La désinformation ne réussit que là où le discernement abdique. © beast01 / Shutterstock
La désinformation ne réussit que là où le discernement abdique. © beast01 / Shutterstock

Pourquoi certaines personnes tombent systématiquement dans le piège des fake news qui se propagent sur les réseaux sociaux ? Une étude américaine vient de mettre au jour un facteur psychologique qui aveugle notre raison lorsqu'elle est confrontée aux flux d’informations qui abondent dans la sphère numérique.

Depuis l'apparition de Facebook en 2004, les réseaux sociaux n'ont plus rien à voir avec ce qui était considéré comme la première plateforme du genre. Pour de nombreuses personnes, ces derniers sont même devenus l'une des principales fenêtres à lorgner pour rester à jour sur l'actualité. On pense notamment à TikTok, qui s'est malheureusement imposé auprès des plus jeunes (12-15 ans) comme une source d'informations « fiable ».

D'où l'intérêt de la recherche à ce propos : pourquoi certains utilisateurs se montrent-ils particulièrement perméables aux fausses informations qui y circulent ? Si le sujet a déjà donné lieu à de nombreux travaux sur les biais cognitifs et les ressorts émotionnels de la désinformation, une équipe de la Michigan State University a choisi d’explorer un angle plus comportemental : le lien entre la dépendance aux réseaux sociaux ou Problematic Social Media Use (PSMU) et la propension à croire aux fake news. Leur étude a été publiée le 7 mai dans la revue PLOS One.

Réseaux sociaux : le règne des avis sans savoir

Dirigée par Dar Meshi et Maria D. Molina, l’étude a mobilisé 189 jeunes adultes âgés de 18 à 26 ans (102 femmes, 86 hommes et une personne qui n'a pas divulgué son genre), exposés à un protocole expérimental en ligne. Chaque participant a été confronté à vingt articles présentés sous forme de publications issues de réseaux sociaux : dix étaient véridiques, les dix autres totalement faux, validés par des vérificateurs indépendants. Les chercheurs ont ainsi demandé aux cobayes d’évaluer la fiabilité de chaque article ; autrement dit, de dire à quel point ils pensaient que l’information était vraie ; avant de mesurer leurs intentions d’interaction : cliquer, liker, commenter ou partager.

Un schéma s'est rapidement dégagé : plus les participants présentaient des signes d’usage problématique des réseaux sociaux (mesurés à l’aide de l’échelle de dépendance de Bergen), plus ceux-ci accordaient de crédibilité aux informations erronées. Un lien qui n’a pas été observé concernant les contenus authentiques. En réalité, la surconsommation des réseaux ne rend pas plus critique face aux vraies informations, mais tend au contraire à désarmer face aux contenus trompeurs.

En creusant leurs données récoltées, les chercheurs ont remarqué un autre phénomène. Plus les participants passaient de temps à faire défiler leurs fils d’actualité au quotidien, plus ils se montraient enclins à interagir avec les contenus qui leur étaient proposés, peu importe qu’ils soient réels ou non. Néanmoins, dès qu’il s’agissait de fausses informations, cette dynamique empirait : les personnes les plus accros aux réseaux sociaux exprimaient une envie nettement plus forte de cliquer et de partager ces publications trompeuses. En revanche, leur propension à liker ou à commenter ces contenus ne semblait, elle, pas particulièrement influencée par leur niveau d’addiction.

 L'addiction ne rend pas seulement crédule, elle fait de nous des vecteurs de fake news. © Mamun_Sheikh / Shutterstock
L'addiction ne rend pas seulement crédule, elle fait de nous des vecteurs de fake news. © Mamun_Sheikh / Shutterstock

L’impulsivité cognitive : complice idéale des mensonges viraux

Pour les chercheurs, c’est justement cette impulsivité cognitive (une des caractéristiques relatives aux usages excessifs des réseaux sociaux) qui favoriserait la crédulité face aux fausses informations. À force d'enchaîner le visionnage de flux de contenus (le fameux doomscrolling), leur cerveau a tendance à valider automatiquement l’information qui défile, sans engager de véritable réflexion critique. Le flux constant de récompenses sociales ; les likes, partages, ou commentaires ; renforce ce fonctionnement qui tient dès lors du réflexe, où l’analyse cède sa place à l’automatisme.

« Les individus concernés peuvent ressentir un malaise lorsqu’ils sont privés d’accès aux réseaux et rechuter après des tentatives de sevrage. Ces comportements ont été associés à des pertes d’emploi, des difficultés scolaires et des troubles de santé mentale », explique Dar Meshi.

Outre ce constat, les auteurs de l'étude estiment que leurs travaux pourraient trouver une certaine utilité à terme, en aidant à mieux cibler la prévention contre la désinformation. Mieux cerner les profils les plus exposés permettrait aux professionnels de santé d’adapter leur accompagnement, et aux plateformes responsables de réseaux sociaux de limiter l’exposition de ces utilisateurs aux contenus trompeurs (bon courage pour ce dernier point !). « En identifiant les personnes les plus susceptibles de croire aux fake news, nous pouvons contribuer à limiter leur diffusion », souligne Dar Meshi.

Ce que prouve cette étude, c'est que certaines personnes présentent un terreau cognitif fertile pour développer les comportements décrits ici. Nous avons, en revanche, un autre sujet intéressant à creuser à partir de là. Il serait intéressant de comprendre jusqu'où cette impulsivité s'inscrit dans certains traits psychologiques préexistants.

Encore mieux : est-elle est amplifiée ou même induite par les choix techniques des plateformes (mécaniques d'engagement, design des interfaces, algorithmes de recommandation, etc.) ? L’absence de données longitudinales laisse ces interrogations pleinement ouvertes. Ces mécanismes varient-ils selon le type de fausse information auquel nous sommes confrontés ? L’exposition répétée aggrave-t-elle durablement cette vulnérabilité mise en évidence dans cette étude ? Des pistes que la recherche devra encore explorer, si tant est que la science puisse un jour rattraper un système qui capitalise quotidiennement sur ces vulnérabilités.

Sources : PLOS One, Futurity