formation initiale de longue durée comme ce fut le cas après sa sélection en 2008. D'autre part, sa dernière mission est relativement récente, il n'a donc besoin pour le cursus central que de remises à niveau. Cela passe par les langues tout d'abord, notamment l'anglais et le russe qui sont les langues les plus parlées au sein de la station, mais aussi du japonais car il effectuera sa mission avec un collègue japonais, Akihiko Hoshide. Ensuite, il y a des cours nécessaires qui concernent la sécurité et les conditions d'urgence.

Il vaut mieux réviser l'emplacement et l'utilisation des extincteurs lorsqu'on est encore sur Terre... Crédits ESA/Thomas Pesquet
Il vaut mieux réviser l'emplacement et l'utilisation des extincteurs lorsqu'on est encore sur Terre... Crédits ESA/Thomas Pesquet

Il est nécessaire de savoir se repérer à tout moment dans la station, qu'elle soit éclairée ou non, dans un brouillard de fumée toxique ou en pleine perte de contrôle. Cela fait beaucoup à mémoriser, comme les emplacements des dispositifs d'urgence (masques, extincteurs, équipements de test, matériel médical), mais aussi les procédures qui les accompagnent, dans un ordre de difficulté sans cesse croissant.

Après 20 années d'occupation et d'extension, il y a beaucoup à apprendre ou à réviser sur la station spatiale internationale. Que faire en cas de fuite des nouvelles toilettes ? De panne électrique ? De concentration de gaz ? Heureusement pour les astronautes, les agences ont aussi développé et perfectionné leurs méthodes à destination des futurs occupants. Cela passe par de la documentation, des tutoriels vidéo, des échanges avec des astronautes tout juste rentrés de mission.

L'objectif, comme l'expliquent les plus anciens, n'étant pas d'absolument tout connaître « par cœur » mais de savoir réagir efficacement dans toutes les situations. C'est pour cela également qu'il est important que les équipages s'entraînent ensemble de longs mois avant leur départ… Il est capital de pouvoir travailler dans un esprit d'équipe et de confiance absolue : malgré les procédures et les garde-fous, effectuer une mission en orbite c'est aussi remettre plusieurs fois par jour sa sécurité et même sa vie entre les mains de ses camarades.

Seul dans l'espace

Au centre spatial Johnson, Thomas Pesquet a également mis à jour sa formation pour les sorties en scaphandre à l'extérieur de la station spatiale (EVA). C'est un exercice complexe, que de nombreux astronautes rêvent de pouvoir accomplir — et le Français avait eu la chance de sortir deux fois sur les flancs de l'ISS en 2017. Il s'en était sorti avec aisance, ce qui a conduit à ces nouveaux entraînements dans la plus grande piscine du monde, le NBL (Neutral Buoyancy Laboratory). Mais attention, chaque mission à l'extérieur est différente : Thomas avait participé à l'une des nombreuses sorties au service des remplacements de batteries de la station, mais ces opérations sont terminées. Outre une EVA d'urgence (dont on ne peut logiquement connaître aujourd'hui la teneur), les potentielles activités du Français sur les flancs de l'ISS dépendront du calendrier. A noter tout de même que Shane Kimbrough, qui sera aux côtés de Thomas Pesquet pour son voyage, était déjà en orbite avec lui en 2016-2017. Ils avaient réussi une EVA ensemble. Or la NASA, a-t-on coutume de dire, aime les duos expérimentés…

On se souvient de la vue vertigineuse sous les pieds de Thomas Pesquet en 2017. Crécits ESA/Thomas Pesquet

Dans le ventre du Dragon

Une autre particularité de la mission Alpha, c'est que Thomas Pesquet n'aura pas à se former extensivement au pilotage de Soyouz, puisqu'il sera le premier européen depuis une décennie à partir pour l'orbite depuis le sol des Etats-Unis, et plus précisément au sein d'une capsule Crew Dragon de SpaceX. C'est un changement important pour le Français, qui va devoir démarrer une formation spécifique à ce véhicule : les longues heures passées à bachoter ses examens à la Cité des Étoiles, au Nord de Moscou, ne lui serviront à rien (sauf scénario façon « Gravity », ce qu'on ne lui souhaite pas). De plus, si sa formation l'amène à connaître les commandes du véhicule de SpaceX, il n'en sera ni le commandant ni le pilote, il aura donc « juste » à profiter du voyage… Ce qui ne va pas sans son lot de préparation. Thomas Pesquet pourra aussi faire travailler les couturiers de SpaceX sur sa combinaison pressurisée pour le vol, puisqu'elles sont taillées sur mesure.

