L'arnaque des comptes rebonds, qui consiste à faire transiter frauduleusement de l’argent à travers une cascade de comptes bancaires, inquiète l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Elle lance l'alerte dans son dernier rapport.

L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) livre un constat pour le moins alarmant dans son rapport publié jeudi 17 juillet. Ce dernier porte sur les « comptes rebonds », ces autoroutes du blanchiment d'escroqueries, qui déferlent sur le système bancaire français. Ces comptes fantômes ont fait transiter 661 millions d'euros de fonds douteux en 2023, explique l'autorité, place dans son viseur les établissements numériques qui concentrent l'essentiel des virements frauduleux identifiés.
Les comptes rebonds, des comptes fantômes qui transforment les banques en lessiveuses
Imaginez que vous venez de vous faire escroquer 10 000 euros par un faux conseiller financier. Votre argent atterrit d'abord sur un compte bancaire classique. Mais en quelques heures, il va être découpé et envoyé sur 5 ou 6 autres comptes différents, tous ouverts avec de fausses identités. C'est exactement le principe des comptes rebonds : faire disparaître l'argent volé en le faisant bondir de compte en compte.
Cette technique de camouflage rend les enquêtes presque impossibles. Quand la police remonte la piste, l'argent a déjà traversé une dizaine de comptes et file vers l'étranger. D'après l'ACPR, 60% des fonds finissent dans des banques du Luxembourg, de Lituanie ou d'Allemagne. Là-bas, les démarches pour récupérer l'argent traînent pendant des mois, voire des années.
Les escrocs jouent sur la vitesse pour échapper aux contrôles. Ils utilisent les virements instantanés et ferment les comptes dès qu'ils sentent le danger. Au final, 70% de ces comptes disparaissent en moins d'un an, emportant avec eux toute trace de l'argent volé.
Une grande entreprise française a déjà subi ce type d'arnaque
L'enseigne de mode Kiabi a pu découvrir les ravages que peuvent causer les comptes rebonds. Pendant un an, entre juillet 2023 et juillet 2024, sa trésorière a orchestré un détournement colossal de 100 millions d'euros en exploitant cette technique. Elle avait créé des comptes rebonds fictifs dans une banque européenne, camouflant ses virements frauduleux dans le flot quotidien des transactions légitimes de l'entreprise.
La perfidie du stratagème résidait dans sa simplicité apparente. La trésorière présentait ses virements comme des opérations internes de routine. Elle profitait de sa position privilégiée pour endormir la vigilance des contrôles. La mascarade a fonctionné douze longs mois.
Rare entreprise française connue pour avoir été piégée par cette méthode, Kiabi a finalement découvert le pot aux roses. L'ex-trésorière a été arrêtée et mise en examen pour escroquerie et blanchiment. Malgré la saignée financière, le spécialiste du prêt-à-porter aurait préservé sa solidité, mais l'affaire montre tout de même la vulnérabilité des structures complexes face à des fraudeurs qui maîtrise les rouages internes.
Les banques 100% en ligne, cibles privilégiées des fraudeurs
Les banques en lignes, ces établissements où tout se fait par application mobile, sont devenues le terrain de jeu favori des escrocs. L'enquête de l'ACPR montre qu'elles concentrent 90% des virements suspects. Pourquoi ? Car on peut y ouvrir un compte en dix minutes, depuis son canapé, avec très peu de vérifications la plupart du temps.
La simplicité, qui séduit les clients honnêtes, profite malheureusement aux criminels. Certaines banques vérifient l'identité pour moins de 12 euros, là où les banques traditionnelles investissent bien plus. Les fraudeurs exploitent cette faille en créant des dizaines de comptes. Ils utilisent parfois des "mules" - des complices qui prêtent leur identité - ou même des logiciels qui imitent parfaitement un visage humain pour tromper les contrôles.
Alors, pour lutter contre l'inquiétant phénomène, l'ACPR durcit les règles. Elle exige des banques qu'elles vérifient mieux l'identité des nouveaux clients, surtout à distance. Elle recommande aussi de limiter les montants que peuvent virer les nouveaux comptes et de surveiller de près les opérations bizarres, comme un étudiant qui reçoit soudainement 50 000 euros, ou un retraité qui vide son compte vers l'étranger.
17 juillet 2025 à 16h38
Source : Rapport de l'ACPR