New Horizons : la longue route pour comprendre Pluton

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
25 avril 2021 à 17h17
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New Horizons sonde NASA © NASA

De son impressionnante mission, le public ne se souvient souvent que de cet unique survol de Pluton. Il apporta un éclairage fondamental sur cette planète naine et son environnement… Et pourtant la mission New Horizons, qui n'est pas encore terminée, s'étend bien au-delà de la ceinture de Kuiper

Ne serait-ce qu'en quelques décennies de préparation !

La longue route vers Pluton

Lorsque se termine le « Grand Tour » des missions Voyager au début des années 1990, il ne reste qu'une seule des neuf planètes majeures à n'avoir reçu la visite d'aucune sonde : Pluton. Et comme justement c'est la seule à avoir été découverte par un américain, les projets se multiplient pour monter un projet suffisamment solide pour explorer la lointaine petite planète. La plupart des propositions sont menées par un astrophysicien de renom, du prestigieux Southwest Research Institute (SwRI) dans le Colorado : Alan Stern. Ce dernier ne baisse pas les bras, il faut explorer Pluton ! Mais la sélection des missions est difficile. Pluto 360, Pluto Kuiper Express… Ces propositions échouent. Jusqu'à ce que le programme « New Frontiers » de la NASA voie le jour en 2000, avec un budget « intermédiaire » pour des missions d'exploration planétaires. Avec une équipe expérimentée et un projet bien documenté, la mission New Horizons pour survoler Pluton est choisie.

Alan Stern. Le discours sur New Horizons, il doit le connaître un peu par coeur... Crédits NASA/J. Kowsky
Alan Stern. Le discours sur New Horizons, il doit le connaître un peu par coeur... Crédits NASA/J. Kowsky

Cela étant, il faudra encore faire campagne auprès des politiciens, car New Horizons coûte pratiquement 700 millions de dollars, aussi Alan Stern doit retourner expliquer le projet… Qui termine en tête des priorités pour les « recommandations scientifiques » de la décennie pour l'agence américaine Cette fois New Horizons est sur les rails. Et de façon presque exceptionnelle, la mission décollera dans la fenêtre de tir prévue à l'origine, le 19 janvier 2006, avec une version du lanceur Atlas V à 5 boosters auxiliaires qui a généré beaucoup de discussions à l'époque car elle n'avait encore jamais volé précédemment.

Le « piano à queue » de l'espace

New Horizons est une petite sonde, qui ne pèse que 478 kg sur la balance, afin d'être la plus compacte et la plus efficace possible pour atteindre Pluton rapidement. La petite planète, éloignée de 5.1 milliards de kilomètres nécessite un voyage de plus de 9 ans… Et ne reçoit que très peu de lumière (et donc d'énergie) solaire. Résultat, le véhicule est équipé d'un système RTG (Radioisotope Thermoelectric Generatori) qui transforme la chaleur de palets de plutonium en électricité. L'essentiel des 245 watts convertis est utilisé par sa grande antenne de communication, et par les instruments lorsqu'ils sont allumés. Ces derniers ne pèsent que 30 kg en tout, mais ils sont quand même au nombre de 7 !

On retrouve trois systèmes optiques : le télescope LORRI à longue distance, le double instrument optique/spectrométrique Ralph et le spectromètre ultraviolet Alice ; les instruments SWAP et PEPSSI pour étudier le vent solaire et les particules énergétiques ; un détecteur de densité de poussière « Venetia Burnley » (en l'honneur de celle qui a nommé Pluton) et l'expérience REX utilisant des signaux radio.

Il y a de la place sous la coiffe ! Crédits NASA
Il y a de la place sous la coiffe ! Crédits NASA

Après son décollage réussi, New Horizons devient l'objet le plus rapide à quitter la Terre, avec une vitesse relative supérieure à 61 000 kilomètres/heure ! La sonde dépasse l'orbite de Mars en moins de trois mois, et fonce vers Jupiter. Le périple s'organise entre différents survols, qui seront cruciaux pour préparer la rencontre avec Pluton, et de longues périodes de pause, au cours desquelles les équipes sont employées sur d'autres sujets. Le premier survol sera très lointain, presque 102 000 kilomètres, et c'est une opportunité lors de la traversée de la ceinture d'astéroïdes : « 132524 APL », un corps céleste de seulement 2,5 km de diamètre environ. Mais les instruments fonctionnent comme prévu.

