Mais au fait, c'est quoi le lanceur SLS ?

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
14 mai 2022 à 11h11
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Le Space Launch System sur son site de lancement, au centre spatial Kennedy. Crédits NASA
Le Space Launch System sur son site de lancement, au centre spatial Kennedy. Crédits NASA

La fusée géante SLS (Space Launch System) est un impressionnant projet pour donner à nouveau la capacité aux Etats-Unis d'envoyer des astronautes jusqu'à la Lune, et peut-être un jour plus loin. Critiqué pour son budget pharaonique, ses retards et son conservatisme, le projet n'en n'est pas moins passionnant à suivre !

Il implique même l'agence spatiale européenne.

Retour vers le futur

Pour remonter le fil du Space Launch System, il faut probablement revenir en 2009, peu après l'arrivée à la Maison Blanche de Barack Obama. Ce dernier lance un grand audit du programme spatial phare de son prédécesseur, qui ne décolle pas et dérape même sérieusement par rapport à l'enveloppe budgétaire allouée : Constellation. Un projet très ambitieux, pour lequel les Américains devaient retourner sur la surface lunaire, pour une installation et des travaux à long terme. Reste qu'en 2009, il n'y a presque rien : pas d'atterrisseur, pas vraiment de fusée aboutie, pas d'infrastructure et surtout d'autres problèmes, comme la mise à la retraite prochaine des navettes qui se profile sans que son remplacement soit d'actualité. Le résultat ne se fait pas attendre : en 2010, Constellation est annulé. Mais un élément survit au projet : la capsule Orion.

La capsule Orion, ici avec son module de service, pourra embarquer 4 astronautes. Crédits NASA/ESA
La capsule Orion, ici avec son module de service, pourra embarquer 4 astronautes. Crédits NASA/ESA

Pensée initialement comme un vaisseau habité à tout faire, Orion devient, sur la planche à dessin comme dans les projections, de plus en plus lourde. Il est donc décidé d'en faire un véhicule au long cours (au-delà de l'orbite basse) pour amener 4 astronautes jusqu'à la Lune, jusqu'à un astéroïde ou même plus loin, si jamais elle était amarrée à un espace de vie compatible. Voici donc une capsule pleine d'ambition… Ce qui est parfaitement inutile si l'agence américaine n'a pas de quoi l'emmener au-delà de l'orbite basse. En 2014, la NASA utilisera le lanceur commercial le plus puissant au monde, Delta IV Heavy, pour tester une capsule Orion amplement dépouillée et allégée… et ne pourra l'envoyer qu'à 6 300 km de la Terre. L'agence américaine le savait dès qu'elle a gardé Orion sur les cendres de Constellation, il lui fallait un lanceur plus puissant. Un lanceur géant. Le Space Launch System.

Plus c'est gros et mieux ça passe

Avant de rentrer dans les détails, il faut comprendre qu'un lanceur « géant », capable de mener à bien tout ou partie d'un programme lunaire, coûte très cher. Parce qu'il n'est pas et ne sera jamais à visée commerciale, ni rentable. Ensuite, parce que pour ce projet, la NASA, à la demande des politiciens, est maître d'œuvre : ce n'est pas une fusée achetée « clé en main » comme cela peut être le cas pour Atlas V ou Falcon 9, mais une fusée conçue, assemblée, testée par la NASA avec des sous-traitants. Corollaire immédiat d'un tel choix : le budget, qui représente pour SLS seul (hors capsule Orion et infrastructures au sol) environ 1,5 milliard de dollars par an à partir de 2012. Le contrôle des politiciens est important, et leurs choix se retrouvent jusque dans l'ADN de la fusée. Une autre façon de comprendre pourquoi elle est souvent appelée « Senate Launch System » !

L'étage central de SLS. Car ce programme, c'est aussi des hangars, des barges, trois sites de tests, des machines de transport, etc... Crédits NASA
L'étage central de SLS. Car ce programme, c'est aussi des hangars, des barges, trois sites de tests, des machines de transport, etc... Crédits NASA

Même de loin, on la reconnaît

SLS a été pensé comme un lanceur modulable, qui reprendrait initialement un maximum d'éléments ayant déjà fait leurs preuves, avant d'évoluer par petites étapes pour se transformer progressivement en un monstre de puissance, de plus en plus efficace (et idéalement de moins en moins cher). La version de base, qui est celle des premiers exemplaires, s'appelle « Block 1 », et elle n'est véritablement conçue que pour emmener la capsule Orion. Car même si lors du développement, des versions cargo du lanceur géant faisaient partie des visuels, l'agence n'a jamais réussi à justifier les besoins qui allaient avec. Il y aura donc au moins trois (et plus probablement 4 à 5) exemplaires de SLS Block 1. C'est une fusée de 98 m de haut, que l'on reconnait facilement avec ses deux très grands boosters de chaque côté de son étage central de 8,4 m de diamètre, recouvert d'une mousse orange. C'est un revêtement thermique appliqué sur tout l'étage pour garder les liquides cryogéniques à basse température.

