À peine plus d'un an avant Artemis II, la première mission lunaire habitée du XXIe siècle ?

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
22 octobre 2023 à 17h30
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Pour la première fois depuis 1972, des astronautes bénéficieront de cette vue © NASA
Pour la première fois depuis 1972, des astronautes bénéficieront de cette vue © NASA

Après des années de retard, la NASA a testé avec succès l'an dernier sa capsule Orion autour de la Lune. Une répétition générale au service d'un premier vol habité toujours prévu l'an prochain, et tout porte à croire que la fusée, sa capsule et les astronautes seront au rendez-vous.

En novembre 2022, la NASA a réalisé un véritable exploit avec sa mission Artemis I. En trois semaines, grâce à un décollage impeccable de la fusée géante SLS (Space Launch System), puis à un trajet autour de la Lune de la capsule Orion, qui s'est conclu exactement comme prévu au large de la Californie, l'agence américaine a fait taire les innombrables critiques sur le programme.

Ses coûts ahurissants et ses milliards de dollars de dépassement hors budget, ses années de retard (pensez donc, la mission, qui s'appelait alors EM-1, était annoncée pour 2018)… Tout n'était pas oublié pour autant, mais le programme Artemis a fait renaître l'impatience de nouvelles missions lunaires habitées. Et en 2023, l'agence poursuit ce tour de force, car elle n'est pas (trop) en retard, le départ des quatre pionniers pour un voyage autour de la Lune est toujours prévu pour l'an prochain.

L'équipage s'entraîne, la NASA (re)découvre les missions lunaires

En avril dernier, l'agence américaine sélectionnait en grande pompe Reid Wiseman (commandant), Victor Glover (pilote), Christina Koch et l'astronaute canadien Jeremy Hansen en tant que premier équipage pour Artemis II. Ensemble, ils partiront pour une mission de deux à trois semaines à bord de la capsule Orion pour aller survoler la Lune. Cette nomination a pris place très tôt, mais la NASA en profite, car elle dispose dès à présent d'ambassadeurs de luxe pour son programme lunaire.

En effet, les quatre astronautes ont beaucoup voyagé ces derniers mois. Les voici tantôt en Floride pour un événement « à la rencontre de leur capsule », sur le pas de tir pour tester les équipements et les combinaisons, à la Nouvelle-Orléans pour visiter la production de la fusée, ou même à Brême, en Allemagne, pour voir la ligne de production des modules de service européens. Un « soft power » à l'américaine qui marche bien : Reid, Victor, Christina et Jeremy sont bel et bien les prochains humains à s'envoler pour la Lune.

Les 4 astronautes lors d'une répétition sur le bras d'accès à la fusée © NASA
Les 4 astronautes lors d'une répétition sur le bras d'accès à la fusée © NASA

Pour la NASA, c'est aussi l'occasion de mettre le pied à l'étrier pour certains aspects de missions habitées dont elle ne s'occupe plus depuis la fin des navettes. En effet, pour les combinaisons ou scaphandres légers de la capsule Crew Dragon, c'est SpaceX qui s'en occupe. Pour Artemis, c'est la NASA. De même, il a fallu tester les véhicules pour embarquer les astronautes jusqu'au site de lancement, les procédures d'embarquement et d'urgence, le bras d'accès pivotant… Tant de systèmes à gérer pour des missions qui se rapprochent.

L'agence américaine en a même profité pour mettre en place de nouvelles formations pour plus tard. Ainsi, même si les quatre membres d'Artemis II n'iront pas poser le pied sur la Lune, la NASA leur a dispensé des cours de géologie, expliqué la manipulation d'échantillons, etc. Il faut bien commencer quelque part, et un programme lunaire est un ensemble de missions très différent des rotations bien rodées vers l'ISS.