La NASA et SpaceX disposent de simulateurs à Houston et au siège de l'entreprise à Hawthorne (Californie) où les astronautes vont pouvoir observer leur véhicule, qui sera d'abord désossé avant d'être remis à neuf — puisqu'il faut rappeler que les quatre astronautes de la mission « Crew-2 » décolleront dans la même capsule qui vient de passer deux mois amarrée à l'ISS et s'est posée le 2 août.

Il faut tout de même se familiariser avec les centaines de commandes possibles sur les "écrans tablettes" de Crew Dragon. Crédits ESA/Thomas Pesquet

Choisir la capsule américaine, c'est également changer d'entraînement pour le décollage et l'atterrissage…. ou plutôt l'amerrissage, puisque Crew Dragon est conçue pour déployer ses parachutes et se poser sur l'eau. Il faut donc savoir s'en extraire rapidement, même dans les pires conditions (à l'envers, dans des vagues, avec les parachutes tout près), ou sur le pas de tir 39A du Centre Spatial Kennedy, où les procédures d'évacuation prévoient un court voyage en « panier » le long d'une tyrolienne jusqu'à un véhicule blindé prêt à filer moteur hurlant à travers la lande. C'est un apprentissage complet qu'accomplit actuellement Thomas Pesquet, où sans être « mieux » ou moins bien que Soyouz, tout est différent.

Un laboratoire en orbite !

Enfin, il est un autre élément qui sera différent de la mission Proxima, ce sont les expériences scientifiques que l'astronaute français de l'ESA aura sur son agenda. Car malgré les affirmations de certains critiques mal informés, il ne va pas passer six mois à prendre des clichés à couper le souffle allongé dans la « Cupola » : les journées sont rythmées par des dizaines d'expériences opérées tout autour du monde dont les astronautes sont à la fois les opérateurs, les préparateurs, et parfois les cobayes.

Pour Thomas Pesquet, cela passera par le don volontaire de tous les liquides et solides corporels, de la moelle jusqu'à l'urine en passant par la salive et les cellules musculaires… Mais aussi par des études de plantes, de levures et de petits organismes, et même de cellules souches (de cerveau et de moelle épinière, notamment) pour de futures avancées médicales sur Terre. Chaque année, ce sont plus d'une centaine de publications scientifiques qui s'appuient sur les résultats des expériences menées au sein de la station. Thomas Pesquet, à plusieurs reprises, a formulé le souhait de travailler à des avancées qui permettraient des voyages spatiaux au long cours.

Il retrouvera et pourra poursuivre en plus quelques unes des expériences qu'il avait déjà mené lors de sa mission précédente.

Thomas Pesquet en pleine séance de "food tasting" pour savoir comment équilibrer ses goûts et les rations qui lui seront destinées. Crédits ESA/Thomas Pesquet

Pour se préparer à son programme scientifique, un astronaute est généralement amené à faire le tour du monde, car les centres qui font le relais entre les expériences et les laboratoires au sol sont répartis tout autour du globe. Pour l'ESA, ce seront essentiellement les centres de Cologne et surtout le CADMOS à Toulouse qui serviront d'interlocuteurs principaux, mais de nombreuses expériences sont opérées depuis la Floride, le Japon ou la Russie (même si ces dernières sont rares). Il est d'usage de se rendre sur place pour apprendre les bases de la manipulation pour les expériences, car étant donné leur valeur et la difficulté à les emmener en orbite, une erreur ou une casse peuvent ruiner des années de préparation. Même si les manuels et les explications sont censés être limpides, la préparation est capitale !