Peu après son application, la mousse est encore jaune, et elle vire sur l'orange avec le temps. Ici un segment de l'étage central du premier SLS. Crédits NASA
Peu après son application, la mousse est encore jaune, et elle vire sur l'orange avec le temps. Ici un segment de l'étage central du premier SLS. Crédits NASA

Les différents éléments de SLS sont construits par les géants historiques du spatial américain : les deux boosters par Northrop Grumman, les moteurs de l'étage central par Aerojet Rocketdyne, ledit premier étage par Boeing et l'étage supérieur nommé ICPS (Interim Cryogenic Propulsion Stage) par United Launch Alliance. A ces éléments de la fusée il faut ajouter la capsule Orion, produite par Lockheed Martin. Les moteurs et le premier étage sont assemblés à La Nouvelle Orléans, sur le site de la NASA à Michoud, avant d'être transférés par barge jusqu'en Floride.

C'est là qu'est assemblé le SLS « final », à la verticale au Centre Spatial Kennedy par les équipes de la NASA, et qu'il décollera le moment venu du site de lancement LC-39B. Ce pas de tir historique a déjà vu des fusées lunaires et des navettes s'envoler… mais c'est le même véhicule à chenilles (que l'on appelle un « Crawler Transporter ») qui aura transporté les trois générations de fusées vers leur point de départ pour l'espace !

SLS en route pour son site de lancement. Crédits NASA
SLS en route pour son site de lancement. Crédits NASA

Quand la « récup » ne passe pas

Initialement, SLS devait décoller en 2017 - mais sur les différentes lignes d'assemblages, les équipes ont vite constaté qu'il ne suffit pas de disposer d'éléments repris de projets réussis pour assembler un lanceur de bric et de broc. Surtout un géant ! Les moteurs RS-25, par exemple. Ce sont littéralement ceux des navettes STS, qui ont déjà participé en tout à 21 vols différents avant d'être stockés à la fin du programme et réutilisés pour la mission Artemis 1. Mais ils ont été modifiés, avec notamment un nouveau contrôleur de vol, et peuvent déployer plus de puissance.

D'autre part, il a fallu les tester, et les stocks ne permettent que 4 décollages de SLS avec des anciens modèles. Il faut donc relancer la production… mais avec des technologies plus modernes que lors de la conception des RS-25, qui remonte à 1973-79, donc de nouvelles méthodes (l'impression 3D, les commandes électroniques) pour de nouvelles performances - et donc de nouvelles campagnes d'essais et de nouveaux coûts. La NASA a beau vanter qu'il s'agit des « Rolls-Roys » des moteurs fusées, à pratiquement 150 millions de dollars l'unité (et il en faut 4 par SLS), ce ne sont pas les économies espérées.

Quelques couteux blocages

Le même schéma s'applique pour de nombreux éléments du Space Launch System, ce qui a généré au fil des années des blocages, quelques grands rétropédalages et plusieurs audits catastrophiques du programme et de sa gestion par le bureau (indépendant) relié à la NASA, l'OIG. D'autre part, comme tout projet de lanceur, il inclut quelques mauvaises surprises. Pour SLS, les ingénieurs se sont par exemple rendu compte que la tour de lancement mobile ne pourrait supporter la masse supplémentaire des équipements de la version plus évoluée qui arrivera d'ici 2025-28. Il a donc fallu refaire une tour (plus de 300 millions de dollars).

Les techniques d'assemblages évoluent aussi, et ce n'est pas valable que pour SLS. En 2020, les équipes découvrent qu'un des deux boitiers avec l'avionique de la capsule Orion ne fonctionne pas, mais il est impossible de la changer à temps… Conséquence de ces retards tous azimuts : les pièces qui sont à l'heure sont parfois produites avec tant d'années d'avance qu'il faut des conditions de stockage particulières. C'est le cas, par exemple, des segments des boosters de SLS : tous ceux nécessaires au premier vol ont été produits et remplis de leur carburant solide avant juin 2017 !

Tous les éléments principaux de SLS Block 1. Ce qui a l'air facile, comme ça...
Tous les éléments principaux de SLS Block 1. Ce qui a l'air facile, comme ça...