Artemis II, c'est aussi une nouvelle capsule habitée à piloter © NASA
Artemis II, c'est aussi une nouvelle capsule habitée à piloter © NASA

Une fusée en pièces détachées

La fusée Space Launch System, qui propulsera les astronautes vers la Lune, n'est pas encore prête, et c'est logique, à un an de son décollage. Mais les éléments qui la constituent seront bientôt tous rassemblés en Floride pour démarrer l'assemblage au premier trimestre 2024. Les éléments des deux gigantesques boosters auxiliaires, par exemple, sont arrivés en septembre au Centre spatial Kennedy en convoi ferré.

Débarqués de leur train spécial, les dix segments vont être préparés, puis préassemblés dans le bâtiment d'assemblage, le VAB. Une majorité des autres pièces se trouvent aussi sur place, comme le deuxième étage de la fusée, l'ICPS ou les adapteurs. Il manque tout de même le premier étage, qui est encore sur le site de Michoud, à la Nouvelle-Orléans. Mais depuis quelques semaines, ce dernier est complet, avec l'ajout de ses quatre moteurs, et il subit quelques tests unitaires en attendant les dernières pièces en retard (la faute à un fournisseur externe) avant d'être envoyé par barge à la mi-décembre.

Autre élément important, la tour de lancement, qui permet de remplir les réservoirs, assure la stabilité de la fusée et permet l'accès des astronautes, est depuis le mois d'août en test sur le pas de tir. Elle a été réparée après le décollage Artemis I, puis aménagée pour accueillir les astronautes. Lorsque ses tests seront terminés, elle sera emportée avec la table de tir dans le VAB directement pour supporter les opérations d'assemblage. En matière de communication, ce sera également un outil puissant. Cette fois, la NASA assemblera à nouveau une fusée lunaire habitée.

L'étage central de la fusée SLS pour Artemis II avec ses quatre moteurs, assemblés en septembre © NASA
L'étage central de la fusée SLS pour Artemis II avec ses quatre moteurs, assemblés en septembre © NASA

Orion, équipée comme jamais

Derrière la démonstration technique d'Artemis I, on aurait tendance à oublier que la mission n'a pas testé absolument tous les aspects d'une aventure habitée autour de la Lune, en particulier parce qu'il n'y avait personne à bord (à part trois mannequins). La capsule Orion pour Artemis II sera bel et bien la première à embarquer tout le système de support-vie.

Plus spacieuse qu'Apollo, elle devra tout de même accommoder 4 personnes dans un espace très restreint durant plusieurs semaines, et là aussi, c'est un changement significatif par rapport aux habitudes des astronautes modernes, habitués aux aventures en orbite basse dans l'ISS. Mais les astronautes ont aussi eu leur mot à dire pendant la préparation d'Orion et à propos de l'équipement intérieur, modelé avec leurs retours d'expérience.

Orion est en cours d'assemblage avec son module de service européen (l'ESM), lequel a déjà été testé de façon extensive depuis sa livraison. La capsule est à surveiller de près, parce qu'avec ses derniers tests, elle ne sera probablement assemblée à la fusée SLS qu'en été 2024. C'est l'une des étapes du « chemin critique » pour que l'ensemble puisse décoller avant la fin de l'année prochaine. Si Orion ou l'un de ses équipements prend du retard, alors toute la campagne de tir prend du retard. Et pour ceux qui ne se souviennent pas de l'année dernière, il y a des fenêtres de tir spécifiques pour chaque départ pour la Lune, qui ne se répètent que quelques jours chaque mois.

La capsule Orion sans sa coque externe, en septembre. Notez la présence des parachutes principaux, qui sont déjà en place © NASA
La capsule Orion sans sa coque externe, en septembre. Notez la présence des parachutes principaux, qui sont déjà en place © NASA

La NASA prépare les exemplaires suivants

Comme il n'y a eu qu'une seule mission Artemis, ce n'est pas encore totalement évident pour le grand public, mais l'architecture du projet lunaire de la NASA tourne autour d'une continuité de mission sur la décennie. Actuellement, le matériel pour Artemis II est produit, mais, comme nous l'avons expliqué, pas encore tout à fait assemblé.