Il ne reste qu'un peu plus de six mois d'entraînement pour Thomas Pesquet, et on comprend aisément pourquoi cette période est généralement décrite comme étant le début des difficultés pour les familles des astronautes : loin de chez eux, ils ont peu de temps pour les loisirs (généralement dévolus à la préparation physique) et encore moins pour les visites. Sans compter les difficultés actuelles pour voyager autour du monde en respectant les éventuelles quarantaines entre les nations

Souhaitons bonne chance à « notre » astronaute pour la fin de sa préparation !

Par Eric Bottlaender
Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

Vous êtes un utilisateur de Google Actualités ou de WhatsApp ?
Suivez-nous pour ne rien rater de l'actu tech !
Commentaires (0)
Rejoignez la communauté Clubic
Rejoignez la communauté des passionnés de nouvelles technologies. Venez partager votre passion et débattre de l’actualité avec nos membres qui s’entraident et partagent leur expertise quotidiennement.
Commentaires (10)
casimir79

Un vrai boulot de vacancier! Nan je plaisante. Il faut avoir à n’en point douter un potentiel intellectuel et physique hors du commun. Bonne préparation!

ypapanoel

Ce genre de personne est incroyable. Ils ont un physique au top, de l’entrainement physique et mental, des connaissances dans plein de domaines, des sciences aux langues, des brevets de tout types (pilote…). Même des connaissances de survie en environnement hostile! Pour y arriver il faut de la volonté, de l’intelligence
Bien sûr et en plus de tout ça, ils sont aussi sélectionnés pour leur stabilité psychique : leur aptitude à aider/supporter les autres dans des environnements clos, sans générer de conflit.

Difficile de faire plus complet, plus capable de gérer efficacement/de survivre à n’importe quelle situation.
Ca me bluffe.

Et pendant ce temps là tant se complaisent à regarder secret story ou les chtis contre les marseillais…

faudrait envoyer tout le monde en station spatiale : la sélection naturelle fera vite son choix ! :slight_smile:

maxxous59

Ou même mieux, direction le soleil, ils passent leurs temps à bronzer de toute façon, ce sera juste un poil plus chaud qu’à Marseille !

Niverolle

Oui, souhaitons lui une belle et longue carrière ! Ainsi qu’un « retour sur terre tout en douceur » (pour certains le cap le plus difficile à passer, ce n’est pas ce rythme effréné, mais la fin de carrière, quand tout s’arrête).

julla0

Ca me fait penser au film Proxima actuellement sur Canal+.

Sinon j’ai une petite interrogation, pourquoi, en dehors de l’aspect politique, apprendre le Russe ou le Japonais, alors que l’Anglais, en tant que langue internationale, serait plus à même d’être adopté par tout le monde et ce d’autant qu’ils ont déjà bien d’autres choses à apprendre?

Niverolle

Ben le cyrillic est incontournable dans l’ISS (à commencer pour les opérations de maintient en orbite). J’imagine aussi que le japonnais peut-être utile pour le module JEM (et par simple courtoisie si tu es polyglotte).

julla0

Ca répond pas vraiment à ce que j’ai demandé, tu ne fais que répéter…
Aspect politique, protocolaire, courtoisie, appelle çà comme tu veux.

Vu le niveau de ces personnes, l’Anglais me semble une base facile à acquérir et qu’ils ont surement tous déjà acquis, d’où ma question sur l’utilité réelle des autres langues.

Niverolle

L’anglais est bien la langue officielle à bord de l’ISS. Mais visiblement tu as du mal avec le mot « incontournable »: rien que le vaisseau Progress (qui existait bien avant l’ISS) et le module Zvezda, qui sont les seuls à permettre le maintient en orbite de l’ISS, sont russes, archi-russes !!! Maintenant, si tu veux forcer les russes (et pendant que l’on y est, les chinois) à parler en anglais quand ils volent dans l’espace, ben, euh, bon courage :joy:

julla0

Ou vois-tu que j’ai un problème avec le mot incontournable que tu es d’ailleurs le seul à employer? Tu es une référence en la matière?
Les Russes et les Chinois (que viennent-ils faire là-dedans d’ailleurs?) parlent Anglais, hein…

Niverolle

Sauf que leur vaisseaux fonctionnent respectivement en russe et en chinois. Et celui qui les fera changer pour anglais n’est pas encore né…