L'Europe, oui, mais pas n'importe laquelle…

En observant SLS toute assemblée, vous pourrez remarquer un logo de l'ESA, l'agence spatiale européenne. En réalité, les Européens ne participent pas au Space Launch System, mais à la capsule Orion. Mais comme l'un ne décolle pas sans l'autre… L'ESA fournit le module de service de la capsule Orion, c'est-à-dire la partie qui permet à la capsule de manœuvrer avec des moteurs, d'avoir de l'électricité grâce à des panneaux solaires, de l'air grâce à ses réservoirs d'oxygène, etc. Un assemblage complexe et cher pour lequel l'agence européenne (et Airbus DS, maître d'œuvre du projet) sont essentiellement des fournisseurs, et pas tout à fait des partenaires. En effet, ce sont les Etats-Unis qui décident de la quasi-totalité des éléments et de leur intégration. Néanmoins, cela reste un élément européen sur le plus ambitieux programme habité de la NASA au XXIe siècle !

Prudence avant le vol inaugural

Où en est la grande fusée orange aujourd'hui ? Le premier exemplaire est bien proche de son premier décollage. La fusée, complètement assemblée, subit des campagnes de test au Centre Spatial Kennedy. Elle devrait retourner sur son site de lancement en juin pour une simulation de compte à rebours avec remplissage des réservoirs, très attendue. Puis elle sera préparée pour son lancement et la mission Artemis I (cet été ?), au cours de laquelle SLS propulsera la capsule Orion pour une aventure lunaire de 3 semaines. De nombreux éléments du Space Launch System sont déjà prêts pour son deuxième vol un peu partout aux Etats-Unis, mais ce dernier ne devrait pas avoir lieu avant 2024, tandis que les réservoirs, moteurs, la capsule et les boosters du 3e vol se préparent également. Une production qui semble sur les rails pour fournir, dans la seconde moitié de la décennie, une possibilité d'environ un vol par an.

La capsule Orion en préparation, avec son module de service européen. Elle sera un jour réutilisable... Crédits NASA
La capsule Orion en préparation, avec son module de service européen. Elle sera un jour réutilisable... Crédits NASA

Et après ?

Toutefois, au-delà du 3e vol, la « carte postale » est un peu plus nuancée. D'abord parce qu'il ne s'agit plus du court terme, cela excède largement le mandat du président des Etats-Unis actuel (et avec lui, celui des politiciens et même dirigeants de la NASA). D'autre part, c'est le genre de programme qui n'a pas vraiment le droit à l'erreur : si Artemis I se termine en catastrophe, le futur du Space Launch System sera vigoureusement débattu… Il y a aussi la question des coûts et des objectifs, car Artemis semble bien défini aujourd'hui avec son plan pour amener des astronautes d'abord autour, puis sur la surface de la Lune, avant d'en faire une destination « régulière » et de préparer des voyages encore plus lointains. Mais tout cela va coûter très cher au contribuable américain, et si ce dernier n'y apporte pas (via le Congrès) son soutien, SLS disparaîtra.

L'avenir se trouvera peut-être dans ses versions habitées encore plus puissantes, le « block 1b » avec un nouvel étage supérieur beaucoup plus capable, ou même l'hypothétique « block 2 », avec de nouveaux boosters, des moteurs améliorés et une capsule Orion réutilisée. Mais il ne faudra pas non plus oublier le secteur privé : SpaceX et son lanceur géant Starship/SuperHeavy ne marche pour l'instant pas trop sur les plates-bandes du SLS (et au contraire, participe au programme lunaire Artemis). Cela étant, si une version habitée réussit à s'aventurer hors de l'orbite basse et qu'une partie des objectifs de Starship se concrétisent, le support pour SLS pourrait venir à manquer.

La clé de l'avenir du programme est très simple : si elle vole bien, tout le monde sera content... Crédits NASA
La clé de l'avenir du programme est très simple : si elle vole bien, tout le monde sera content... Crédits NASA

Le Space Launch System est un grand programme, avec des objectifs ambitieux qui lui ont été fixés sur le tard. La fameuse « Orange Rocket » elle-même n'est pas parfaite… mais si elle vole, et si elle réussit à emmener des astronautes autour de et même sur la Lune, les Etats-Unis auront à nouveau réussi leur pari. Ils sont toujours les seuls à disposer aujourd'hui des moyens de le faire. Il ne faudra pourtant pas trop tarder, et ce n'est pas que pour des questions budgétaires ou sous la pression du secteur privé : la Chine aussi a la Lune dans le viseur pour ses astronautes…

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (1)

libero78
Sympa l’article, j’ai bien aimé et j’ai trouvé ça très intéressant. ça change des condos d’alims et des débits des SSD <br /> Merci M’sieur Eric
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