En réalité, une bonne partie des composants de la fusée pour Artemis III sont déjà prêts eux aussi, et sont en stockage ou en préparation finale. C'est le cas des éléments de boosters (stockés en Utah), de l'étage supérieur ICPS, qui est déjà en préparation en Floride, ou du module de service européen, qui sera envoyé aux États-Unis d'ici la fin de l'année. Pour aller plus vite, la NASA et Boeing préparent même l'étage central en changeant de méthode, la section moteur en Floride et le reste à la Nouvelle-Orléans.

Côté capsules Orion d'ailleurs, c'est un peu un lent embouteillage dans le bâtiment de préparation Armstrong au Centre spatial Kennedy. On y retrouve les véhicules pour Artemis II, III, IV à différents stades de préparation !

Toutefois, alors que les éléments de la NASA s'alignent pour la suite des missions, on pourra remarquer qu'il manque quelques autres éléments d'avenir. Le plus criant aujourd'hui est sans doute Starship qui, à la suite de son échec en vol en avril dernier, n'a pas encore reçu l'autorisation de tenter un deuxième essai et de s'envoler pour l'espace. Ce développement retardé risque non seulement de pénaliser SpaceX, mais aussi la NASA et ses astronautes, car le véhicule de l'entreprise privée est absolument nécessaire dans l'architecture prévue pour l'instant afin d'aller poser le pied sur la Lune.

La Lune est encore loin pour Starship © SpaceX
La Lune est encore loin pour Starship © SpaceX

Or, Starship sera-t-il capable, dans deux ans seulement, de se ravitailler en vol en orbite autour de la Terre avant d'aller se poser sur la Lune ? L'actualité rend sceptique. On pourrait même penser que la NASA devrait faire passer Artemis IV avant Artemis III, car cette mission sera consacrée à la station orbitale lunaire Gateway.

Sauf que pour cette mission, la fusée SLS de l'agence américaine sera équipée d'un nouvel étage supérieur, l'Exploration Upper Stage. Et ce dernier est presque aussi en retard que Starship. Il est très peu probable qu'il soit prêt en 2026-2027, la date actuellement prévue pour qu'il emmène des astronautes avec un module de la Gateway.

Vue d'artiste de la station Gateway, lorsqu'elle comptera au moins 3 modules et un cargo © NASA
Vue d'artiste de la station Gateway, lorsqu'elle comptera au moins 3 modules et un cargo © NASA

Autour de la Lune ou sur la Lune ?

C'est toute la différence ! Si la NASA est en train de réussir son pari avec Artemis II, et va probablement envoyer 4 astronautes autour de la Lune l'an prochain, c'est la belle devanture d'un magasin un peu vide. Les technologies qui vont permettre aux Américains de fouler à nouveau le sol lunaire ne sont pas prêtes, les évolutions de la fusée SLS non plus, les contrats pour les scaphandres ont été passés l'an dernier (c'est ric-rac)… Pire, la NASA risque même de voir son budget décroître dans une situation économique et politique compliquée pour le gouvernement américain.

Artemis ne sera pas menacé, mais les objectifs pourraient bien glisser sur un calendrier plus élargi. Un comble quand justement, la Chine a annoncé elle aussi viser des missions lunaires habitées, mais en concentrant dès l'origine ses efforts sur la colonisation de la surface. Quoi qu'il en soit, l'aventure sera de mise, et le retour des astronautes autour et sur la Lune sera passionnant !

