La conquête spatiale française s'écrit désormais en mode start-up. Partout dans le pays, une nouvelle génération d'entrepreneurs bouscule l'industrie spatiale avec une philosophie audacieuse : faire plus vite et moins cher.

La France croit en ses capacités dans l'univers du spatial © CoreDESIGN / Shutterstock
La France croit en ses capacités dans l'univers du spatial © CoreDESIGN / Shutterstock

L'espace, ce terrain de jeu jadis réservé aux agences gouvernementales, s'ouvre de plus en plus aux ambitions privées. En France par exemple, l'écosystème du « New Space » bouillonne d'innovations avec quelque 200 start-up et 3 000 salariés répartis sur le territoire. Une dynamique qui place l'Hexagone « loin devant » ses voisins européens, comme le souligne Jean-Marc Astorg, le directeur de la stratégie au CNES, l'agence spatiale française. Mais face au géant SpaceX d'Elon Musk, qui a reçu l'autorisation de bâtir sa propre ville au Texas, le chemin reste semé d'étoiles... et d'obstacles.

Des fusées made in France qui visent les étoiles

« Sans le new space, il ne se serait rien passé en Europe et on aurait tous fini chez SpaceX ! » lance sans détour Sylvain Bataillard, directeur de la stratégie d'HyPrSpace, à nos confrères du Point. Installée à Bordeaux, sa start-up développe des moteurs-fusées hybrides liquide-solide pour démocratiser l'accès orbital. « On a tout misé sur cette technologie, on a fait tapis là-dessus en espérant que ça va marcher », confie cet entrepreneur qui incarne l'audace d'une nouvelle génération spatiale.

La France voit fleurir les vocations spatiales comme jamais : à Reims, le jeune Stanislas Maximin, 25 ans, pilote Latitude et son ambitieux lanceur Zephyr. Avec 50 lancements projetés par an pour des charges de 200 kilos, l'entreprise champenoise explique cette nouvelle approche décomplexée. « Je ne peux que me féliciter de ma collaboration avec le CNES », affirme ce prodige qui bouscule un secteur traditionnellement dominé par des mastodontes industriels quinquagénaires.

Entre tradition et disruption, MaiaSpace incarne parfaitement cette transformation française. Filiale d'ArianeGroup avec ses 220 employés, elle développe son lanceur Prometheus avec l'agilité d'une start-up. « On n'est pas obligé de réussir du premier coup », explique son PDG Yohann Leroy, libéré du carcan des programmes spatiaux classiques. Une philosophie révolutionnaire qui change « fondamentalement la logique de développement, les délais et les coûts ».

Quand David français rêve de détrôner Goliath américain

La carte du spatial français ressemble un peu à une constellation. Unseenlabs traque les navires depuis Rennes, Miratlas décrypte les ondes célestes près d'Aix, Spartan Space imagine nos futures habitations lunaires à Marseille. Cette mosaïque d'innovations illustre comment le « New Space » a « réinventé l'usage de l'espace tout en bénéficiant des transferts de technologies provenant des agences », comme l'explique Éric Luvisutto, consultant et ancien du CNES.

Le nerf de la guerre reste évidemment le financement. « La difficulté pour les entreprises, c'est de sortir de la 'vallée de la mort' quand on a brûlé tout son cash et que l'on attend une nouvelle levée de fonds », analyse Michel Friedling, fondateur de Look Up Space. Depuis 2021, l'investissement privé dans le spatial français atteint environ 500 à 700 millions d'euros. Une somme qui paraît astronomique... jusqu'à ce qu'on la compare aux 73 milliards de dollars d'argent public américain.

« Les orbites terrestres sont aussi un marché souverain, une extension de territoire à laquelle il faut pouvoir accéder et qu'il faut protéger », rappelle Adel Haddoud, fondateur d'Infinite Orbits. L'enjeu dépasse la simple compétition commerciale, comme l'a démontré l'affaire Starlink en Ukraine. Du coup, face à cette réalité géopolitique et économique, l'Europe spatiale tente de rattraper son retard, pendant qu'Ariane 6 subit les « croupières » taillées par SpaceX et que les divisions spatiales d'Airbus et Thales réduisent leurs effectifs.

Vision d'artiste de SpaceX sur la lune © Nasa/SpaceX
Vision d'artiste de SpaceX sur la lune © Nasa/SpaceX

L'union fait la force dans l'espace

Pour que la France ait une chance, il ne faut surtout pas que chacun œuvre dans son coin. « Les entreprises qui gagneront seront celles qui seront suffisamment intelligentes pour s'associer entre elles afin de partir à l'assaut de l'Europe et du monde », prédit Jean-Marc Astorg du CNES.

Cet appel à la consolidation est plutôt pertinent pour les lanceurs, où la France compte une demi-douzaine de projets concurrents, sans compter les initiatives allemandes, italiennes ou espagnoles. Cette fragmentation risque de transformer l'échauffement actuel en simple combustion préliminaire avant le lancement d'une future Ariane 7.

Certaines pépites françaises brillent déjà dans la constellation du New Space. Kinéis et ses 25 satellites permettent de suivre aussi bien des feux de forêt que des buffles d'eau australiens. Anywaves célèbre sa millième antenne livrée avec 50% de clients américains. Et Loft Orbital, établie à Toulouse, propose un modèle de « colocation spatiale » après avoir levé près de 300 millions d'euros. Voilà autant de success stories qui démontrent la capacité française à innover dans des niches stratégiques.

L'aventure la plus audacieuse vient peut-être de The Exploration Company. Fondée par Hélène Huby, énarque reconvertie en conquérante spatiale, l'entreprise développe un véhicule cargo capable de revenir sur Terre, une première européenne ! Avec 215 millions d'euros levés, elle rêve même d'emporter des astronautes vers la Lune. Un pari fou ? Peut-être, oui, mais comme le suggère cette nouvelle génération spatiale française : pour atteindre les étoiles, il faut viser la Lune.