La belle au vide dormant

Le vrai test eut lieu autour du 28 février 2007, lors du grand survol de Jupiter, qui par effet de fronde gravitationnel a donné un véritable « coup de boost » à New Horizons. La sonde est passée à seulement 2,3 millions de kilomètres de la géante, ce qui paraît beaucoup mais reste amplement suffisant (il faut aussi éviter de se faire bombarder par son environnement électromagnétique). Les instruments, qui sont spécialisés pour observer les planètes, s'en donnent à cœur joie sur la géante gazeuse autant que sur ses quatre lunes principales, à tel point que le survol de New Horizons est jugé comme une étape d'observation importante entre les missions Cassini (qui ne faisait que passer) et Juno (qui n'atteindra Jupiter que dix ans plus tard). Confortés à l'idée que tout se passe bien, les scientifiques de l'équipe peuvent à présent faire… autre chose. Jusqu'à sa rencontre avec Pluton prévue 8 ans plus tard, la sonde New Horizons ne s'éveillera qu'une fois tous les 18 mois environ, pour un minuscule bilan de santé avant de rester en hibernation.

Montage de deux images de New Horizons. Ces clichés de Jupiter et Io ont aussi été retravaillés après le survol. Crédits NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute/Goddard Space Flight Center
Montage de deux images de New Horizons. Ces clichés de Jupiter et Io ont aussi été retravaillés après le survol. Crédits NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute/Goddard Space Flight Center

Le 4 janvier 2015, les équipes sont enfin réunies au complet. Tout le monde a bien vieilli, et l'équipe principale a réalisé quelques rares observations de leur cible au fil des années, mais à cette date, les opérations vont reprendre un rythme de plus en plus élevé. Tous les instruments sont activés, la navigation est très précise, et le couple Pluton-Charon est scruté comme jamais : pas question de découvrir une lune inédite ou un nuage de débris capable de détruire la sonde après tant de travaux ! Le survol de Pluton est prévu le 14 juillet, et tout se prépare à grande vitesse…

Sauf lorsque le 4 juillet, New Horizons passe en « mode de sauvegarde », un défaut dans le logiciel d'approche lui demandant trop de ressources simultanément. L'équipe va travailler nuit et jour pour corriger et envoyer une autre version le 7 juillet. Heureusement, ce sera le dernier hoquet avant le survol, qui se déroule dans le plus grand silence. Car New Horizons est si occupé à tourner ses instruments vers Pluton et ses 5 satellites naturels qu'elle enregistre tout dans sa mémoire interne.

Le cliché iconique de la mission New Horizons. NASA / Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory / Southwest Research Institute
Le cliché iconique de la mission New Horizons. NASA / Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory / Southwest Research Institute

Il faudra 18 mois pour renvoyer toutes les données vers la Terre. Le survol est historique !

Encore un peu plus ton

Un an après avoir quitté Pluton, Alan Stern peut annoncer, ravi, que New Horizons gagne une extension de mission inédite. En effet, comme tous ses systèmes se portent bien après 6 milliards de kilomètres parcourus, l'équipe a pu utiliser Hubble pour tenter de trouver un objectif qui soit réaliste en terme de carburant… Et ils y sont parvenus ! L'astéroïde 2014 MU69, d'abord nommé « Ultima Thule » puis Arrokoth, a été survolé le 1er janvier 2019. Il reste à ce jour l'objet le plus lointain jamais observé de près, et il n'a pas déçu un instant. La vitesse de la sonde et de ce grand roc de la ceinture de Kuiper n'a pas permis une séquence d'observation de plus de 48 heures, avec un survol chorégraphié à la minute ! Comme la sonde est de plus en plus éloignée, et que la puissance disponible à bord est réduite (ses palets de plutonium ne chauffent plus autant qu'il y a 15 ans), le débit de la transmission des données sur Terre est réduit au minimum… Il a fallu deux ans pour transférer tout ce qui concerne Arrokoth.

L'objet le plus lointain jamais croisé par une sonde. Crédits  NASA / Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory / Southwest Research Institute
L'objet le plus lointain jamais croisé par une sonde. Crédits NASA / Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory / Southwest Research Institute

Et maintenant ? Alan Stern est toujours le responsable de la mission, qui est la première à franchir 50 UA (7.5 milliards de kilomètres) en pleine forme ! Tous ses instruments fonctionnent… Mais malheureusement, il ne reste que très peu de carburant de manœuvre, et malgré les recherches il a pour le moment été impossible de lui trouver un objectif à viser qui puisse être survolé de près. Les équipes ne baissent pas les bras, et utilisent l'instrument LORRI pour tenter de détecter de nouveaux objets bien loin de la Terre, et même observer d'autres systèmes solaires. New Horizons devrait conserver un bon potentiel jusqu'à 2025, elle n'a peut-être pas dit son dernier mot !

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Commentaires (3)

Zakalwe
Merci !
Niverolle
Oui, merci !
Space_Boy
Dommage pour le petit. Il est en plein forme, mais il va mourir faute d’énergie. Et pourtant, plein de choses encore à découvrir.<br /> C’est avec ce genre de missions qu’on se rend comptes des distances. Pour explorer notre système solaire et au-delà, on devra aller beaucoup plus vite. C’est trop lent actuellement.
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