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (11)

Kriz4liD
Ils sont allés avec moins de moyens et un ordi aussi puissant qu’une calculatrice! Je me demande ce qui bloque aujourd’hui…
Blade_Hunter
la compétition avec l’union soviétique?
tinou7789
l’envie de pas tuer les mecs dans la capsule, c’était accessoire pendant la course contre l’URSS.
NickGTT172
Le budget :<br /> Le programme Apollo c’était l’équivalent de 245 Md$ actuels.<br /> De nos jours, le budget annuel de la NASA est de 25-30Md$ (tous programmes confondus)<br /> La tolérance à l’échec et à possibilité de perdre des vies humaines :<br /> Apollo 11 avait une probabilité de réussite de la mission de 50% et de survie des astronautes de 90%<br /> Actuellement, le minimum acceptable est supérieur à 99%.<br /> Les lois de la physique n’ont pas changé :<br /> Même si la puissance informatique a été multiplié par des millions, il faut toujours construire quelqu chose de colossal pour poser 1 tonne sur la Lune<br />
wedgantilles
Manque d’argent tout bêtement. Certes la technologie a fait d’énorme bon en avant mais en terme de buget, si on compare les budgets à dollars constant (pris sur Wikipedia) 360 millions de dollars entre 62 (discours de Kennedy) et 72 (dernier vol Apollo), entre 2006 et 2020, 350 millions de dollars.<br /> Sachant que la Nasa à l’époque d’Apollo ne devait pas avoir beaucoup d’autres projets à côté voir pas du tout alors qu’aujourd’hui le budget d’Aremis doit être une part de ces 350 millions de dollars.<br /> C’est de la volonté politique qui manque de donner les financements nécessaires, d’où aussi probablement la réutilisation des technologies existantes.
Chirokee
Pourquoi ai-je si peu confiance dans ce programme Artemis ?
Chirokee
A l’époque d’Apollo se préparaient les missions Viking et Voyager qui furent lancées entre 1975 et 1977
Bombing_Basta
Et ils ont tué les missions Apollo 18, 19 et 20…<br /> fr.m.wikipedia.org<br /> Programme Apollo | La fin prématurée du programme Apollo<br /> La NASA se préoccupe dès 1963 de la suite à donner au programme Apollo. En 1965, l'agence crée une structure affectée aux missions postérieures à celles déjà planifiées regroupées sous l'appellation Apollo Applications Program (AAP). La NASA propose plusieurs types de mission dont le lancement en orbite d'une station spatiale, des séjours prolongés sur la Lune mettant en œuvre plusieurs nouveaux modules dérivés du LEM, une mission habitée vers Mars, le survol de Vénus par une mission ha En 1970, ...<br /> Et lancer des sondes inhabitées avec des «&nbsp;petites&nbsp;» fusées coûte bien moins cher que d’envoyer plusieurs jours sur et rapatrier 3 hommes depuis la Lune.
Wen84
Il faut pas négliger qu’entre temps l’expérience a été perdu. Bien sur, je pense qu’ils essayent aussi d’etre plus prudent et économes. Mais il ne faut pas négliger que la mission Apollo ça date. Je pense personnellement que rien n’est magique, si on arrete de faire quelque chose d’aussi fou… tenter de le reproduire soixante ans après, c’est presque comme repartir de zero. La théorie ne fait pas tout.
Martin_Penwald
Mouais, je vois beaucoup de retards ici. Je ne pense pas que la Chine arrivera à poser un gus avant les États-Unis, mais quelque part ça reste possible.
Martin_Penwald
Beaucoup moins de moyens ? Euh, non, la NASA a quasiment eu budget illimité à l’époque, et je soupçonne que la proportion du budget alloué par rapport au PIB était supérieure à celle d’aujourd’hui.<br /> De plus, il s’agissait juste de battre l’URSS, on fait tourner quelques bonshommes sur la Lune et c’est plié. Aujourd’hui, les missions Artemis sont plus ambitieuses, le but est de concevoir une infrastructure pour faciliter les allers-retours vers la Lune, avec probablement à terme l’idée d’y installer une base permanente. Ça n’a strictement rien à voir comme profil de mission.
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