Et si la lumière fossile que les cosmologistes traquent depuis plus d’un demi-siècle n’était pas tout à fait celle du Big Bang ? Selon une étude récente, la lumière fossile de l’Univers ne viendrait pas uniquement de sa naissance, mais également de ses toutes premières galaxies.

 Le rayonnement que l’on croyait être celui des premiers instants de l’Univers pourrait aussi être celui de ses premières structures organisées. © Triff / Shutterstock
Le rayonnement que l’on croyait être celui des premiers instants de l’Univers pourrait aussi être celui de ses premières structures organisées. © Triff / Shutterstock

Le fond diffus cosmologique (FDC), ce rayonnement de micro-ondes homogène détecté partout dans le ciel, serait le vestige direct du Big Bang. Une lueur fantôme, une rémanence cosmique, émise lorsque l’Univers a cessé d’être opaque, 380 000 ans après son apparition. Depuis sa découverte fortuite en 1964, celui-ci a servi de socle pour édifier le modèle standard de la cosmologie, le modèle ΛCDM. Fort de cela, on le pensait donc parfaitement immuable.

Toutefois, voilà qu'une étude, publiée dans le volume 107 de la revue Nuclear Physics B, est venue bousculer cette base théorique. Selon leurs auteurs, l'intégralité de cette lumière ne provient peut-être pas uniquement de cette époque lointaine : les toutes premières galaxies pourraient aussi y avoir laissé leur empreinte.

Signés par Eda Gjergo, astrophysicienne à l’université de Nankin, et Pavel Kroupa, professeur à Bonn, ces travaux remettent en cause l’interprétation même du FDC. Leur hypothèse : une partie non négligeable de ce signal pourrait avoir une origine beaucoup plus « locale » dans le temps, liée à des galaxies massives formées très tôt dans l’histoire de notre cosmos.

Une lumière ancienne, mais pas forcément primordiale

Au centre de cette remise en question : les galaxies elliptiques, classées parmi les « early-type galaxies » (ETGs). Leur forme est régulière, elles sont peuplées d'astres anciens, et sont presque dépourvues de gaz. Un profil unique qui suggérait, jusqu’à récemment, qu’elles étaient les vestiges d’une évolution galactique lente, mature et étalée sur des milliards d’années.

Toutefois, les observations de notre cher James Webb sont venues apporter un regard neuf sur ces dernières. Ce qu’il détecte, ce sont des ETGs massives présentes dès un redshift supérieur à 13 (une mesure indirecte qui permet de remonter dans le temps cosmique).

Par conséquent, cela signifie que certaines de ces structures existaient déjà lorsque l’Univers n’avait pas encore 300 millions d’années ; c’est moins de 2 % de son âge actuel. Une précocité complètement incompatible avec les modèles traditionnels de formation galactique, qui peinent à expliquer comment des objets célestes aussi colossaux auraient pu apparaître dans un laps de temps si court.

« Les galaxies elliptiques massives se sont formées rapidement, à travers des sursauts de formation stellaire d’une intensité exceptionnelle (environ 1000 masses solaires par an) », écrivent les auteurs dans leur papier. Dans ces conditions extrêmes, ces galaxies auraient engendré un grand nombre d’étoiles massives, des astres dotés d'une faible espérance de vie, mais dont la luminosité est très intense.

La lumière produite par ces jeunes étoiles ne disparaissait pas dans le vide, elle a chauffé les grains de poussière présents dans leur voisinage. En retour, cette poussière libérait ensuite l’énergie absorbée sous forme de rayonnement infrarouge. L’Univers étant en pleine expansion, cette lumière s’est progressivement étirée au fil des milliards d’années, jusqu’à basculer dans le domaine des micro-ondes ; exactement celui où l’on détecte aujourd’hui le fond diffus cosmologique.

 Selon le modèle simulé, la formation des ETGs aurait atteint un pic environ 228 millions d’années après le Big Bang, bien plus tôt que ne le prévoient les scénarios cosmologiques classiques. © Gjergo & Kroupa / Nuclear Physics B, 2025
Selon le modèle simulé, la formation des ETGs aurait atteint un pic environ 228 millions d’années après le Big Bang, bien plus tôt que ne le prévoient les scénarios cosmologiques classiques. © Gjergo & Kroupa / Nuclear Physics B, 2025

Le rayonnement thermique des galaxies, un bruit de fond oublié ?

Pour modéliser cette séquence précoce et effervescente de formation stellaire, les auteurs se sont servis d'un outil théorique encore peu intégré aux grands cadres cosmologiques : l’IGIMF, pour Integrated Galaxy-wide Initial Mass Function. Ce modèle permet de décrire, non pas l’évolution d’une étoile isolée, mais la répartition des masses stellaires à l’échelle d’une galaxie entière. Une manière de prendre du recul, en somme, face au tumulte des jeunes étoiles.

L’intérêt de ce modèle ne tient pas seulement à son échelle : il remet en question un principe longtemps admis. Là où les modèles classiques supposent que les étoiles naissent selon une distribution de masses relativement stable, l’IGIMF introduit une autre variable le contexte. Dans les conditions extrêmes de l’Univers primordial ; là où les nuages de gaz s’effondraient à grande vitesse ; la formation d’étoiles ne suivait pas les règles établies.

Selon le postulat des auteurs, plus cette cadence était élevée, plus les étoiles issues de ces sursauts avaient tendance à être massives. Une population d’astres dont la lumière cumulée aurait largement excédé les prévisions des modèles standards.

En modifiant la proportion de lumière émise dans l’infrarouge à l’échelle galactique, l’IGIMF aboutit à une estimation plus élevée du flux thermique produit par les premières ETGs. Or, ce rayonnement, bien qu’astrophysique par nature, occupe aujourd’hui la même plage de fréquence que celle attribuée au FDC, comme expliqué précédemment. Ce « chevauchement » ne serait donc pas un simple bruit de fond, mais une composante ignorée du signal lui-même.

Dans leur article, les chercheurs avancent même que ce biais pourrait expliquer, selon les hypothèses retenues, de 1,4 % à 100 % de l’intensité du FCM mesuré. Une fourchette très large, certes, mais largement suffisante pour relancer un débat que l’on croyait clos depuis longtemps.

Les grandes lois qui régissent notre cosmos ne sont pas remises en question ; elles restent valides, mais les conditions dans lesquelles nous les appliquons pourraient être mieux définies. Comme l'explique Kroupa : « Ces résultats bousculent le modèle cosmologique actuel. Il faudra peut-être revoir une partie du récit que l’on fait de l’Univers. »

Repenser le FDC comme l'on fait les auteurs ne revient pas à renier la théorie du Big Bang, bien au contraire ; cela nous permettrait de mieux comprendre comment son signal a été relayé ou même parasité par ses tout premiers enfants. Si les premières galaxies elliptiques ont laissé une empreinte aussi forte, quelle part du ciel lisons-nous à l’envers depuis tout ce temps ?

Sources : Science Alert, Nuclear Physics B